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Prise de position de la LDH dans le débat sur le voile intégral

Publie le mercredi 7 avril 2010 par Open-Publishing
6 commentaires

Prise de position du Comité central de la LDH

Depuis l’affaire de Creil en 1989, la LDH a maintenu avec constance sa position, joignant la critique du port du foulard et du voile, au nom de l’émancipation des femmes, au refus de toute loi excluante, stigmatisante et empiétant sur les libertés publiques. Or, il se trouve qu’aujourd’hui cette position est celle de nombreux citoyens et responsables politiques et en particulier celle de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, alors même que le débat s’est crispé.

Bien plus rédhibitoire que le foulard, on a vu apparaître le port ultra-minoritaire mais spectaculaire du voile intégral ; le gouvernement a lancé un débat sur l’identité nationale, très vite identifié par l’opinion comme un débat sur l’Islam ; le premier ministre nous annonce une loi interdisant le port de la burqa. Disons tout de suite, pour sortir de la confusion, que parler de « burqa » est un abus de langage : le mot désigne le costume généralement bleu, entièrement fermé, avec un grillage devant les yeux, imposé aux femmes par la société afghane. Le voile intégral, noir, d’origine saoudienne, est une négation rédhibitoire de la personne, mais il ne renvoie pas à l’horreur meurtrière des talibans. Dramatiser le débat, s’il en était besoin, n’est pas innocent.

Nous tenons à affirmer un certain nombre d’éléments essentiels.

1- La laïcité n’a rien à voir dans la question du voile intégral

Les législateurs de 1905 s’étaient résolument refusés à réglementer les costumes, jugeant que c’était ridicule et dangereux : ils préféraient voir un chanoine au Parlement en soutane plutôt qu’en martyr. La laïcité qu’ils nous ont léguée et à laquelle nous sommes fortement attachés, c’est la structure du vivre ensemble : au-dessus, la communauté des citoyens égaux, la volonté générale, la démocratie ; en dessous, des communautés partielles, des syndicats, des associations, des Eglises, une socialisation multiple et libre qui peut même se manifester ou manifester dans l’espace public, mais en aucun cas empiéter sur la volonté générale, et enfin la singularité des individus qui choisissent librement et combinent entre elles leurs croyances et leurs appartenances.

En conséquence, le politique n’a ni à se mêler de religion, ni à traiter une religion différemment des autres ; la loi n’a pas à régler les convictions intimes qu’elle suppose chez les individus ; la République n’a pas à dire ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas mais à protéger également tous ceux qui résident sur son territoire, sauf s’ils mettent en cause l’ordre public.

Le pluralisme religieux et culturel est constitutif de l’unité de la France, qui a toujours connu à la marge des dérives fanatiques, intégristes ou sectaires déplorables mais éphémères. Donc laissons la laïcité tranquille.

2- L’égalité hommes-femmes attend une vraie politique

L’argument principal, et tout à fait justifié sur le fond, contre le port du voile, c’est qu’il signale de manière radicale l’infériorisation des femmes. C’est bien le cas si le port du voile est imposé par le mari ou un autre homme de la famille. Dans ce cas, la France dispose des outils législatifs permettant à une femme de déposer une plainte pour contrainte ou séquestration et d’obtenir le divorce aux torts de son mari ; sachant bien sûr combien cette démarche peut être difficile pour elle.

Mais il peut s’agir aussi, comme l’attestent de nombreux témoignages, d’une servitude volontaire. Or la liberté ne s’impose jamais par la force ; elle résulte de l’éducation, des conditions sociales et d’un choix individuel ; on n’émancipe pas les gens malgré eux, on ne peut que leur offrir les conditions de leur émancipation. Pour faire progresser l’égalité et la mixité entre les hommes et les femmes, ce qui est urgent, c’est de promouvoir des politiques dans les domaines éducatifs, salariaux et professionnels, des droits sociaux, un meilleur accès à la santé et à la maîtrise de la procréation. Ces problèmes concernent des millions de femmes dans la France d’aujourd’hui et ne sont en rien traités de façon prioritaire. Un abcès de fixation sur quelques centaines de cas ne fait certainement pas avancer l’égalité, qui appelle au contraire à revenir à la solidarité entre toutes les femmes.

