Accueil > Camus, Onfray et les libertaires

Camus, Onfray et les libertaires

par Ariane Gransac / Octavio Alberola

Publie le samedi 17 mars 2012 par Ariane Gransac / Octavio Alberola - Open-Publishing
9 commentaires

Camus, Onfray et les libertaires

Le dernier livre de Michel Onfray, « L’ordre libertaire », sur «  la vie philosophique d’Albert Camus  » a suscité des réactions hargneuses de la part des gardiens de la pensée et de l’ordre autoritaires : tant de droite que de gauche. Ce qui n’est pas surprenant et qui est compréhensible, étant donné d’où viennent ces réactions. Par contre, ce qui est surprenant et incompréhensible c’est qu’Onfray soit accusé (dans Le monde Libertaire, n° 1658, de février 2012) d’avoir écrit ce livre « contre les libertaires ». 

On peut penser, dire et écrire ce que l’on veut sur Michel Onfray et son œuvre, et, en particulier, sur ce dernier livre, que l’on se prétende ou non libertaire ; mais, quand on s’arroge le droit de le faire, on doit aussi lui concéder le droit d’exprimer sa pensée, de la dire et de l’écrire, même si c’est sur les libertaires... À la limite, on pourrait lui reprocher une généralisation abusive si c’était le cas. Mais, les critiques aux libertaires, aux anarchistes, il les adresse à ceux qui se croient et s’érigent en « gardiens du temple » de l’Anarchie, et qui voudraient nous faire vivre l’ordre libertaire comme l’Ordre (avec majuscule) de l’Anarchie... Un Ordre conçu et légiféré, par ces libertaires, ces anarchistes, à partir des textes de tel ou tel penseur libertaire, anarchiste, qu’ils vénèrent et qu’ils voudraient nous faire admettre et vénérer comme textes "sacrés". Oui, ces anarchistes, ces libertaires qui oublient l’essentiel de ce que cet oxymore apparent, l’ordre libertaire, à toujours incarné : le refus de toute autorité, de s’accommoder de l’injustice, de l’humiliation, de la soumission et de l’obéissance. En peu de mots : le désir de vivre sans Dieu ni Maître. 

Les critiques d’Onfray à ces libertaires, à ces anarchistes, ne sont malheureusement pas infondées, et les portraits qu’il en fait ne sont pas faux non plus. Il y en a toujours eu dans les milieux libertaires, anarchistes. Et même aujourd’hui, malgré tout ce que l’histoire nous a enseigné sur cette négativité absurde de l’anarchisme doctrinaire, dogmatique et autoritaire, nous en rencontrons encore quelques-uns de ces libertaires dans nos milieux. Qui n’en a pas trouvé dans sa vie militante ? Et tels qu’Onfray les décrit ! 

Donc, il est absurde de reprocher à Onfray de les dénoncer et de les combattre avec des arguments clairs, logiques et conséquents avec l’idéal libertaire. Ce que nous faisons aussi. Car, enfin, nous en sommes déjà au vingt-et-unième siècle et l’histoire nous montre suffisamment ce que l’anarchisme est, désir et pratique de la liberté, et ce qu’il ne doit pas être : dogme et église. Comment concevoir encore ce désir et cette pratique de manière dogmatique, sectaire ? Comment donc ne pas permettre à chacun de les assumer et de tenter de les mettre à l’épreuve en les confrontant avec les réalités de notre temps ! 

C’est vrai que cela ne peut signifier faire n’importe quoi. Il est évident que, de même que nous revendiquons le droit de juger la conséquence idéologique et éthique des autres, entre leurs discours et leurs actes, les autres ont aussi le droit de le faire avec nous. C’est-à-dire : que dans toute critique faite il y a un devoir de vérité, de ne pas manipuler les faits et de confronter bilan contre bilan, biographie contre biographie. Et cela est valable pour tous, Onfray inclus ! Que dit-il donc d’essentiel dans cet ouvrage sur l’ordre libertaire ? 

