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réflexion sur les blocages de trains nucléaires

Publie le dimanche 19 décembre 2004 par Open-Publishing

Voici un texte que je viens de traduire. Il est paru dans la revue allemande Anti Atom Aktuell. Suite à l’accident mortel au cours d’une action de blocage de train Castor de déchets nucléaires le 7 novembre dernier, la réflexion sur les formes d’action directe fait son chemin. Ce texte m’a semblé intéressant alors je l’ai traduit.

Questions à un Ancien expérimenté

Interview de le revue Anti Atom Aktuell avec un bloqueur de train nucléaire

Note de la traductrice, « action où l’on s’enchaîne aux rails » correspond dans l’original à un seul mot « Ankettaktion » mais je n’ai pas trouvé de mot en français qui recouvre ce terme. (littéralement action - enchaîner), dans blocage couramment employé en France, il n’y a pas la notion de « enchaîné ».

- Dans les premiers jours après la mort de Sébastien Briat une question est remontée : « où était le conseil des expérimentés ? » Tu as depuis des années de l’expérience avec des actions sur les rails ? Que peux tu dire là-dessus ?

Lorsqu’on a fait appel à moi en tant qu’ « enchaîné » pour écrire sur des actions où on s’enchaîne aux rails, j’ai d’abord dit non. Rien que cette question montrait déjà combien on est proche du malentendu qui serait de dire que lors de l’action du groupe d’Avricourt ce serait le non respect de règles de sécurité qui aurait conduit à la mort de Sébastien. Je considère que c’est absolument faux. Nous ne connaissons pas les circonstances exactes de l’accident en Lorraine, une spéculation sur des erreurs techniques est pour cette raison non avenue.

Les discussions des dernières semaines m’ont cependant prouvé que beaucoup d’idées fausses circulent sur les actions où l’on s’enchaîne aux rails. C’est pourquoi je fais maintenant cette interview avec vous.

- Alors commençons par éclaircir le concept : que s’est-il passé en réalité lorsque l’on parle dit aux nouvelles : « le convoi de déchets nucléaires à du interrompre son voyage en raison d’une action de blocage où des gens se sont enchaînés aux rails » ?

Je choisis le terme qui s’est imposé dans la population :Par action où l’on s’enchaîne aux rails, on parle de toute les actions au cours desquelles une personne ne peux pas être dégagée d’un lieu en raison des moyens techniques employés à ces fins. Le terme de « action où l’on s’enchaîne aux rails » est trompeur, il fait penser à des personnes en détresse attachées au rail avec de grosses chaînes et il produit une image certaine de victime. Ce terme s’est cependant imposé.

Beaucoup de personnes se représentent une telle action de cette façon : des gens courent (pour prendre un exemple) jusqu’aux rails et s’enchaînent avec une lourde chaîne ou quelque chose de semblable . C’est insensé ! Il se peut que quelque chose comme cela aie déjà eu lieu, mais pas sur les rails où il y a de la circulation. Une formulation exacte serait : « un train a été arrêté, ensuite il n’a pu continuer sa route à cause de personnes enchaînées.

Le train est toujours arrêté ou sérieusement freiné (c’est-à-dire le train roule à vitesse contrôlée jusqu’à l’action pour acheminer les forces de l’ordre et les outils) par une action en amont (stoppeurs). Ces actions en amont ont pris dans le passé différentes formes : des signaux explicites donnés à distance suffisante au train (lampes, fumigène, banderoles) ou bien aussi complétés par un coup de téléphone à la société de transport et à la police !

- Ce n’est donc pas les « enchaînés » qui font stopper le train ?

C’est clair : En s’enchaînant aux rails on n’arrête pas les trains ! Un train ne pourra pas s’arrêter parce que des personnes se trouvent en vue sur les rails (peu importe si elles sont enchaînées ou non) ! Aucun train peut s’arrêter sur cette distance ! Cette phrase est juste quelque soit le lieu.

- Que se passe t-il donc avec les chaînes ?

Les action où l’on s’enchaîne aux rails ressemblaient tout du moins ces dernières années à cela : Une personne (si elle s’enchaîne seule) se met à cheval sur les rails et mets ses bras dans un tube placé sous le rail. A ses poignets sont fixés des cadenas qu’elle accroche à une petite tige au milieu du tube. Il y a aussi des actions avec deux personnes, qui accrochent chacune un bras au tube.

- Pourquoi un tube ?

