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Sortie du nucléaire : le piège du référendum

Publie le dimanche 20 mars 2011 par Open-Publishing

Le nucléaire a été imposé en France sans référendum, alors pourquoi en faudrait-il
un pour décider de sortir du nucléaire ? Et ce d’autant qu’un tel référendum serait
un véritable piège : c’est le gouvernement pronucléaire qui choisirait la question
posée et qui organiserait à sa façon la campagne officielle..

Un référendum est souvent considéré comme une démarche très démocratique permettant
enfin au peuple de prendre lui-même une décision. La réalité est bien différente :
il ne faut pas oublier qu’un référendum revient avant tout. à poser une question. Et
une question à laquelle il ne peut être répondu que par OUI ou NON (sauf à
s’abstenir). Or, c’est le gouvernement pronucléaire, appuyé par une Assemblée
nationale elle-même constituée à 90% de pronucléaires, qui rédigerait cette
question. à sa façon. Essayons de voir ce qu’elle pourrait être.

D’abord, il y a nucléaire et nucléaire : production d’électricité, armes atomiques,
nucléaire médical. Si la question est "Êtes-vous pour la sortie du nucléaire ?", les
atomistes auront beau jeu de dénoncer le désarmement unilatéral de la France (ce qui
n’est pas en soi une mauvaise chose, mais en l’occurrence cela ferait perdre des
chances de succès au référendum), ou la fin de certains traitements médicaux.

Il faudrait donc que la question soit "Êtes-vous pour la production d’électricité
par des centrales nucléaires ?". Mais, même si le gouvernement se rangeait à cette
précision de bon sens, loin d’être écartés, les problèmes commenceraient au
contraire à s’accumuler.

En effet, avec vice, le gouvernement poserait alors assurément la question inverse :
"Êtes-vous contre la production d’électricité par des centrales nucléaires ?". En
effet, c’est reconnu, il est psychologiquement plus facile de ne pas être pour que
d’être contre. Cela ne changerait rien bien entendu pour ceux dont la religion est
faite, dans un sens ou dans l’autre. Mais quid des indécis ?

Par ailleurs, de nombreux citoyens sont à la fois contre le nucléaire militaire et
le nucléaire dit "civil", du fait de leur égale dangerosité mais aussi de leur
évidente imbrication. Il est clair que beaucoup de ces gens, considérant que la
question posée reviendrait par défaut à avaliser le nucléaire militaire, voteraient
blanc au lieu de voter contre.

Ensuite, il est improbable que la question posée évoque la sortie du nucléaire. sans
préciser la durée de ce processus. C’est d’ailleurs là que le gouvernement jouerait
sur du velours : s’il propose une sortie rapide, mettons en 10 ans maximum, de
nombreux citoyens voteront contre, craignant la pénurie et les restrictions. dont le
gouvernent lui-même agiterait le spectre.

Si la question évoque une durée plus longue (20 ans, 30 ans), les voix de nombreux
opposants se transformeront en votes blancs ou en abstentions : comment accepter que
les réacteurs actuels, déjà vieillissants, continuent à fonctionner aussi longtemps,
aggravant le risque de catastrophe ? Car, faut-il le rappeler, l’objectif est de
fermer les réacteurs pour éviter un désastre tel que celui qui frappe aujourd’hui le
Japon.

D’autre part, il est certain que la campagne officielle, et donc l’accès aux médias,
serait biaisée : on a pu constater lors de précédents référendums que, en toute
légalité, ce sont les partis politiques dominants qui se voient attribuer la
quasi-totalité du temps d’antenne. Or le PS, l’UMP, le Nouveau centre, le Modem, le
Front national, le PCF sont tous pronucléaires.

Imaginons naïvement que, devant de puissantes protestations face à un tel déni de
démocratie, le gouvernement consente à donner du temps d’antenne aux associations.
Il ne faut pas croire que ce serait enfin la parole aux antinucléaires. D’abord, le
temps ne serait même pas partagé en deux, moitié pour les "pros", moitié pour les
"antis". En effet, d’autres organisations entreraient dans la danse, par exemple des
associations de consommateurs.