Commençons par lui reconnaître que, comme Camus, il a le droit aussi de demander une seule chose : « être lu avec attention ». Et si nous le faisons, ce que nous retrouverons dans cet ouvrage c’est, avant tout, un Camus anarchiste, libertaire, proudhonien, hédoniste et même nietzschéen, qui essaye de vivre conforme à ces options éthiques et existentielles. Le Camus qui n’a cessé jamais de se référer à la tradition proudhonienne et anarcho-syndicaliste, et de se solidariser avec la lutte des anarchistes espagnols. Ce livre est, certainement, un pamphlet hagiographique écrit avec les ressources d’un lyrisme presque partisan et les recettes classiques de la polémique. Mais, le portrait qu’Onfray dresse de Camus nous permet d’approcher tout ou presque tout ce que ce dernier a vécu, conceptualisé et combattu : depuis le colonialisme jusqu’aux totalitarismes de son époque. Sans oublier de casser la vision simpliste, haineuse et revancharde des sartriens présentant un Camus « philosophe pour classes terminales » et « défenseur des colons d’Algérie ». 

C’est vrai que, dans ce livre, Onfray témoigne d’une évidente empathie envers l’auteur de L’Homme révolté, qui conçoit la vie loin des illusions de l’optimisme béat et du confort du pessimisme résigné. Cette vie dérisoire, absurde, qui mène à la mort, mais qui nous incite à la défier, au travers de la révolte, pour nous faire éprouver les limites de notre liberté. Mais c’est vrai aussi qu’Onfray a la même empathie pour les libertaires et leur idéal : le socialisme libertaire. Et qu’il a lu ou presque lu tous les textes qui ont été écrits sur Camus et aussi sur Camus et les libertaires... Même ceux des adversaires de Camus.  

Oui, sans doute, en dressant le portrait de Camus, Onfray dresse aussi son autoportrait. Oui, peut-être il y aurait à dire sur la façon un peu rapide et catégorique qu’Onfray a pour qualifier Camus de nietzschéen et Gaston Leval de « gardien du temple ». Mais, au delà des fantasmes (plus ou moins réels) que nous avons tous et peut-être du fait qu’il n’y a rien de vraiment neuf à nous apprendre sur Camus et les libertaires, c’est incontestable qu’Onfray a, sur les faits, une façon de les ordonner et de leur procurer un sens qui lui est propre, bien que sans jamais les trahir ni les sortir de leur contexte historique. Comme Camus, il veut se montrer le compagnon de tous les révoltés et de tous les résistants. Mais aussi, comme Camus, en compagnon vigilant. 

Dés lors, quel intérêt peut-on avoir à lui reprocher qu’il n’a pas lu tout ce que les libertaires ont écrit sur Camus et qu’il a négligé de citer tous les noms de ses amis libertaires. Et moins encore de savoir si Onfray se trompe sur qui a sensibilisé Camus aux idées libertaires et à quelle date. Deux questions, en tout cas, qui ne justifient pas de publier un article avec ce titre acerbe : "Onfray contre les libertaires".

Ariane Gransac / Octavio Alberola 

Messages

  • L’article de ¨JP Garnier dans le très consensuel Monde Diplo n’est pas mieux loti.
    Faut dire qu’en terme de doctrine,ce journal pro croissance(hormis quelques articles sympas de Serge Latouche ou Eric Dupin par le passé) et finalement pas fondamentalement opposé au nucléaire(ah,le fameux retard de réflexion d’une partie des communistes sur la question)en connait un rayon,lui aussi.Probablement bien davantage que dans le Monde Libertaire d’ailleurs.

  • L’hédono-gaulliste pro capitaliste ONFRAY nous gonfle avec sa soupe , lisez ZIZEK ou BADIOU ou BENSAID ou RANCIERE ou AGAMBIN , mais pas cette merde médiatique, un BHL cela suffit à notre malheur !