Le tube a deux fonctions : premièrement, on ne peut pas voir quand et si le cadenas est fermé. Cela permet au militant de contrôler la situation. Deuxièmement, cela empêche d’accéder directement au cadenas, ce qui, selon la construction du tube, rend le dégagement plus difficile. Au début, des tubes étaient construits très simplement, au fil des ans ils sont devenus si solides que en général on coupe le rail au lieu d’ouvrir le tube.

- N’es tu pas dans cette position, c’est-à-dire attaché à un tube, vulnérable face aux évènements ?

Je sais que beaucoup de monde pense ainsi. Mais c’est faux et en fait le contraire est juste : il y a quelques années, on utilisait des mousquetons pour s’attacher les poignets. L’idée était que la personne enchaînée aurait plus d’influence sur la situation si elle avait la possibilité de se délivrer elle-même à tout moment.

Plus tard, on a conseillé de ne plus utiliser ces mousquetons, car le danger est que la police oblige la personne à se libérer elle-même en utilisant la force (coups, coups de pied). C’est pourquoi les cadenas se sont imposés.

Le contrôle de la situation ne change pas parce que tant que le cadenas n’est pas fermé, il n’y a pas de différence avec des mousquetons. Les force de police ne savent à ce moment là pas si le cadenas est encore ouvert ou fermé. Elles ne vont pas prendre le risque de frapper une personne vraisemblablement déjà attachée. Les avantages sont pour cette raison clairs.

- Donc, qui semble être attaché ne l’est pas forcément ?

Encore une fois : Personne ne s’enchaîne « juste comme ça » à un rail et ne peut plus de délivrer. Les militants de Süschendorf (1) n’étaient pas non plus embétonnés, comme on le dit aujourd’hui encore volontiers même dans le mouvement. Dans les faits, la personne enchaînée s’expose à moins de dangers que lors d’un blocage assis car dans ce cas, la police fait usage de la force pour mettre fin au blocage. Alors que lorsqu’une personne est debout ou assise sur les rails la police peut la frapper, ce n’est pas le cas lorsqu’on s’enchaîne.

La police utilise aujourd’hui des solutions high-tech pour voir si le cadenas est fermé. Par exemple, elle introduit une mini caméra dans le tube. Là, elle voit un cadenas qui ne se laisse plus ouvrir.
Mais lorsqu’on en est là , la situation est sécurisé pour tous les participants.

Beaucoup de personnes qui on fait de telles action les ressentent comme plus sures que des blocages assis, parce que la situation est plutôt sous leur control.

Dans les premières dépêches on a dit que Sébastien était enchaîné. Ses compagnons on affirmé dans leur communiqué que ce n’était pas le cas.

« d’abord stopper, ensuite clipper » Cette règle doit être répétée comme un Mantra. Quand on a des preuves que la situation est claire, quand le train est à l’arrêt et les voies fermées, alors seulement à ce moment là on envisage de fermer le cadenas. D’après tout ce que je sais, cette règle était pour le groupe en Lorraine aussi une évidence. Le fait qu’il s’est levé et à pu s’éloigner le prouve.

- Pourquoi insistes tu là-dessus : on doit avoir des preuves que la situation est claire ?

Evidemment, les informations de la partie d’en face (police...) ne sont jamais une preuve. Les déclarations de chefs de régiment sur place, comme quoi tout serait en ordre, ne doivent pas être crues. Très peu d’entre eux savent des choses sur le déroulement de la circulations des trains. J’ai vu des policiers qui eux même savaient à peine où ils se trouvaient. Plus d’une fois des policiers ont essayé de faire abandonner les bloqueurs par des tactiques cyniques. Avec des déclaration telles que « nous ne pouvons plus arrêter le train, nous avons un trou de fréquence radio.. » C’est pour cela qu’il est obligatoire d’avoir des infos personnelles sur le lieu ou se trouve le convoi, sa vitesse...Ca ne peut pas fonctionner autrement.

Personne ne doit sous évaluer dans quelles conditions les Castor bien souvent sont transportés en dehors du Wendland : Les trains Castor (nucléaires) roulent avec les mêmes distances, les mêmes vitesses que des trains de marchandises normaux . On ne met pas un couloir plus large ou ferme la voie pour eux.

- No risk no fun tel était le titre d’un appel a manifester contre le Castor cette année. Au moins d’après ce que tu écris, cette devise ne semble pas appropriée.

