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Canal Seine-Nord : la catastrophe écologique et économique en route !

par Eve

Publie le samedi 19 octobre 2019 par Eve - Open-Publishing
6 commentaires

Le canal Seine-Nord relancé

Le projet de canal Seine-Nord, un temps mis en veilleuse à l’arrivée d’Edouard Philippe à Matignon pour des raisons budgétaires, avance vers sa concrétisation.

Conçu dans les années 1950, relancé en 1997 sans débat par le ministre Jean-Claude Gayssot, une première version de ce projet date de 2007. Prévu pour être réalisé dans le cadre d’un « partenariat public-privé », Bouygues et Vinci, les deux sociétés intéressées, ont fini par jeter l’éponge : l’opération n’est pas rentable.

En 2012, le nouveau gouvernement demande un rapport au Conseil général de l’environnement et du développement durable et à l’Inspection générale des finances. Sur le plan écologique, les prélèvements d’eau nécessaires n’ont pas été justement évalués et les risques de pollution des nappes phréatiques sont avérés. Sur le plan économique, le budget apparait avoir été fortement sous-estimé. Le rapport préconise de se réorienter vers le soutien au fret ferroviaire.

La conclusion logique eut été effectivement d’abandonner ce projet pharaonique et de se réorienter vers d’autres mesures de soutien à l’économie économiquement et écologiquement soutenables.

Pourtant, malgré tous les obstacles, notamment financiers, ce projet ubuesque s’est reconfiguré et il est en passe de voir le jour. Il est porté d’une part par le projet de l’Union européenne d’organisation des transports et de l’autre par des élus locaux.
Le canal Nord-Seine s’intègre dans l’un des neuf corridors -le corridor Atlantique- du Réseau trans-européen de transport. Il s’agit de favoriser les axes majeurs de circulation des marchandises, pas de soutenir la relocalisation des activités et l’économie des territoires.

Du côté des élus, la seule opposition vient d’EELV. Mais on n’entend guère les voix dissonantes. La majorité des élus, Xavier Bertrand en tête, ne cesse de mettre la pression sur le gouvernement.

En 2013 le projet est reconfiguré à la demande du gouvernement, sous l’égide du député du Nord Rémi Pauvros. Le coût du projet passe de 7 à 4,5 milliards d’euros, essentiellement par un tour de passe-passe : les plateformes multimodales, auparavant partie intégrante du projet, sont désormais laissées à l’initiative des collectivités locales. Le projet reste globalement le même et aucune réponse n’est apportée aux problèmes écologiques, à l’atteinte aux activités agricoles, à son absurdité économique.

Octobre 2019 : outre le financement européen (2 milliards d’Euros) l’Etat annonce que sa contribution va égaler celle des collectivités locales des Hauts de France, soit 1,1 milliards d’Euros. Cette décision remet le projet en route ; les travaux devraient débuter en 2022, pour une mise en service en 2028.

Malgré l’engagement de ses élus, le Nord a tout à craindre de ce grand chantier

Ce canal n’apportera pas le moindre début de réponse au marasme économique de la Région. Il est prévu pour faire circuler des péniches de grands gabarits (jusqu’à 4400 tonnes, le gabarit européen), qui ne feront que passer, pour exporter des céréales, acheminer des granulés et des conteneurs.

Les partisans du chantier font miroiter des promesses d’emplois, jusqu’à 50.000, sans donner la moindre explication sur le mécanisme de ces créations d’emplois. Au mieux, un peu d’activité serait générée sur des plateformes logistiques mais cette fonction de « plaque tournante » n’est pas susceptible de générer de nombreux emplois ni d’être un moteur pour l’économie locale. Encore faudrait-il que des capitaux privés viennent s’investir sur les plateformes multimodales.

L’argument de l’emploi local est aussi évoqué pour les travaux de construction, notamment en mobilisant des chômeurs au RSA ! Mais l’expérience prouve que les grosses entreprises qui gagnent les adjudications feront appel à des sous-traitants qui ont leurs propres réseaux de recrutement d’une main-d’œuvre à la fois qualifiée et bon marché, et que l’emploi local n’y gagne rien.

Par ailleurs les collectivités locales vont devoir s’endetter pour apporter le milliard d’euros qui représente leur contribution au projet. Précieuses ressources qui vont grever leur budget et ne pourront être mobilisées pour d’autres projets économiques locaux ni pour les services publics.

L’argument écologique, également convoqué pour justifier ce chantier, ne tient pas la route. Les transports routiers sont, et vont être de plus en plus, engorgés ; le transport fluvial -qui n’est pas non plus neutre écologiquement- va s’y ajouter et non s’y substituer. Seul un processus global de relocalisation de l’économie peut freiner le niveau des émissions liées au transport.

