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Le voile est-il une obligation religieuse ?

par Mohammed Chirani

Publie le dimanche 10 novembre 2019 par Mohammed Chirani - Open-Publishing
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Mes chères sœurs et mes chers frères, beaucoup ont été choqués et m’ont demandé de me repentir suite à mes déclarations sur le port du voile sur Itélé et Europe 1. Certains ont même déclaré que j’étais apostat pour avoir falsifié le Coran. Tout d’abord, je tiens à souligner qu’il y a certes dans le Livre une obligation d’une tenue vestimentaire pudique, et notamment la poitrine. Mais l’obligation de pudeur s’applique également aux hommes. Par ailleurs, sachez qu’il y a quelques années, je croyais comme vous que le foulard, tel que porté aujourd’hui, était une injonction divine. Mais j’ai eu la chance de reprendre des études en islamologie et de lire le Coran sans le voile d’interprétations orientées de certains théologiens musulmans. Je vous propose donc cette courte analyse du verset du « dévoilement » transformé en verset du voilement (Coran 33.59).

Le verset que vous ne cessez de répéter pour prouver que le voile Hijab est obligatoire commence par l’injonction suivante : « Ô Prophète ! Dis à tes épouses, à tes filles, et aux femmes des croyants, de ramener sur elles leurs grands voiles ». Tout d’abord, je tiens à souligner que la traduction ne rend pas compte du verbe arabe « dana » qui veut dire baisser ou abaisser. En effet, il s’agit de baisser leur grand voile. Ce sens apparaîtra clairement à la lecture de la suite du verset « afin qu’elles soient plus vite reconnues et évitent d’être agressées ». La majorité des théologiens passent très vite sur cette partie du verset, car elle fait sauter en éclat tout l’argumentaire religieux du voile. En effet, il y a deux indications révélatrices dans ce verset. Premièrement, Il faut qu’elles soient reconnues, d’où la nécessité que le visage soit reconnaissable.

Deuxièmement, le but de cette injonction est d’éviter l’agression. On comprend donc qu’il y a des agressions de femmes voilées et que pour éviter l’agression il faut qu’elles soient reconnaissables afin de ne pas être agressées. La finalité du verset donc est de protéger la femme de l’agression. Ce verset est d’actualité car il dit aux femmes voilées qui subissent des offenses, agressions et exclusion de baisser leur voile des cheveux afin de ne plus subir de pressions. Étant donné que c’est un verset révélé dans des circonstances particulières, ses finalités sont la sécurité et la protection. Mais surtout je vous invite à méditer la fin du verset « Dieu est Pardonneur et Miséricordieux ». C’est par miséricorde qu’Il Veut votre protection et qu’Il vous pardonnera. Donc, suis je apostat pour avoir fait dire au verset révélé dans des circonstances particulières ce qu’il dit et pas ce que vous voulez lui faire dire ?
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Continuons le décryptage du verset 33.59 sur lequel se sont basés beaucoup de théologiens pour justifier le voile. Afin de mieux en cerner le sens, lisez la suite : « Certes, si les hypocrites, les malades du cœur (les pervers), et les semeurs de troubles à Médine ne cessent pas, Nous t’inciterons contre eux, et alors, ils n’y resteront que peu de temps en ton voisinage » (Coran 33.60).

Nous comprenons de ce verset qu’il s’agit là des trois catégories de personnes qui harcelaient les femmes à Médine : les hypocrites, les pervers et les fauteurs de troubles. L’obligation de se vêtir d’une certaine manière, « afin que les femmes soient reconnues pour ne pas être offensées », s’explique par la présence de ces « voyous » dans la ville.

Comme certains d’entre vous le savent, plusieurs versets sont rattachés à leurs contextes de révélations (Asbab Al Nuzul). Ce verset est lié à un événement spécifique, à des gens précis et à un lieu bien déterminé, c’est-à-dire, des agressions commises par des semeurs de troubles à Médine à l’encontre de la famille du prophète et les femmes des croyants. Ce verset doit être replacé dans son contexte historique et dans les circonstances particulières de l’époque. Le principe général à dégager de ce verset est « la protection de la femme » et nullement une façon de s’habiller. Il en résulte que le port du voile, tel que porté aujourd’hui, n’est ni un commandement divin, ni un critère d’islamité. Conclusion : conformément au dessein global de Dieu, l’application de ce verset dans notre époque signifie que les jeunes femmes musulmanes sont incitées à s’habiller normalement afin qu’elles soient protégées contre la pression, la marginalisation, la discrimination et l’exclusion. En exposant au risque les filles musulmanes dans ce climat d’islamophobie et de haute tension, ceux qui instrumentalisent le voile pour des questions identitaires et politiques, agissent inconsciemment comme les semeurs de troubles à Médine.
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Chaque verset du Coran doit être lu dans son contexte. Les 6.236 versets ont été révélés sur 23 ans de l’an 610 à l’an 632, au fur et à mesure des événements vécus par le prophète et ses compagnons. Tous les versets du Coran ne se valent pas. Certains sont historiques à valeur informative alors que d’autres sont universels. Certains ont un caractère obligatoire à leur époque et ne le sont plus dans la notre. Un verset affirme ainsi clairement que : « C’est Lui (Dieu) qui a fait descendre sur toi le Livre : il s’y trouve des versets universels, qui en sont la base, et d’autres versets qui peuvent prêter à des interprétations diverses. Les gens qui ont au cœur une inclinaison maladive vers l’égarement mettent l’accent sur les versets à interprétation » (Coran 3.7).

