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LE SENTIMENT ANTIMUSULMAN S’AMPLIFIE : L’ignorance se mondialise

Publie le jeudi 18 novembre 2010 par Open-Publishing

Les xénophobes prétendent que l’Europe va s’islamiser

Le déferlement du discours islamophobe prend des proportions alarmantes.

Le sentiment antimusulman en Occident s’aggrave. La responsabilité est partagée, car nombre de musulmans à travers le monde se comporte mal. Cependant, rien ne peut justifier la haine d’autrui. La culture, l’interculturel, l’interconnaissance, sont les ponts incontournables pour le rapprochement entre les peuples et le vivre ensemble. Pourtant, des remises en cause de l’enseignement, déjà faible, de la civilisation islamique et de la langue arabe, se profilent en Europe, comme en France. Alors que la diversité de la société est un atout à valoriser et en tant qu’Arabo-Berbères et Africains, musulmans, nous revendiquons en rive Sud notre européanité, francité, méditérranéité, les bienfaits du plurilinguisme et restons attachés au « butin de guerre » de la langue française, faisant fi de ses engagements, le ministère français de l’Edu-cation semble annoncer la fermeture du Capes d’arabe et la fin de l’enseignement pour les lycéens de la civilisation musulmane en Histoire-géo, au profit de celui de l’Occident chrétien médiéval.

Déjà, depuis dix ans, aucun nouveau poste de professeur d’arabe n’a été créé en France, malgré une demande forte et pressante. Les décideurs se sont contentés de mettre en place des groupements d’heures. L’enseignement de la langue arabe délivré au sein de l’Education nationale risque à terme de se réduire considérablement. 15% des élèves étudiant l’arabe en France, l’apprennent aujourd’hui dans le cadre de l’Education nationale et les 85% restants, dans des structures privées. Depuis la session 2005, le concours au Capes d’arabe est suspendu un an sur deux, en alternance avec l’agrégation. Aujourd’hui il est dramatiquement question de le supprimer. Cela est révélateur du refus qu’a la société européenne de reconnaître cette langue et la culture qu’elle véhicule, qui ont contribué à la renaissance et à la civilisation commune.

L’agrégation d’arabe a été créée en 1905 et aujourd’hui seulement, environ 200 professeurs enseignent dans environ 250 collèges et lycées, ce qui ne couvre que 10% des besoins. Nombreux sont les départements où les élèves ne peuvent pas, faute de professeur, suivre des cours d’arabe. Parfois il leur est proposé un enseignement à distance, par correspondance.

Alors que l’enseignement de l’arabe ne devrait pas être réservé aux seuls élèves originaires de pays arabophones, avec cette reforme c’est un grave recul. Est-ce qu’on réserve l’apprentissage de l’espagnol aux élèves d’origine hispanique ? Alors que nous sommes coopératifs en matière de francophonie, d’une manière générale, il n’y a pas eu de volonté politique de développer l’apprentissage de l’arabe dans l’enseignement secondaire français.

Une langue vivante

Intégrer la langue arabe dans le secondaire, afin que tout élève désireux de l’apprendre puisse le faire serait pourtant une des meilleures façons d’oeuvrer au partage et à la culture de la paix, et de reconnaître sa valeur scientifique. Certes, pour les élèves non arabophones, elle peut être une langue difficile, car différente des langues latines, mais langue logique elle enrichit et permet l’ouverture d’esprit. Elle est pratiquée par des centaines de millions d’individus, car c’est une langue vivante, dont la connaissance est indispensable pour qui souhaite s’ouvrir au voisin, au monde et mieux les comprendre. Dans ses patrimoines classiques et modernes, c’est une langue de culture et de communication.

Dans tous les domaines : logique, philosophique, scientifique, littéraire, mystique, la langue arabe a été le support de pensées universelles. Il s’agit de lire, de connaître et de questionner un partenaire vital et fécond de la rive Nord. L’Occident a été judéo-islamo-chrétien et gréco-arabe, on ne peut pas oublier notre histoire commune.

En outre, de par l’histoire contemporaine, la colonisation, disait Jacques Berque, a changé et le colonisé et le colonisateur, on ne peut pas abandonner les regards croisés. Bien plus, l’avenir sera commun ou ne sera pas, il faut sortir des monologues et de l’uniformisation. C’est d’abord le travail sur la langue qui rend possible le sens de l’hospitalité, le voyage et la coexistence.

Faire une place à l’enseignement de l’arabe en Europe, sera la meilleure réponse aux extrémistes de tous bords et permettra de faciliter l’amitié et de réviser l’idée que cette langue est réservée aux seuls jeunes issus de l’immigration et partant, de reconnaître que le jeune d’origine arabe ne doit pas seulement s’intégrer ; il est aussi porteur d’une mémoire qui mérite d’être connue et reconnue.

L’amnésie

Le sentiment antimusulman et la xénophobie s’amplifient et peuvent mener à des désastres dans le cadre de la mondialisation de l’ignorance. Ils profitent du vide, de la méconnaissance et des archaïsmes d’usurpateurs du nom de l’Islam. Tout comme nous devons en rive Sud enseigner les cultures et faits civilisationels d’autrui, il est salutaire de garder vivant l’enseignement de la langue et cultures arabes en rive Nord. Chacun peut constater que la littérature de langue arabe est très peu étudiée en Europe, et actuellement seul Averroès figure dans les programmes français de philosophie.

En histoire, le programme de cinquième traite très rapidement de l’apparition de l’Islam et de la civilisation arabo-islamique médiévale. Le monde arabo-musulman dans les programmes des autres classes est étudié superficiellement liés à l’époque de la colonisation. Aucun manuel scolaire ne met l’accent sur l’apport de la pensée arabe et la réappropriation des textes grecs par les savants musulmans. Le travail de passeur, de symbiose, de créativité, d’humanisation, de civilisation, de la pensée arabe est comme absent de l’horizon culturel européen.

