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« D’Octobre 17 à Juillet 36, les Bolchos et les Anarchos ont-ils remis le peuple au boulot ? »

par Ferdinand

Publie le mardi 7 novembre 2017 par Ferdinand - Open-Publishing

Entretien avec la giménologue Myrtille Gonzalbo :

Myrtille Gonzalbo, giménologue qui interviendra lors de notre 4ème journée de commémoration critique du centenaire (http://www.cnt-f.org/subrp/spip.php?article1089), a accepté de répondre à quelques questions préalables sur la Révolution russe et ses mythes. Nous l’en remercions.

Au delà de cette interview, nous invitons celles et ceux que le sujet intéresse à se plonger dans son ouvrage de référence : Les chemins du communisme libertaire en Espagne 1868-1937 » (Editions Divergences, 2017)

A travers votre participation aux Giménologues et votre dernière publication vous revendiquez une démarche historique non académique. Pouvez-vous préciser la particularité de cette démarche ?

Les Giménologues sont un petit collectif d’amis devenus historiens amateurs en se dédiant depuis 2004-2005 à la publication des Souvenirs de la guerre d’Espagne d’Antoine Gimenez, alias de Bruno Salvadori, un milicien volontaire du Groupe International de la colonne Durruti, mort à Marseille en 1982.

On ne pensait pas se trouver encore sur le coup douze ans après. Nous avons d’abord réalisé un feuilleton radiophonique de dix heures avec des amis de Radio Zinzine à Forcalquier, et c’est en rédigeant les mises en contexte du récit que nous avons pris la mesure de la richesse historique de ce document. Cela nous a entraînés dans un passionnant cycle de recherches et de trouvailles dont nous ne sommes toujours pas sortis. Au vu de la taille finale de notre appareil critique, nous nous sommes bombardés « spécialistes » des écrits de Gimenez [1].

Depuis 2006, au cours de multiples tournées de présentations, nous avons fait des rencontres inattendues avec des anarchistes espagnols de plus de 85 ans, devenus des amis. La plupart étaient des anciens miliciens du front aragonais, qui avaient lu de près le récit d’Antoine. C’est ainsi qu’est né en 2016 le second ouvrage "A Zaragoza o al charco ! Aragon 1936-1938. Récits de protagonistes libertaires" (paru chez L’Insomniaque, voir en ligne), nourri de leurs histoires directement racontées (ou via leurs enfants).

La « giménologie » renvoie aussi à la méthode adoptée : nous attribuons une grande valeur historique aux écrits et aux témoignages des protagonistes [2] du processus révolutionnaire engagé dans ce pays depuis le milieu du XIXe siècle. Chaque parcours individuel est fort en soi et rappelle que les hommes et les femmes de cette époque étaient chargés d’un intense désir d’émancipation collective. Nous y voyons une illustration de la dynamique individu-collectif où le premier ne se dilue pas dans le second, propre au mouvement libertaire. Ensuite, autant que possible, nous confrontons les témoignages à d’autres sources (archives, presse), sans cesse alimentées par des personnes qui nous écrivent, et par l’amical réseau de mise en commun des données qui traverse, entre autres, le milieu libertaire ; sans oublier les riches centres de documentation de Lausanne et Marseille (CIRA).

Ainsi continuons-nous à puiser dans l’abondant matériau à notre disposition pour comprendre comment le mouvement communiste libertaire espagnol a pu focaliser en lui un tel espoir de révolution sociale dans les années trente.

Les traducteurs anonymes des Motions du congrès de Saragosse, qui contient la motion-programme sur le communisme libertaire adoptée en mai 1936, concluaient ainsi leur préface (rédigée à la fin des années 1970) :
"La CNT a […] rencontré à la mort de Franco une situation historique qui ne se reproduira plus : la possibilité de constituer une des premières organisations quantitatives de la nouvelle époque. Tout ce que la jeunesse comptait de révolte semblait se retrouver en elle, comme chez elle. […] Mais il aurait fallu […] entreprendre la critique de l’histoire de [la] défaite, [et] que [la CNT] s’attaque au centre moderne de l’idéologie : le travail. Il lui aurait fallu associer à toute revendication ayant le travail pour objet l’impérieuse nécessité de sa suppression. Il lui aurait fallu s’ouvrir à la critique du syndicalisme et de la vie quotidienne."

Décidés à participer à cette « critique de l’histoire de la défaite », il nous a fallu dépoussiérer une partie de l’historiographie anarchiste qui a trop cédé à la mythification, forcément réductionniste, tout en masquant bien des aspects du processus révolutionnaire.

Nous avons beaucoup appris sur le mouvement anarchiste espagnol depuis l’intérieur, sur sa richesse, ses audaces comme sur ses autolimitations. Et nous pensons qu’il y a toujours des enseignements à tirer pour aujourd’hui de la inédite tentative collective de sortie du capitalisme qui fut à l’œuvre en 1936-1937.

Nous sommes plutôt encouragés à continuer du fait que les souvenirs d’Antoine, ceux des autres protagonistes ainsi que le matériel documentaire présenté depuis douze ans reçoivent un très bon accueil lors des débats publics, notamment dans les lieux comme Notre-Dame-des-Landes. Et de manière générale là où des gens s’émancipent de la passivité ambiante, en ville comme en milieu rural, et s’engagent dans une démarche de rupture où mille activités se déploient dans un rapport au temps qui échappe (en partie) à celui du salariat. Ils s’intéressent particulièrement au contenu du projet communisme libertaire, aux pratiques sociales qui se mirent en place en Aragon, à la critique du salariat et du travail. Certains nous ont dit être heureux de pouvoir raccorder leur expérience à ce qui a été tenté par les anars des quartiers de Barcelone et des communes aragonaises.

La suite sur : http://www.cnt-f.org/subrp/spip.php?article1139