  • Je ne sais pas si Onfray a ou non de l’empathie pour les libertaires, mais pour l’avoir vu à l’œuvre chez Ruquier, faisant la leçon à Philippe Poutou, le candidat du NPA (voir ici), je me dis qu’il n’en a pas tellement pour les ouvriers lorsqu’ils sont choisis pour représenter leur camp.
    Sur le fond, Onfray n’est pas le mieux placé pour donner des leçons de politique, lui qui se comporte comme une girouette et change de candidat à supporter comme de chemise.

    Citation de la note n° 3 de l’article dont le lien est indiqué :

    "Pour mémoire : en 2007, Michel Onfray a d’abord soutenu la candidature de José Bové, avant de se raviser et d’appeler à voter pour Olivier Besancenot, puis de se raviser à nouveau optant pour le « vote utile », c’est-à-dire, à ses yeux, pour Ségolène Royal aux deux tours du scrutin. Avant de se raviser une dernière fois, et, découvrant soudainement que Ségolène Royal était un « candidate libérale », d’exclure de voter pour elle, avant de choisir, en guise de vote utile de voter blanc. Pour 2012, Michel Onfray a annoncé qu’il voterait pour le Front de gauche, ce qui ne l’a pas empêché de se mêler de la primaire du Parti socialiste en apportant son appui à Arnaud Montebourg. De telles variations politiques ne regarderaient que lui si elles n’étaient celles d’un caméléon médiatique. Bernard-Henri Lévy a enfin un rival !"

  • Dans le dossier "Camus CONTRE les libertaires", on lira également avec attention l’article de Floréal Melgar Albert Camus, le mouvement libertaire et Michel Onfray ou le bon, la brute et... Michel Onfray

  • Onfray, le BHL de gauche !

    il pue la même suffisance malgré son discours pseudo libertaire ; anarchiste, ça lui arrache la gueule, mais on le comprend .......

  • Sans vouloir entrer dans le débat sur le bouquin d’Onfray à propos de Camus, que je n’ai pas lu et que je ne lirai pas car j’ai bien d’autres chats à fouetter, il me semble utile de rappeler qu’on n’a pas attendu ce monsieur-je-sais-tout-je-vais-vous-expliquer pour constater et analyser tout ce que la pensée de Camus devait à la tradition libertaire et ce qu’elle avait pu éventuellement lui apporter...

    Par contre, concernant le personnage Onfray, incroyablement imbu de sa personne et dégoulinant d’auto-satisfaction permanente, je dirai seulement ceci : jamais je n’accorderai une once d’intérêt, de respect ou de confiance à un individu dont une phrase sur trois contient le mot libertaire (qualificatif mis c’est vrai à bien des sauces, dont quelques-unes nauséabondes) mais à qui le mot anarchiste arracherait la gueule si seulement il osait l’employer comme il doit l’être.

    Les libertaires-mais-pas-anarchistes, on connaît... Et il suffit de lire et d’écouter ici et là les propos d’Onfray pour réaliser à quel marchand de soupe et escroc intellectuel à la mode libertarienne on se trouve confronté !

    Qu’on attende la bonne parole de ce genre d’individus ne peut être que navrant.
    J’aime à imaginer que le vrai Camus aurait changé de trottoir en le croisant et que le vieux Sartre, moins libertaire certes mais peut-être plus anarchiste au fond, lui aurait carrément collé un pain dans la gueule !!

    Bon chien, Onfray, bon chien... A la niche maintenant, tu nous fatigue !!

  • Onfray, onfray,onfray ?

    Ca me dit quelque chose moi qui vit à Caen...Ah, ça y est, je me souviens !

    C’est le monsieur qui faisait son "université populaire" au Café Mancel, le bar le plus hype, chicos, bourge et tout ce qu’on veut....

    Arfff ! La bonne rigolade...