En revanche, les impacts environnementaux de ce grand projet sont passés sous silence. La ponction en eau risque de déstabiliser toute l’hydrologie de la région. Les masses d’eau considérables sont nécessaires pour le remplissage initial du canal (20 millions de m3), l’alimentation en continu et la constitution de réservoir pour permettre la navigation en période d’étiage (16 millions de m3). Les prélèvements se feront dans l’Oise, l’Aisne, les autres cours d’eau de surface et souterraine. Les risques, multiples, ne sont pas évalués et pourraient avoir des conséquences dommageables non prévues. Les évolutions climatiques, en particulier les épisodes de sécheresse, pourraient encore renforcer l’absurdité de ce projet.

Si les gros céréaliers sont chauds partisans du canal, qui devraient leur permettre d’abaisser le coût du transport de la tonne exportée, d’autres agriculteurs vont en subir les contre-coups : emprise foncière estimée à 1300 ha, plus 600 ha pour le dépôt des déblais (55 millions de m3 de terre déplacés, dont 30 millions de m3 d’excédents à déposer sur des terrains à proximité du canal)…

Pour une autre économie

L’absence d’esprit critique face à projet pose problème. Tout se passe comme si face au désastre économique de la région, n’importe quelle initiative est bonne à prendre.
Le Nord serait-il voué à n’être qu’une terre de céréaliculture tournée vers l’exportation et un vaste entrepôt de marchandises à destination de la région parisienne ?
N’y aurait-il pas lieu de faire œuvre d’imagination pour projeter un autre avenir pour la région, en explorant les pistes pour une économie territorialisée, répondant à de réels besoins humains, écologiquement soutenable ?

Face à la nouvelle crise financière qui se profile, il est important que les flux monétaires viennent soutenir l’économie réelle. De plus en plus de voix demandent que la création monétaire des Banques centrales soit affectée à la transition écologique plutôt que de maintenir à flot sans condition des acteurs privés qui continuent à se tourner vers la spéculation, plus lucrative.

Alors il importe de ne pas se tromper. La vigilance citoyenne est de mise pour ne pas laisser passer des projets, tels le Canal Nord Seine Europe, se parent de justifications écologiques pour rafler les financements disponibles.

Si ce chantier pharaonique ne répond en rien aux problèmes de la région, la navigation fluviale et l’usage des canaux déjà existants peuvent être des atouts pour rebâtir une économie à échelle humaine. Encore faudrait-il que les dits canaux soient entretenus…. Les choix économiques, les priorités d’investissement doivent discutés et contrôlés par les citoyens. Il leur appartient de s’emparer de ces questions dont on les tient à l’écart.

A travers la brume

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Messages

  • Braves petits écolos ! Je vous trouve très mignons ... Vos maisons en paille ou en terre, vos bicyclettes, vos jardins potagers, vos niaiseries douces et - hélas - durables et renouvelables, vos colibris qui essayent d’éteindre 78000 incendies en pissant dessus ... Vous êtes des génies et je bave d’admiration devant vos funestes prévisions.

  • Bonjour
    Enfin une voix courageuse dissonnante, car la plupart des opposants au Canal Seine Nord se font faits acheter, en particulier notre premier ministre qui a obtenu la construction de l’écluse Le Havre 2000 contre son silence bienveillant sans parler des députés soit-disant écologistes achetés par LREM.
    Le Canal Seine-Nord est une catastrophe financière, économique, sociale et écologique.
    Financière car hormis les dépassements budgétaires qui nous emmèneront au-delà de 6 milliards d’euros tout le monde oublie le fait qu’il va falloir détruire et reconstruire à 7m20 de hauteur libre tous les ponts du Nord-Pas de Calais au risque de dévier le trafic vers Valenciennes et isoler Lille et Dunkerque, il faut compter au minimum 4 milliards d’euros sans compter la difficulté énorme de couper temporairement l’autoroute du Nord à Dourges et le périphérique sud de Lille.
    Economique car nous allons gagner tout au plus 10 millions de tonnes de fret, à peine 5% du fret routier alors que nous aurions pu doubler le trafic actuel du Canal du Nord avec des investissements intelligents (infrastructures rénovées, modernisation de la flotte).
    Sociale car c’est la porte ouverte à la flotte hollandaise employant un sous-prolétariat d’europe de l’est qui envahira le bassin de la Seine et détruira la flotte française.
    Ecologique car nous allons massacrer 2 vallées :
    La vallée de l’Oise ou ce qu’il en reste en abaissant le niveau des eaux de 50 cm afin de pouvoir construire de nouvelles zones industrielles, commerciales et pavillonnaires sans aucun respect pour les nappes phréatiques et les zones humides.
    La vallée moyenne de la Somme car il n’y aura qu’un seul bassin entre Noyon et Marquion alors que les dénivelés sont de plus ou moins 50 mètres au moins, la vallée de la Somme au niveau de Péronne sera ensevelie sous une colline de 50 mètres de haut, de 300 mètres de large et de 20 kms de long, les secteurs surélevés (Ruyaulcourt par exemple) seront quant à eux traversés par des saignées de 50 mètres de profondeur sur 300 mètres de large.
    Tout cela n’empêchera pas le doublement de l’autoroute du nord, Vinci et les autres sont prêts.
    Au secours ils sont devenus fous !
    Demandons pardon d’avance aux générations futures !

