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SIX ARGUMENTS CONTRE L’ALLONGEMENT DE LA DUREE DE COTISATION

par La CGT

Publie le mercredi 4 septembre 2013 par La CGT - Open-Publishing

La durée de cotisation requise
pour avoir une retraite à taux plein est passée de 37,5 ans pour les générations
nées avant 1934 à 41,5 ans pour les générations nées en 1955 suite aux réformes
successives depuis 1993, soit plus de quatre ans d’allongement de la durée de
cotisation en l’espace de 26 ans. Or le gouvernement envisage encore de
prolonger l’allongement de la durée de cotisation jusqu’à 43 annuités pour la
génération née en 1973. Nous avons toutes les raisons de nous opposer à cette
réforme qui, loin de répondre aux évolutions de la société, mine le système par
répartition

1.  L’allongement de la durée de vie : les salariés ont déjà donné !

L’allongement de la durée de
cotisation est souvent justifié par le MEDEF et les libéraux par l’allongement
de la durée de vie. Or depuis le début des années 1990 les réformes libérales
des retraites ont exigés des salariés, plus encore que l’allongement de leur
durée de vie.

· 
Depuis 1993 l’allongement de la durée de cotisation a été plus rapide (+3,75 annuités) que
l’allongement de l’espérance de vie à 60 ans (+3,38 années pour les hommes,
+2,76 pour les femmes[1]).

· 
Entre 2000 et 2020, selon les réformes déjà votées,
l’augmentation de la durée de cotisation représentera 86% de l’augmentation de
l’espérance de vie des hommes et 117% de celle des femmes.

De plus pour travailler et pour
profiter de la retraite il ne suffit pas d’être vivant. Or si l’espérance de vie
augmente régulièrement, la période où nous connaissons des difficultés de santé
et des incapacités s’allonge également. 

· 
L’espérance de vie en bonne santé stagne pour les hommes
(62,7 ans en 2011 contre 62,3 ans en 2005) et marque un recul pour les femmes
(63,6 en 2011 contre 64,6 en 2005)[2].

· 
L’espérance de vie n’est pas également distribuée :
l’espérance de vie à 35 ans des cadres est supérieure de 6 ans à celle des
ouvriers. Augmenter la durée de cotisation (et implicitement l’âge de
liquidation) c’est aussi augmenter le risque de ne jamais atteindre la
retraite.

Ainsi si l’espérance de vie a
effectivement augmenté, les salariés ont été largement mis à contribution par
les réformes précédentes. Selon le Conseil d’orientation des retraites (COR),
les générations nées

 

après 1950 auront même pour la
première fois, du fait des réformes précédentes, un temps de retraite plus court
que celui de leurs ainés[3].C’est bien là un recul
social.

2.  L’effet principal de l’allongement de la durée de cotisation : la baisse des pensions liquidées à l’âge légal

Du fait de la
« décote », la durée de cotisation requise génère un effet de
« double peine » : la retraite baisse plus que
proportionnellement au nombre de trimestres manquants. Ainsi la décote peut
diminuer le taux de remplacement de la pension de 25% par rapport aux nombre
d’années effectivement cotisées. La décote frappe tous les salariés qui
n’atteignent pas le nombre de trimestres requis : soit en diminuant leur
pension, soit en les poussant à attendre l’âge de liquidation sans décote (65 à
67 ans selon l’année de naissance). En 2012, plus d’un salarié sur trois partant
en retraite n’obtenait pas de retraite à « taux plein » avant 65 ans
(26,5% liquidaient après 65 ans[4], 8% étaient concernés
par la décote)[5]. Or les effets des
réformes précédentes ne sont pas encore épuisés : un allongement de la
durée de cotisation est déjà programmé d’ici à 2020 alors même que rien
n’indique que les salariés seront en mesure de travailler plus longtemps.

Allonger la durée d’activité
requise c’est aggraver le problème : si l’on allonge la durée de cotisation
par exemple d’un an entre 2020 et 2035, tous les salariés qui ne réuniront pas une
année de cotisation supplémentaire seront pénalisés par cette double peine
(carrière incomplète + décote).
Par exemple pour un salarié ayant validé en
2035 entre 38 et 42 annuités à 62 ans (ce qui relève déjà de l’exploit) la
réforme coutera de l’ordre de 7 à 8% du montant de la pension si celle-ci est
liquidée à 62 ans (Tableau 1).