3- Une surenchère de discriminations n’est pas la solution

La question du voile intégral renvoie en réalité à un profond malaise des populations concernées, auxquelles la République n’a pas pu ou pas été capable de faire une place. D’où l’apparition de vêtements et de coutumes dont la signification est très complexe, depuis le port du foulard par des adolescentes des banlieues comme signe identitaire jusqu’à ce voile intégral qui est un paradoxe : à la fois dissimulateur de la personne et signe ultra-visible, provocateur, d’un refus de la norme sociale, sous prétexte tantôt de religion, tantôt de pudeur. Même si nous réprouvons ce choix, ce n’est pas une raison pour essentialiser et déshumaniser des femmes qu’on réduit à un signe abstrait et que l’on exclut de toute vie publique.

Interdire le voile, c’est conforter la posture de ces femmes, c’est en faire doublement des victimes : résultat absurde d’une volonté soit-disant émancipatrice. Elles porteraient seules le poids d’une interdiction imposée en grande partie par la domination masculine, et cette interdiction les exclurait à coup sûr de la cité. En revanche tous les musulmans, hommes compris, se sentiraient blessés par une loi qui ne toucherait que l’islam.

4- Droits et libertés

Ce serait en plus ouvrir une voie extrêmement dangereuse en termes de libertés publiques. Réglementer les costumes et les coutumes est une pratique dictatoriale ; que ce soit de façon discriminatoire, pour signaler une population donnée, ou au contraire par l’imposition d’une règle universelle. Obliger les femmes à porter le voile comme leur interdire de cacher leur visage (sauf dans les cas prévus où l’identité doit être prouvée) est également liberticide.

Si une telle hypothèse est présente, c’est que la société française a été profondément intoxiquée par des idées venues de l’extrême-droite et qui se sont infiltrées jusque dans la gauche : la peur de l’immigré, de l’étranger, les relents de notre histoire coloniale, la tentation de l’autoritarisme.

La LDH a une tout autre conception de la démocratie, des droits, de l’égalité et des libertés.

4- Vivre ensemble

La LDH refuse les termes d’un débat instrumentalisé, qui risque de déboucher sur une loi perverse et dangereuse.

Des millions de musulmans vivent en France, et pour beaucoup vivent mal. Ce n’est pas un ministère de l’Identité nationale qui résoudra leurs problèmes et qui leur offrira un avenir, mais des politiques sociales et anti-discriminatoires ; c’est un travail politique, citoyen, de réflexion sur les conditions du “vivre ensemble“.

C’est aussi leur responsabilité individuelle et collective, qui attend par exemple, pour ceux qui sans en avoir la nationalité résident en France, le droit de vote pour pouvoir s’exercer.

source : http://www.ldh-france.org/Prise-de-...

Messages

  • c’est la croisade rien que la croisade !
    combien de femmes non voilées meurent sous les coups de leurs maris tous les ans en France ???
    POUR AVOIR VECU AU MO JE N’AI JAMAIS CONFONDU VOILE ET FEMINISME

  • Bravo !

    Texte d’une rare intelligence, Je remarque à l’appui que le voile n’est nullement propre à l’Islam en général, mais à une forme spécifique de l’Islam qui n’est pas plus “traditionelle” qu’une autre. S’attaquer au voile sous prétexte de s’opposer à une pratique religieuse, c’est en fin de compte légitimiser comme la seule forme valable de l’Islam une certaine politique qui se trouve être celle de certains Musulmans.

  • Tout à fait d’accord.

    Texte qui remet en perspective les choses et contrecarre les "défenseurs" d’une certaine laïcité qui aboutissent à créer des lois liberticides plus particulièrement contre les musulmans ????

    Quand l’Etat nous enregimente en nous imposant un uniforme ... Méfiance.

    "La religion c’est l’opium du Peuple mais aussi le soupir des opprimés." disait KM.
    Il ne faut pas l’oublier.

