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BOLIVIE - L’enjeu des services privés de santé derrière l’expulsion des médecins cubains.

par allain graux

Publie le dimanche 16 février 2020 par allain graux - Open-Publishing

Les médecins cubains expulsés 

Dès le 13 novembre, quatre coopérants de la mission cubaine des services de santé ont été arrêtés à El Alto. Comme au Venezuela, en Equateur, au Nicaragua et bien d’autres pays, Cuba a envoyé des missions médicales, des médecins et infirmières, du matériel médical, pour soigner et former les services de santé locaux dans ces pays où ils étaient insuffisants, en particulier pour les quartiers populaires et les milieux ruraux. J’ai vu personnellement leur remarquable travail au Venezuela dans des centres médicaux très bien équipés, mis gratuitement au service de la population, en échange de la fourniture de pétrole par l’Etat. 

Les coopérants cubains ont été accusés d’utiliser de l’argent retiré à un distributeur pour « financer des protestations contre le nouveau gouvernement ». Faute d’éléments probants, les quatre coopérants ont dû être libérés. Mais le but de cette provocation ridicule a été atteint : puisqu’il s’agissait de construire un récit permettant d’expulser les coopérants cubains. Cela permettait de satisfaire, au-delà de la dimension idéologique de l’opération, une opération en faveur des intérêts des services privés de santé, mécontents de la récente réforme, le SUS[1] mis en place en 2019 par le gouvernement d’Evo Morales à la veille des élections. Ce système de santé universel et gratuit, élimine le paiement par les patients et concurrence l’ancien système semi-privé de soins.

Le système universel de santé

Il repose sur une Assurance de santé unique, à couverture totale, assumé par l’Etat, qui devait progressivement cesser de financer les compagnies d’assurances privées. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a considéré cette réforme de la loi de santé intégrale nº 475 qui datait de l’époque néolibérale comme un « tournant » pour la Bolivie. Afin de la mettre en place, Morales avait eu recours aux coopérants cubains pour qu’ils couvrent les déficits de personnels médicaux en Bolivie. Cela ne faisait pas les affaires des entreprises du Groupe national Vida (Vie) qui restait néanmoins la principale compagnie d’assurance du pays, prêtant des services aux secteurs privé et public. C’était lui qui, dans le cadre de ces modalités d’assurance financées par le gouvernement, touchait le plus d’argent de l’État. Ce consortium avait été bâti dans les années 90, condamnait l’État bolivien à financer une famille possédante très connue de Santa Cruz... Le président et propriétaire du Groupe national Vida est José Luis Camacho Parada, père de Luis Fernando Camacho, meneur du Comité civique de Santa Cruz, le dirigeant chrétien fondamentaliste, raciste et ultra-néolibéral, qui a pénétré dans le palais présidentiel, la bible à la main au lendemain du coup d’Etat. La réforme du nouveau système de santé aurait provoqué à moyen terme la disparition des privilèges de cette famille. L’abandon de cette réforme provoquerait la perte graduelle de droits pour cinq millions de Boliviens et particulièrement pour la population la plus vulnérable.

L’accès à la santé. Plus de 35 % des Boliviens n’ont aucun accès à la santé et dans les campagnes et presque 50 % des gens n’ont jamais vu de médecin de leur vie. C’est relativement normal, compte tenu du fait qu’il n’y avait en 2016 que 14,1 médecins pour 10 000 habitants et juste 1,8 lit d’hôpital pour 1 000 habitants. Le domaine de la santé représentait moins de 6,9 % du PIB de l’État en 2016.

Médecines locales. Pour plusieurs raisons, le Bolivien aura plutôt tendance à se faire soigner chez un guérisseur traditionnel que d’aller voir un médecin allopathe. Il y a avant tout une raison économique à ce choix, mais il ne faut pas oublier une raison culturelle : le médecin allopathe sera souvent une personne blanche et ne parlera pas la langue de son patient, qu’il soit quechua, aymara ou guarani. Ainsi le Bolivien sentira généralement de la crainte à se faire soigner chez un q’ara, le Blanc possédant de l’argent.

Protection sociale. Il existe le « seguro básico » ou « assurance de base » auquel a droit tout salarié. Le problème est que les sociétés préfèrent engager du personnel au noir et ainsi payer moins d’impôts. C’est pourquoi rares sont les Boliviens qui avaient droit à une couverture sociale.

Retraite

Il existe depuis peu un système de retraite nationale qui, malheureusement, ne concerne que la population de plus de 60 ans (l’espérance de vie est de 68 ans…) et dont le revenu est à peine de 200 US$ depuis 2003.

 

C’est tout cela qu’il s’agissait de réformer et qui risque d’être remise en cause par un gouvernement de droite. C’est contre cela que les personnels des services privés de santé manifestaient à Sucre le 7 octobre 2019, deux semaines avant les élections, aux cris de à bas la dictature...

 

 

[1] Le Système de santé unique (SUS) Sistema Único de Salud (SUS)

http://allaingraux.over-blog.com/2020/02/bolivie-l-enjeu-des-services-prives-de-sante-derriere-l-expulsion-des-medecins-cubains.html