Il faut contextualiser le verset 33.59 dans le cadre de la bataille des Coalisés du nom de la sourate 33. En effet, Médine est encerclée en 627 par une large coalition de tribus polythéistes, sous le commandement de la tribu de Quraych, qui a chassé le prophète et ses compagnons de La Mecque. Les musulmans ont creusé une tranchée afin d’empêcher les armées ennemies d’avancer. Tous les hommes médinois ont été mobilisés aux abords de la ville, alors que leurs femmes restées seules, sont harcelées par les 3 catégories de voyous cités dans le verset 33.60. Les hypocrites, les pervers et les fauteurs de troubles ont alors prétexté de ne pas les reconnaître, d’où le commandement aux femmes de se vêtir d’une certaine manière « afin d’être reconnues et évitent les offenses ». C’est pour cela que je l’appelle le verset du dévoilement et non le verset du voile. A ceux qui me demandent d’où je tiens ma science, voilà la réponse en trois versets : « Il (Dieu) donne la sagesse à qui Il veut. Et celui à qui la sagesse est accordée, reçoit un bien immense. Mais seulement les doués d’intelligence s’en souviennent » (Coran 2.269). Nul besoin donc de me référer à des théologiens d’une autre époque ayant vécu dans un contexte politique, historique et sociologique différent du notre car « Il consiste en des versets clairs dans l’esprit de ceux à qui le savoir a été donné. Et seuls les injustes renient Nos versets » (Coran 29.49). Il suffit donc de répondre à l’appel de Dieu et faire usage de la Raison que certains ont cessé d’utiliser : « En effet, Nous avons rendu le Coran accessible pour la méditation. Y a-t-il quelqu’un pour réfléchir ? » (Coran 54.17).
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Le deuxième verset avancé par ceux qui estiment que le voile est une prescription divine est le suivant : « Dis aux croyantes de baisser les yeux et de contenir leur sexe ; de ne pas faire montre de leurs agréments (atours ou parures), sauf ce qui en émerge, de rabattre leur fichu sur les échancrures de leur vêtement. Elle ne laisseront voir leurs agréments (cachés ou intimes) qu’à leur mari, à leurs enfants, à leurs pères, beaux-pères, fils, beaux-fils, frères, neveux de frères ou de sœurs.. » (Coran 24.31). Nous comprenons de ce verset que Dieu laisse à la femme la liberté de faire apparaître ce qui fait partie de sa personnalité « ce qui émerge » (dont évidemment le visage et les cheveux), en évitant seulement l’exhibition provocante. Nous sommes loin des interprétations orthodoxes des salafistes. Il n’y ait nullement question de voiler la tête, il n’y a aucune allusion aux cheveux. Le fichu (Khîmâr), est mentionné comme moyen de cacher la poitrine, ce qui pourrait être traduit par « décolleté ». En bref, certains théologiens se sont arrogés le droit d’étendre le fichu (Khîmâr) aux cheveux. En effet, le voile couvrant les cheveux et même parfois le visage est une coutume répandu dans l’empire Perse. C’est Cyrus le Grand qui, dix siècles avant l’Islam, a établi la coutume de couvrir les femmes afin de protéger leur chasteté (voir photo d’une Statuette féminine perse mésopotamienne, tête voilée, époque néo-babylonienne, VII-VIème siècle avant J.C). Par le biais des invasions arabes, il se répand ensuite au travers du monde musulman. L’Empire abbasside qui s’installe sur les décombres de l’ancienne civilisation babylonienne absorbe d’anciennes coutumes perses dont le voile ou le jilbab. Durant cette période du XIIIème et IXème siècle, les hadith (dits du prophète) sont collectés et on voit apparaître les écoles juridiques de l’islam. Nombreux sont les théologiens d’origine perse, qui sont influencés par leur culture dont ils ont du mal à se détacher (Abou Hanifa, Al-Boukhari, Al-Tirmidhi, An-Nasaai, At-Tabari, etc).

