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Coronavirus : j’ai honte pour la France !

par Pierre-Marie Mauxion

Publie le vendredi 27 mars 2020 par Pierre-Marie Mauxion - Open-Publishing
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21 mars

Je viens d’apprendre la mort de mon grand père et je ne peux même pas aller lui dire un dernier au revoir !

Je ne peux pas car ce soir, je serai "au front" comme on le dit en ce moment. "Au front" ça veut dire, avec mes collègues, en réanimation pour m’occuper de 2 ou 3 patients (bientôt peut être 4) dans un état grave, tous sont atteints par le SARS-COV2 que l’on appel plus communément COVID-19.

Cette maladie est ce que j’ai vu de pire en 20 années d’activités hospitalières. Voir des patients s’étouffer en quelques instants si l’on ne les place pas sous assistance respiratoire, des patients de tout âge, sans antécédent particulier. Pour certains, les voir mourir en 20 minutes ! Et nous ne sommes pas encore à saturation, je n’ose imaginer les jours à venir ...

Mais ce n’est pas mon métier qui me révolte aujourd’hui, c’est la bêtise humaine.

La bêtise d’une partie de la population qui n’a pas compris la gravité de la situation en ne respectant pas les règles de confinement et qui a imposé au gouvernement de durcir leur application ! (certainement pas assez d’ailleurs)

La bêtise que je vois sur mes trajets quotidiens pour aller au travail : des familles allant au stade pour "faire un foot", des amis se réunissant pour faire un barbecue dans le jardin de leur immeuble, des attroupements devant les tabacs, ...

La bêtise de ces personnes ne trouvant rien de mieux que de voler des masques pour les revendre à la sauvette dans les rues de ma commune. Le port du masque devrait être INTERDIT en france sauf sur prescription médicale.

Ce qui me révolte aussi c’est le manque de courage de nos dirigeants, trop nombreux prenant exemple sur le capitaine du Costa Concordia dans leur gestion de la crise.

Où sont-ils en ce moment ? Personne sur le "front" ?

Que font les équipes municipales pour faire respecter la loi ? Certaines vont dans les rues faire de la pédagogie ou de la répression si besoin, mais combien ?

Que font les politiques pour nous donner les moyens d’agir ?
Un exemple simple d’hier soir, il restait 35 kits de tests COVID pour notre clinique, aucun aux Hospices Civils de Lyon, et nous avions plus de 40 prélèvements en attente sans compter les urgences arrivant de toute la région Lyonnaise (y compris des hôpitaux publics).

Et je ne parle pas du matériel médical, des moyens de protection individuel pour les libéraux et hospitaliers, des conditions de travail qui vont aller de mal en pire, ...

La prise en charge en SMUR, en réanimation, aux urgences est extrêmement spécifique et malheureusement le nombre de personnel formé est limité. Tous les renforts ne remplaceront pas un personnel spécialisé et connaissant son service !

Ce qui me révolte c’est ceux qui profitent de la situation pour faire leur pub, leur gloriole ou des polémiques politiciennes !

Alors que pendant ce temps, nous, les professionnels de santé, avec les autres oubliés : caissières, routiers, livreurs, forces de l’ordre, ... nous nous battons contre un ennemi invisible sans les armes ou protections adaptées.

Un exemple de manque de considération, pouvant paraître anecdotique mais lourd de sens : le parking de ma clinique (vide car les visites sont interdites) n’est accessible qu’à une petite partie du personnel ! Les autres doivent prendre les transports en commun (parfois plus d’une heure) alors que nous enchainons les gardes, que nous sommes couverts de virus, ...

Alors ce soir, ce sont les yeux plein de larmes et le coeur lourd que je serai à mon poste, mais avec la volonté de faire au mieux comme à chaque garde en laissant mes états d’âme au vestiaire ...


23 mars

Ce soir, j’ai dépassé le stade de la colère, j’ai honte...

J’ai honte pour la France !

Je ne voulais pas m’étendre sur le décès de mon grand-père. Le précédent post n’était pas fait pour être repris à une telle échelle et lu par autant de monde. Mais tous les messages que j’ai pu recevoir m’ont touché au plus profond de mon âme.

Au vu du contexte, avec ma famille, nous avons décidé de limiter au maximum le nombre de participants aux obsèques et de faire une plus grande cérémonie une fois le calme revenu dans notre pays. Je lui dirai donc au revoir plus tard...

Puis, ce soir, j’ai reçu un appel de ma mère pour m’annoncer une histoire effarante, l’histoire du traitement du corps de mon grand-père.

Mon "papy" est mort à l’âge de 89 ans, bien entouré par le personnel de son EHPAD. Nous ne pouvions être présents à cause du confinement en place depuis plusieurs semaines là-bas.

Le médecin ayant fait le certificat de décès a considéré, certainement à juste titre, qu’il est mort à cause du COVID ! Ce fût le début des soucis...

Dans un premier temps, son corps est resté à l’EHPAD tout le week-end dans le respect des règles d’hygiène en attendant sa mise en bière ce matin par les pompes funèbres.

Ensuite, contrairement à ce qui nous avait été annoncé, les responsables de l’EHPAD ont refusé que le cercueil reste sur place comme cela se fait habituellement, à cause de la notion de contamination au COVID... Cela nous a paru brutal, vu que le corps est resté sur place tout le week-end sans que l’on ne nous dise quoi que ce soit !

Les pompes funèbres ont donc pris en charge le cercueil et contacté une chambre funéraire qui a accepté de conserver le corps jusqu’à son inhumation mercredi.

Mais ce soir (lundi) à 19h30, la chambre funéraire nous appelle pour nous dire de venir reprendre le cercueil. En effet, ils refusent de le conserver car il est "contaminé" par le COVID...
Les responsables de la chambre funéraire ne nous proposent aucune solution, sauf de le conserver chez nous ! Et vu l’heure tardive, difficile de trouver une solution alternative.

Je me demande comment une telle situation peut se produire ?

Je me demande à quel moment, des personnes sensées travailler dans un domaine où l’humain est au centre, peuvent à ce point manquer d’humanisme et de savoir-être ?

Je me demande comment l’État n’a pas pris les dispositions pour éviter cette situation, comparable à celles vues sur les réseaux sociaux, au début de la crise en Italie ?

En tant que soignant, j’ai accompagné de nombreuses fins de vies, parfois de patients en "isolement septique". Et jamais je n’avais vu une telle peur (je suis trop jeune pour avoir connu dans les années 80 les premiers décès suite au SIDA).

J’en appelle à tous pour que, malgré la peur, nous gardions une once d’humanité dans le traitement de nos concitoyens, de nos malades, de nos morts.

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