Tableau : Effet d’un allongement d’un an de la durée de cotisation
en 2035 pour une pension liquidée à 62 ans

annuités validées à 62
ans

Baisse de la pension par effet de la
réforme "43 ans en 2035"

37

-2.3%

38

-8.4%

39

-8.1%

40

-7.8%

41

-7.5%

42

-7.2%

43

0.0%

44

0.0%

Simulation faite par rapport à une situation de
référence de 160 trimestres requis à partir de 2020 (pas d’allongement après
2020). Le calcul se base uniquement sur le taux de remplacement, sans tenir
compte du minimum contributif. La perte est encore supérieure si on prend comme
référence la durée légale actuelle qui est de 41.5 annuités (pas d’allongement
entre aujourd’hui et 2020).Il s’agit là d’une illustration, en pratique chaque
cas individuel comporte des spécificités.

 

 

3.  Dans la majorité des cas ce ne sont pas les salariés qui décident de leur durée de cotisation

Le principe de l’allongement de
la durée de cotisation consiste à « inciter » les salariés à
travailler plus longtemps. Seulement dans bien des cas on ne choisit pas son
nombre d’annuités. En effet les périodes de chômage non indemnisé, les périodes
d’inactivités (qui concernent notamment les femmes) et les années d’études ne
sont pas comptés dans les « trimestres validés » ; le temps partiel se
traduit également par un nombre plus faible de trimestres validés.

De plus le marché du travail
fait pression sur les « seniors » pour les sortir de l’emploi avant
l’âge légal de la retraite. On sait bien que le taux de chômage des travailleurs
de plus de 55 ans est plus élevé que celui des 35-45 ans. Ainsi au moment de la
« liquidation » de leur pension, les seniors ont souvent connu
une longue période de chômage ou d’inactivité depuis leur dernier emploi ;
d’autres encore n’ont d’autre choix que de continuer à travailler alors que leur
santé est dégradée. Allonger la durée de cotisation peut les inciter à
rallonger encore cette période de précarité entre l’emploi et la retraite sans
qu’ils n’aient le choix de travailler plus.

Du fait des carrières
incomplètes et de l’allongement de la durée des études pour les générations nées
dans les années 1970, on sait déjà, d’après les projections du COR[6] que les générations
nées après 1960 partiront à la retraite avec en moyenne 39 annuités
validées.

 

En somme allonger la durée de
cotisation n’équivaut pas à faire travailler les salariés plus longtemps mais
dans bien des cas à toucher une pension inférieure ou plus tardive. Une étude du
CEPREMAP[7] réalisée sur les
réformes de 1993 et 2003 suggère 
par exemple que l’allongement de la durée de cotisation requise d’une
annuité, ne se traduisait en moyenne par un allongement d’activité que de 6
mois.

 

4.  Une réforme qui pénalise particulièrement les femmes

Les femmes, notamment du fait de
leurs interruptions de carrière plus fréquentes et qui sont plus concernées par
le temps partiel, réunissent moins de trimestres validés que les hommes. Même si
les écarts tendent à se réduire car l’activité professionnelle des femmes a
augmenté au cours des années 1970, les femmes parties en retraites en 2012
avaient validé en moyenne 36,25 annuités contre 39 annuités en moyenne pour les
hommes. Les femmes sont davantage concernées par la décote, moins concernées par
la surcote et liquident en moyenne leur pension plus tard que les hommes. Cet
écart les pousse à attendre 65 ans (et bientôt 67) pour liquider leur pension,
prolongeant ainsi une période de précarité entre fin de l’emploi et retraite. En
2012, 8,6% des femmes ont perçu une retraite avec décote contre 7,6% des hommes.
Mais pour échapper à la décote 33% des femmes partant en retraite avaient au
moins 65 ans contre 20% des hommes[8].