  • Autant je suis d’accord avec cet article et ses rappels à ce qui fonde en France la laïcité en terme de droit:la loi de 1905 autant ,avec le voile intégral, se pose la question de la reconnaissance de l’individu. En effet dans une période ou l’ on demande 2 pièces d’identités comment répondre à des personnes dont on
    ne vit pas le visage ? Comment réagir à l’intrusion de personnes sommes toute masquées ? Comment s’adrésser à des individus qui cache leur visage ? Se pose la question du rapport des agents du service public à de tels individus mais aussi celui de l’employé qui se voit remettre un cheque etc.... Dans ce cas la personne devra bien se dévoiler et dans ce cas le fait de se revoiler après devient ridicule. Alors quelle est la solution sans passer par l’interdiction legal bien sur. JP

    • JP, t’as absolument raison pour ce qui est de la reconnaissance d’identité légale.

      Mais alors on peut aussi objecter sur le port de la barbe intégrale, ainsi que sur un bronzage trop marqué, sur les cheveux longs, courts teints ou décolorés, ou même sur le port des talonnettes par certains élément au dessous de la taille moyenne. ((- :

      En réalité on n’a parlé QUE du voile, mais le but est de permettre l’interdiction de la singularité du citoyen afin de le rendre plus simplement pistable par le système. Et pour cela quoi de mieux que de jouer sur les "bonnes" intentions, l’"humanisme" la "défense" de l’opprimé, les peurs sécuritaires xénophobes.

      Un ami m’a rappelé une histoire qui lui était arrivée en URSS dans les années 80. A l’aéroport le préposé ne voulait pas le faire passer, sans qu’il comprenne pourquoi.

      Après bien des discussions il s’aperçut qu’il ne correspondait pas à sa taille d’identité par rapport à la toise sous laquelle il passait sans le savoir. Il portait des talons plus hauts que la moyenne comme c’était alors la mode en France.

      L’introduction des portiques spéciaux dans les aéroports ainsi que les fichiers croisés sont du même ordre des choses.

      Ceux qui croient que c’est pour leur sécurité sont ds naïfs. Le but à terme st d’interdire à toute personne déplaisant au pouvoir mondial de ne plus pouvoir se déplacer librement. C’est déja en place aux USA ou environ 200 à 300 000 personnes, (Militants ou politiques), sont sur les "blackmail lists" et ne peuvent plus prendre d’avion d’état à état, et encore moins pour l’étranger, sans une procédure longue et fastidieuse.

      Ca va venir ici. Burka ou pas.

      Quant à ceux qui prétendent défendre les femmes avec de telles lois, faudrait qu’ils commencent par ne pas les assassiner ou les violer comme leur soldatesque le pratique couramment dans les pays en voie de "libération" néoconservatrice.

      Vive Orwell...

      G.L.

    • Parfaitement d’accord. J’ajoute que commencer par ne pas nous violer, nous frapper et nous assassiner est un bon début, bravo, mais que le sexisme ordinaire, qui fonde et légitime les violences plus spectaculaires, est bien plus discret et répandu.

      Qu’ils et elles commencent donc aussi par arrêter :
       d’apprendre aux petites filles à vivre dans le paraître et à n’exister que par rapport à autrui (maquillage, poupées) et d’apprendre seulement aux petits garçons qu’ils possèdent un corps capable d’agir sur le monde (mécano, engins de chantier).
       d’utiliser comme insultes "salope" et son masculin "pédé", d’être fiers d’ "avoir des couilles" et de ne pas "se faire baiser", de se réjouir d’ "avoir de la chatte", etc.
       de se prétendre égalitaires quand illes ne font qu’appliquer un double standard, par exemple autour de la parole : "les femmes sont bavardes" par rapport au standard d’une femme silencieuse, mais pas par rapport aux hommes qui en réalité parlent plus, sont plus écoutés, coupent la parole, imposent les sujets de conversation... sans que personne ne le remarque.
       de ne pas respecter l’espace corporel des femmes, de ne jamais se demander par exemple, comment un homme le prendrait si on lui imposait le même contact ou la même proximité.
       de confisquer l’espace public aux femmes, notamment certains lieux ou à certaines heures ; moins on sort, moins on peut sortir et nous ne sommes pas moins exposées pour autant, seulement moins libres.
       de justifier inlassablement les injustices sexistes par des différences "naturelles" qui sont en réalité insignifiantes, sauf par le sens et le poids qu’on leur ajoute socialement.

      En fait je ne pense pas que celles et ceux qui protestent contre les violences sexistes puissent cesser du jour au lendemain d’avoir ces comportements. J’aimerais juste qu’illes voient la nécessité de le faire, et qu’illes essaient vraiment.