    • J’ai oublié la cerise sur le gâteau : à l’image du Danube et du Rhin le canal Seine Nord serait doté d’un statut international indépendant du droit français !

    • Bon, le démarrage prévu des travaux est 2022, donc 2 ans pour tenter de mobiliser... Votre message amène des éléments complémentaires à l’encontre de ce projet... et on pourrait encore en trouver d’autres, notamment sur les coûts de fonctionnement de ce barrage qui risquent de ne pas être couverts par le passage des péniches, qui va payer la différence ?

      Mais il me semble que la meilleure manière de s’opposer à ce projet, c’est de bâtir des projets alternatifs pour relancer une économie locale. C’est aux habitants de la région de chercher des idées et de les élaborer....

    • Concernant la rentabilité du projet, les 10 milliards d’euros sont à fonds perdus même si les péages vont passer de 0.06 €/tonne (0.001 €/t/km sur 60 km) à 4 ou 6 €/tonne selon les différentes estimations, où est l’économie ?

      Ces nouveaux péages exhorbitants vont rapporter environ 100 millions d’euros par an selon une hypothèse optimiste de 20 millions de tonnes de fret transportés, ce qui couvrira à peine les coûts d’entretien et de personnel du Canal Seine Nord.

      Tout d’abord il faut enlever au canal son image idyllique, un canal est une insulte à l’environnement. Combien d’animaux se noient régulièrement dans nos canaux, même si les berges du Canal du Nord à moitié effondrées leur laissent plus de chances. Combien de kWh (de MWh plutôt) sont consommés pour remonter l’eau en permanence d’un bief à l’autre (chaque mouvement d’écluse représente un écoulement de plus de 5000 mètres cubes d’eau qu’il faut remonter avec des pompes car les ponctions sur l’environnement ne suffisent pas ) ?

      Mais le Canal du Nord existe et il faut l’utiliser.

      Une solution alternative consisterait à moderniser le canal actuel (les berges s’écroulent, les tirants d’eau ne sont pas respectés, les embâcles ne sont pas enlevées, les brêches ne sont pas colmatées) afin de permettre aux bateaux de le traverser sans s’arrêter pour ceux qui le désirent, ce qui représente 18 heures de navigation. Cela libérerait les temps d’attente aux écluses dans la journée, les gens pressés passant pendant la nuit. Les écluses sont déjà automatiques, il ne reste plus qu’à assurer un éclairage actionné par détecteurs et un balisage pour permettre l’assistance automatique à la conduite.

      La flotte actuelle a une moyenne d’âge supérieure à 60 ans, il faut financer son déchirage (destruction), subventionner sa reconstruction et pratiquer des tarifs de fret fluvial coercitifs et transparents.

      En effet les courtiers (par des détournements de facturations) et les chargeurs donneurs d’ordre (tonnages donnés à la route pour éviter que les prix du transport fluvial ne flambent) sont de connivence pour empêcher les mariniers de dégager les marges nécessaires à un tel financement.

      A cause de cette vie difficile et malgré son courage, la jeune génération s’est détournée massivement du métier, il faut la séduire à nouveau avec une rentabilité digne de ce nom, et non la remplacer par une flotte internationale employant un sous-prolétariat est-européen.

      A priori une telle approche aurait un coût d’environ 1 milliard d’euros pour un doublement possible du fret du Canal du Nord actuel, soit 8 à 10 millions de tonnes. Le fret fluvial, à l’exception des Pays-Bas, n’est qu’un fret de complément, il n’a ni la vocation ni le potentiel de remplacer la route ou le fer.

      Voilà une solution dont les autorités ne veulent pas entendre parler, car elle ne répond pas à la pression délétère de l’Union Européenne (surtout des Pays-Bas).

    • Votre message contient une proposition alternative à opposer au projet de canal.
      Puis-je la faire figurer à la suite de mon article sur mon blog A travers la brume ?

      Et pourriez-vous m’y laisser un message par le formulaire "contact", ce qui nous permettrait de converser directement ?

      Merci !