A chaque fois que l’on repousse
la durée d’activité requise on la rend moins atteignable pour les femmes et on
prolonge la période de précarité entre emploi stable et retraite. Par ce
mécanisme, même si l’âge légal n’est pas modifié, l’allongement de la durée de
cotisation requise signifie soit des pensions plus faibles, soit la
généralisation de la liquidation des pensions à 67 ans ou au-delà.

 

5.  Une mesure largement évitable

Le Premier ministre a affirmé
« qu’il n’y a pas d’autre solution » qu’un allongement de la durée de
cotisation[9]. Rien n’est moins vrai.
Selon les chiffres du gouvernement lui-même[10] l’allongement de la
durée de cotisation entre 2020 et 2035 rapportera seulement 2,7 milliards
d’euros par an en 2030 et 5,6 milliards d’euros par an en 2040. Et il n’y aurait
pas moyen d’aller chercher ces sommes ailleurs ? Quand il le veut le
gouvernement sait trouver bien davantage : pour ne donner qu’un exemple, le « Crédit d’Impôt
Compétitivité Emploi » 
(CICE) véritable cadeau sans contrepartie aux entreprises et sans utilité
économique va coûter 20 milliards d’euros par an dès 2016. On pourrait aussi
évoquer les 27 milliards d’exonérations de cotisations employeurs chaque année
ou les profits non taxés car ils sont détournés vers des paradis fiscaux, etc.

S’il y a bien des choix
budgétaires à faire, il est tout à fait faux de dire que l’allongement de la
durée de cotisation est inéluctable, il y a bien sûr d’autre choix possible, et
des choix courageux permettraient non seulement de ne pas allonger la durée de
cotisation mais encore de revenir sur les allongements décidés par les
gouvernements précédents.

Plutôt que de travailler plus vieux,
en mauvaise santé, organisons de vraies carrières complètes pour
tous

Le MEDEF et les libéraux,
entendus par les gouvernements successifs plaident pour un allongement
systématique de la durée de cotisation et de l’âge légal de la retraite. Dans le
même temps les entreprises poussent les salariés seniors vers la sortie, se
refusent à embaucher les salariés passé 50 ou 55 ans quel que soit leur
expérience, et multiplient les embauches de jeunes sous formes de contrats
précaires et de stages plutôt qu’en CDI. Ainsi on nous parle de cotiser 43 ans
dans un monde où l’emploi stable ne concerne que les 30-55 ans, c’est
absurde !

Au lieu de tirer sur la corde
part tous les bouts, en créant de la précarité et du chômage chez les jeunes et
tout en obligeant à travailler de plus en plus vieux dans des conditions de
travail dégradées, le gouvernement et les entreprises seraient mieux inspirés de
favoriser l’accès à un emploi stable dès la première embauche et un véritable
statut du travailleur salarié qui garantisse à chacun une carrière complète et
une progression salariale. Alors que la productivité augmente nous n’avons pas
besoin de travailler autant aujourd’hui qu’hier pour produire les mêmes
richesses. Plutôt qu’une société où certains sont essorés par 43 ans d’un
travail pénible tandis que d’autre passent trop de temps au chômage, le progrès
ne serait-il pas de retrouver le chemin du partage du travail entre actifs mais
aussi entre générations ?

 



 
[1]
Espérance de vie à 60 ans, série de
l’INSEE.

 
[2]
Indicateur d’espérance de vie en
bonne santé à la naissance, « ou années de vie en bonne santé » (AVBS)
disponible sur Eurostat :
http://epp.eurostat.ec.europa.eu/portal/page/portal/health/public_health/data_public_health/database

 
[3]
Rapport du COR 2013 p.91-92
http://www.cor-retraites.fr/IMG/pdf/doc-1993.pdf

 
[4]
Ils étaient seulement 18% en
2008.

 
[5]
Abrégé statistique de la CNAV
version 2012.

 
[6]
Conseil d’Orientation des retraites
p. 92. http://www.cor-retraites.fr/IMG/pdf/doc-1993.pdf

 
[7]
Bozio (2006),
CEPREMAP.

 
[8]
Pension de droit direct, chiffres
abrégé statistique CNAV 2012.

 
[9]
Discours sur la réforme des
retraites du 27/08/2013 :
http://www.gouvernement.fr/premier-ministre/discours-sur-la-reforme-des-retraites