Afin de comprendre le contexte de révélation de ce verset, il faudrait avoir une idée claire des coutumes des femmes à l’époque du prophète. Il suffit donc de parcourir les poèmes arabes avant l’avènement de l’islam pour se rendre compte que les femmes portaient des parures sur des parties intimes de leurs corps et se donnaient à des exhibitions provocantes. Le verset est donc une incitation à la pudeur. Ainsi le poète Nâbigha al- Dhubyânî proclame « Elle [t]’a regardé de l’oeil noir d’une jeune gazelle apprivoisée qui aurait porté un collier […]. Son teint est mat comme l’or natif et son corps, moulé en perfection, est comme un souple rameau ondulant [sous le vent]. Son ventre aux plis délicats se courbe avec grâce et sa gorge se gonfle sous un sein hardi. Ses hanches d’une ligne pure et ferme, s’achèvent par une croupe somptueuse et sa peau est délicate […]. Son voile était tombé, sans qu’elle eût dessein et elle le rattrapa, se cachant le visage d’une main passée au henné, onctueuse, dont l’extrémité des doigts, toute de flexibilité, fait songer à des baies de jujubier, etc ». Lisez ce poème, ensuite relisez le verset et son sens sera on ne peut plus claire.

Enfin, n’oublions pas de rappeler que la pudeur s’impose également aux hommes. Ainsi le le verset précédent affirme « Dis aux croyants de baisser leurs regards et de contenir leur sexe. C’est plus pur pour eux. Dieu est, certes, Parfaitement Connaisseur de ce qu’ils font. » (Coran 24.30)
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Les femmes à l’époque du prophète avaient le visage et les cheveux bien découverts. La preuve en est ce verset :« Il ne t’est plus permis désormais d’épouser d’autres femmes, ni de changer d’épouses, même si leur beauté te plaît.. » (Coran 33.52). Nous comprenons de ce verset que le prophète pouvait être attiré par la beauté comme tout homme. La poésie arabe d’avant l’islam nous apprend que les cheveux faisaient partie de cette beauté (Housn). Pour preuve, voilà un exemple qui mettra un terme au mythe d’une Médine constituée de femmes voilées. Cette histoire est extraite de l’exégèse du Coran de Muqâtil (t. 3, p. 47) : « Zayd épousa donc Zaynab et la connut. Mais il se plaignit peu après au Prophète de la froideur qu’elle lui manifestait. Le prophète décida d’aller chez elle pour la raisonner. Lorsqu’il la vit, il la trouva belle et attrayante. Ce fut là un décret de Dieu. Et le prophète rentra chez lui, le cœur empli de ce que Dieu voulut mettre d’elle. Lorsque par la suite Zayd vint à se plaindre de son épouse, le prophète lui dit :

Garde ton épouse et vénère Dieu.

Mais son cœur lui soufflait autre chose. Jusqu’au jour où il alla frapper chez Zayd. Zaynab apparut à l’entrée, vêtue d’une seule robe, pour lui dire que Zayd était absent. Il s’en revint chez lui en proie au désir, disant :

Gloire à Dieu le tout puissant qui dispose de nos cœurs !

Lorsque Zayd apprit de sa femme ce qui s’était passé, il alla voir le prophète et lui dit :

Permets moi de me séparer de ma femme.

Le prophète répéta :

Garde ton épouse et vénère Dieu.

Zayd repartit mais cessa tout commerce avec sa femme. Alors Dieu révéla : « Quand tu disais à celui que Dieu avait comblé de bienfaits, tout comme toi-même l’avais comblé : « Garde pour toi ton épouse et crains Dieu », et tu cachais en ton âme ce que Dieu allait rendre public. Tu craignais les gens, et c’est Dieu qui est plus digne de ta crainte. Puis quand Zayd eût cessé toute relation avec elle, Nous te la fîmes épouser, afin qu’il n’y ait aucun empêchement pour les croyants d’épouser les femmes de leurs fils adoptifs, quand ceux-ci cessent toute relation avec elles ». (Coran 33.37). La sagesse de ce mariage est révélé dans le verset qui suit : « Muhammad n’a jamais été le père de l’un de vos hommes, mais le messager de Dieu et le dernier des prophètes. Dieu est Omniscient » (Coran 33.40).
Nous retenons de cette histoire que le prophète a vu Zaynab et il la trouvé belle et attrayante. Il la vu habillée d’une seule robe et il a été en proie au désir. Conclusion : Zaynab avait au minimum les cheveux découverts.
PS. Je tiens à remercier tous ceux qui me soutiennent et m’encouragent. Je remercie particulièrement les femmes quelques soient leurs religions ou leurs convictions pour la qualité de leurs commentaires. Par ailleurs, je remercie celles et ceux qui ont exprimé leurs désaccords avec moi dans le respect et la politesse. Enfin, à ceux qui insultent, apostasient et calomnient, ma réponse est dans ce verset : « Les serviteurs du Tout Miséricordieux marchent humblement sur terre, et lorsque les ignorants s’adressent à eux, disent : « Paix » (Salam) » (Coran 25.63). PS. La déconstruction des autres argumentaires « religieux » du voile dans les prochains posts Inch’Allah.

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