Les Européens oublient ou ne savent pas que les Arabes ne se sont pas contentés de transmettre un patrimoine, mais l’ont renouvelé, critiqué et réinventé. Tout cela signifie que l’amnésie n’est pas gratuite. L’occultation de la place de la culture de langue arabe dans l’histoire de la pensée universelle explique en partie l’islamophobie d’aujourd’hui. Qui connaît de nos jours en Occident ne serait-ce que les noms d’Avicenne-Ibn Sina, al Farabi ou d’Ibn al Haytham ? Les trois ont pourtant leur place dans l’histoire de la philosophie et dans celle des sciences. La pauvreté de l’enseignement de l’arabe est une des conséquences de la méconnaissance des éléments arabes dans l’élaboration des savoirs. En l’occurrence, au moment où certains facilitent le « choc des ignorances », il y a un réel travail à mener sur les relations « Orient-Occident ». Et ce travail permettra de repenser ces deux termes, qu’à tort on oppose.

L’ignorance conduit à la haine de la différence

Par l’apprentissage d’une langue, dans un cadre moderne comme l’Europe, on peut transmettre des éléments de culture. Pourtant nous assistions au refus de reconnaître l’Altérité. C’est par la découverte de la langue de l’autre que l’on peut découvrir les multiples aspects d’une civilisation, qui ne se réduit pas à sa dimension religieuse. Le religieux déformé devient l’unique repère, dès lors qu’il s’agit d’Islam. Un des moyens efficaces de montrer que le vivre-ensemble est incontournable et de développer l’enseignement de la langue dans le cadre du système éducatif public. Le risque qu’il y a à enfermer les populations dans la seule référence religieuse vise à les ghettoïser. La fermeture du Capes d’arabe n’obéit pas à un impératif économique, mais sous-tend une stratégie de combattre les valeurs arabo-musulmanes. Cette orientation idéologique et culturelle est grave et inquiétante.

Heureusement que des initiatives louables comme celle de l’Université ouverte de Catalogne en Espagne qui a ouvert un Master d’Etudes islamiques et arabes, enseigné par Internet, donne des raisons d’espérer ( www.uoc.edu ).

L’histoire fabuleuse et commune de « La Méditerranée carrefour des civilisations » qui forme aux valeurs universelles et à la convivialité en France va disparaître à cause de calculs politiciens.

Des intellectuels conscients reconnaissent que c’est le surgissement d’une islamophobie qui formate inexorablement la société française au point de ne susciter aucune réaction des partis contre cette dérive dangereuse du « vivre-ensemble », pourtant consacré par la laïcité et les lois de la République. Le sentiment antimusulman n’est pas une singularité française, mais européenne.

Le délire se répand partout, à des degrés divers, avec la prolifération de partis extrémistes qui font de la croisade contre les musulmans leur mot d’ordre. Les pays européens de la France, à la Suisse, à la Norvège, au Danemark, aux Pays-Bas sans oublier l’Allemagne connaissent une montée de la xénophobie qui rappelle la situation qui prévalait au milieu des années trente. Le citoyen européen de confession musulmane est décrit comme la nouvelle menace, l’ennemi qui ose vouloir vivre sa foi, alors qu’il ne porte pas atteinte aux lois civiles. Le déferlement du discours islamophobe prend des proportions alarmantes. Les xénophobes prétendent que l’Europe va s’islamiser et stigmatisent les musulmans pour faire peur et imposer le spectre d’un changement de population et de culture en Europe. Toutes les limites de l’indécence et de la propagande haineuse surfent sur l‘ignorance, la crise morale et économique.

Goebbels le nazi, pratiquait le même type de propagande et d’amalgame. Il ciblait les juifs, propageait des fausses informations à leur sujet, et flattait les pires instincts de tous les courants prêts à se conduire en loups. Le musulman aujourd’hui court le même risque que le juif hier, alors que leur vécu paisible et bien intégré est ignoré. Malgré des comportements inadmissibles, crispés et provocateurs chez une minorité de musulmans, la réalité sociologique des citoyens musulmans en Europe montre leur aptitude à vivre le progrès et la sécularité, de manière la plus normale. Cela gêne tous les extrémistes de la laïcité, du libéralisme sauvage et du sionisme. Ces trois courants dogmatiques et populistes souhaitent participer à la chasse aux musulmans. Les xénophobes et autres racistes, qui contredisent les valeurs des Lumières, sont aujourd’hui choyés au lieu d’êtres rappelés à l’ordre par les lois de la République.

Un exemple récent, le prix Goncourt 2010 a été décerné au sinistre Houellebecq, un des chantres de la provocation à la haine et à la violence à l’encontre des musulmans. Comme Bernard Henri Levy et Alain Finkielkraut, toute sa carrière est basée sur la haine d’autrui et en particulier des musulmans. Ils produisent de la haine à l’encontre de tout un pan de l’humanité et ils sont récompensés. Ils monopolisent les médias et reçoivent des prix prestigieux parce qu’ils vivent dans un monde cynique où c’est devenu banal de haïr l’autre pour ce qu’il est. Il serait temps que les Européens, les Français, se souviennent des principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme et ceux du monothéisme. Car ce n’est pas seulement les musulmans qui sont ciblés, mais le sens de l’humain qui sous-tend toute vraie civilisation.

(*) Philosophe
intellectuels@yahho.fr

Mustapha CHÉRIF (*)

http://www.lexpressiondz.com/article/8/2010-11-18/82849.html