C’est vrai. Je ne peux que supposer que cette devise n’était pas pensée ainsi. Je comprends cette affiche plutôt de la façon suivante : enfin faire à nouveau quelque chose , se donner un coup de pousse de ne pas se laisser abattre. « oser la résistance » est aussi un slogan qui ne veut pas dire non plus « mettre sa santé en jeu »

Mais pour éviter toute confusion, je dis : une action d’enchaînement aux rails n’a rien à voir avec le plaisir qui vient du frissonnement qui accompagne le risque. Tous les types d’action sur les voies où il y a de la circulation est dangereuse. Dangereux signifie qu’il s’agit ici d’un environnement sur lequel nous n’avons-nous en tant que militants aucune influence.

- Alors les actions sur les rails sont réservées à la portion de trajet du Wendland (2) ?

Des actions sur les rails sont aussi possibles sur des voies principales. Cela a été montré au cours des transports en direction de la Hague ces dernières années. Mais certaines conditions décisives doivent être réunies : tous les participants doivent disposer de toutes les informations, chaque étape du déroulement doit être pensée attentivement et de façon critique. Un bonne connaissance des lieux de l’action est aussi importante que la capacité à garder une vue sur l’ensemble. On ne doit pas sous évaluer le fait que dans des situations de stress chacunE agit différemment que dans un environnement calme.

- A tes yeux, qu’y a-t-il en faveur d’actions où l’on s’enchaîne ?

On m’a souvent demandé pourquoi j’ai choisi cette forme d’action : De telles actions offrent toujours la possibilité de résister de façon directe. C’est une intervention directe et pas seulement symbolique dans le déroulement. C’est une forme de manifestation du « no pasaran ».

- J’en reviens au « conseil des expérimentés ». Te sens tu capable de transmettre ton expérience ?

Dans le passé nous - pas nous j’entends les gens qui ont amassé des expériences pratiques dans le domaine - nous sommes tenus assez en retrait, lorsqu’il s’agissait des détails techniques et organisationnels. Parce que nous ne voulions pas que trop de personnes tombent sous le coup de la répression. Si je pense aujourd’hui qu’on doit faire autrement, c’est parce qu’après la mort de Sébastien il est clair que ces blocages sont perçus de façon réductrice et déformée.

Sébastien n’aurait rien retiré de nos expérience si nous les avions portées en public. D’après le communiqué du groupe je pense qu’ils savaient tout ce qu’il y avait à savoir. Cependant, je pense que c’est important que l’on associe au concept d’action où l’on s’enchaîne aux rails le message suivant : On ne fait rien par hasard.

- Donnes-tu encore un conseil pour terminer ?

Nous devrions toujours avoir un regard critique sur les actions : nous demander pourquoi nous le faisons et comment. Ce n’est pas une question uniquement pour les actions ou l’on s’enchaîne. Et s’il vous plait, il ne s’agit pas que de questions techniques ! Il s’agit de résistance politique. Nous devons toujours nous demander quelle action exprime le mieux nos idées politiques.

Là-dessus, chacun devrait décider seul de comment elle ou il veut résister. Ce n’est pas à moi de dire à d’autres ce qu’ils ont à faire - ou bien dans ce cas ce qu’il faut laisser faire. Et avant tout de jubiler en cas de réussite et lorsque cela ne va pas de les montrer du doigt. Si tu veux quand même avoir un conseil, alors : Résiste là où tu peux le mieux le faire ! Si tu veux t’enchaîner aux rail, eh bien fais-le.

(1) : Note de la traductrice : En mars 2001, 5 militants ont bloqué le train Castor 17heures durant, 4 d’entre eux dans le Wendland (nord de l’Allemagne, près du site de Gorleben où les autorités veulent enfouir les déchets hautement radioactifs) s’étaient attachés à l’intérieur de tubes pris dans du béton coulé sous les rails.

(2) : Note de la traductrice : Lorsque le train Castor arrive dans le Wendland (ou se trouve Gorleben, la destination finale), la voie ferrée est fermée à la circulation en raison des nombreuses manifestations anti-nucléaires et seul le train nucléaire circule sur cette voie.

sur l’accident du 7 novembre, voir le communiqué du grouppe :
http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=10914

pour un exemple d’action réussie de blocage en novembre dernier également :
http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=10969

des explications ( et une vidéo) sur comment s’organise une telle action :
http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=11350

le dernier accident d’un train castor en date qui fonce dans une barricade de branchages malgré les avertissemnts :
http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=11455