Or, ces dernières années, la très médiatique UFC-Que choisir a pris des positions
clairement favorables à l’atome, prétendant à tort que l’électricité nucléaire
serait bon marché. On peut craindre aussi que, parmi les organismes "neutres", la
parole soit donnée par exemple à la très réactionnaire Académie de médecine qui,
tenez vous bien, a officiellement pris position pour le nucléaire. au nom de la
santé !

Finalement, le temps d’antenne offert aux antinucléaires serait très restreint. Mais
il y a encore pire : de quels "antinucléaires" s’agirait-il ? Il est fort improbable
que, par exemple, l’auteur du présent texte soit invité à s’exprimer. A sa place, la
position "antinucléaire" serait occupée par de véritables imposteurs comme l’
"hélicologiste" Arthus-Bertrand, ou des personnages ambigus comme Nicolas Hulot qui
ne s’est jamais engagé contre le nucléaire avant le drame japonais et qui, depuis,
évoque une vague et lointaine sortie de l’atome.

Ces gens là ne manqueraient pas de proposer un processus en 30 ou 40 ans, sapant de
fait toutes les raisons de sortir du nucléaire : s’il n’y a pas urgence à fermer les
réacteurs, c’est que le péril n’est pas réel et qu’il n’est donc pas nécessaire de
se détourner de l’atome.

Certes, il n’y a pas que la campagne officielle, mais les travers dénoncés ci-dessus
seraient assurément encore pires lors de débats organisés sur les grandes chaînes
télévisées. Nous aurions alors droit à des "débats" surréalistes entre les PDG d’EDF
et d’Areva et de curieux "opposants" comme Arthus-Bertrand.

Alors non, définitivement, il ne s’agit pas de réclamer "un grand débat" ou "un
référendum". Ces revendications étaient concevables avant le 11 mars, mais il est
surréaliste de voir des écologistes les porter encore alors même que se déroule le
drame de Fukushima. S’ils ne réclament pas la sortie du nucléaire maintenant, quand
le feront-ils ?

Bien sûr, il y a de la politique derrière tout ça : les nouvelles "élites vertes"
entendent entrer en force au gouvernement et à l’Assemblée nationale. Pour cela, il
leur faut passer des accords avec le très pronucléaire Parti socialiste. Ce joli
monde se mettra certainement d’accord sur. "un grand débat" et éventuellement "un
référendum", lequel se déroulera (en cas de victoire à l’élection présidentielle) en
2013, quand l’émotion de la catastrophe japonaise sera passée : chacun aura repris
l’insouciante habitude de vivre près d’une centrale nucléaire vieillissante, tandis
que des millions de japonais n’auront pas encore développé les cancers qui leurs
sont assurément promis.

L’Allemagne vient de fermer 7 réacteurs d’un coup, cela prouve bien que des
décisions radicales sont possibles. Le nucléaire ne couvre que 2% de la consommation
mondiale d’énergie, contre 15% aux énergies renouvelables : leur part est donc,
contrairement à une idée fausse largement répandue en France, nettement plus élevée
que celle du nucléaire. A titre d’exemple, l’hydroélectricité produit sur Terre
environ 3300 Twh annuels, contre 2600 pour les 430 réacteurs nucléaires en service.
Finalement, le nucléaire représente un risque extrême pour une contribution infime à
l’économie planétaire.

L’essentiel du parc nucléaire français a été construit à marche forcée en moins de
dix ans, il est donc possible de faire le chemin inverse en moins de dix ans. Enfin,
il ne faut pas oublier que le nucléaire a été imposé en France sans référendum :
pourquoi en faudrait-il un pour sortir du nucléaire ? Ou plutôt pour ne pas en
sortir, tant un tel scrutin serait faussé.

Stéphane Lhomme

Président de l’Observatoire du nucléaire

http://www.observatoire-du-nucleaire.org