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Le désastre ferroviaire en Italie : des systèmes de sécurité d’après guerre

Publie le lundi 10 janvier 2005 par Open-Publishing


Interview de Bruno Salustri, Or.S.A. : "Il y a besoin d’ investissements ciblés,
pas seulement de grands ouvrages"


de Andrea Milluzzi

Le désastre ferroviaire, dans lequel au moins 18 personnes ont perdu la vie,
attire encore une fois l’attention sur la sécurité du réseau ferroviaire italien.
Comme cela arrive trop souvent, la discussion n’a lieu qu’après que les faits
ont déjà donné le triste verdict, mais cela ne signifie pas que la sonnette d’alarme
n’avait pas été tirée depuis longtemps, comme l’explique dans cette interview à Liberazione
Bruno Salustri, du secrétariat national de l’Or.S.A. et mécanicien lui-même.

Sur les causes de l’accident devra enquêter qui de droit, mais la dangerosité des tronçons à voie unique n’est pas en discussion, c’est exact ?

Dès que j’ai appris la nouvelle, m’est revenu à l’esprit l’accident de Plaisance de 1997, où 8 personnes perdirent la vie dans le déraillement du train pendulaire Rome Milan. Les circonstances sont semblables mais, 7 ans après, les conditions de sécurité ont carrément empiré. La ligne Bologne Vérone attend d’être doublée depuis 1945. C’est inouï, d’autant plus qu’il s’agit d’une ligne d’ importance vitale,reliant Rome au Brenner. Je ne comprends pas pourquoi dans ce Pays on va inaugurer la ligne à grande vitesse Rome Naples à 6 voies et on n’intervient pas dans des situations comme celle-ci. En Italie nous avons besoin d’ investissements ciblés, pas seulement de grands ouvrages. Mais on préfère probablement le "spectaculaire" au fonctionnel.

Quels sont les points faibles de notre réseau ?

En déclarant tout d’abord que, pour certains aspects, nos chemins de fer sont encore parmi les meilleurs d’Europe, on doit dire que, si on continue ainsi, toute notre avance va disparaître d’ici peu. Le noyau du problème est dans les privatisations qui ont été réalisées ces dernières années. Il est évident que la logique du privé est de faire passer le rapport entre les coûts et les recettes avant la sécurité, mais il arrive ensuite que dans tout le réseau se créent des points d’extrême dangerosité. Le modèle choisi par l’Italie est le modèle anglais, avant qu’on n’y nationalise à nouveau les chemins de fer, et non le modèle français, où existe un service intégré de transport et de réseau. Nous sommes même en train d’aller au-delà des directives européennes sur la libéralisation et voilà quel est le résultat.

Donc cet accident aussi aurait pu être évité ?

Bien sûr, il aurait suffi d’une voie double ou même de la répétition du signal en cabine de conduite. La réalité est qu’on a entendu beaucoup de paroles mais on n’a jamais vu de faits. Je te donne quelques exemples : il y a quelques années on devait expérimenter le système Atc (contrôle automatique des trains qui analyse les informations sur les conditions opérationnelles, sur les prestations des trains et sur les vitesses atteintes. Si, où que ce soit dans le système, on relève quelque chose d’inhabituel, l’ordinateur se charge automatiquement de réduire la vitesse pour assurer un fonctionnement sûr. Il y a en outre un système de surveillance de la conduite prêt à faire face à toute situation d’urgence mais on nous a dit qu’il avait échoué et nous n’avons jamais compris pourquoi ; l’installation du système Scmt (système de contrôle marche/train qui se charge du freinage automatique des convois en cas dépassement des vitesses autorisées ou de non-respect des signaux de marche, Ndr) n’est pas encore opérationnelle, alors que l’on a fourni aux mécaniciens le Vacma, une pédale sur laquelle ils doivent appuyer toutes les 55 secondes, un système de sécurité qui remonte à 1936. Et puis, on attribuera la faute aux mécaniciens, cette fois encore mais la vérité est qu’il nous faudrait des technologies nouvelles et sures.

Est-ce un appel aux institutions ?

Oui, elles doivent assumer la responsabilité de la sécurité des voyageurs. Il faut plus de contrôles, plus d’investissements et l’implémentation des nouvelles technologies aujourd’hui disponibles. Autrement cela se passe comme dans l’accident de 2002 à Rometta Marea en Sicile. Le train Palerme-Venise dérailla, huit voyageurs moururent et maintenant les dirigeants de l’entreprise privée par laquelle les travaux de sécurité avaient été sous-traités ont été saisis par le parquet justement à cause de la mauvaise qualité du travail accompli. Ce secteur ne doit pas être externalisé parce que nous ne connaissons pas les conditions et la qualité du travail des entreprises. Il s’agit hélas du chemin entrepris par l’Italie.

Traduit de l’italien par Karl & Rosa de Bellaciao

http://www.liberazione.it/giornale/050108/LB12D6CF.asp