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Coronavirus : hors de la Chine, point de salut ?

par Jean-Marc ADOLPHE

Publie le dimanche 29 mars 2020 par Jean-Marc ADOLPHE - Open-Publishing
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Le Premier ministre vient d’annoncer un « pont aérien » pour aller chercher, d’ici le 30 juin, 1 milliard de masques de protection en Chine. Faut-il vraiment s’en réjouir ?

Espérons que nous saurons un jour, dans quelles conditions et pour quelles raisons le gouvernement n’a nullement tenu compte du rapport des experts de Santé Publique France, rendu en mai 2019 « dans le cadre de la préparation à une pandémie grippale », qui portait notamment sur le besoin en masques.

Le Premier ministre, qui ment comme il respire, enfonce chaque jour le clou du déni : « je ne laisserai personne dire qu’il y a eu un retard, etc. etc. » Mais pour rassurer la populace (selon une enquête Ipsos, 56 % des personnes interrogées se disent insatisfaites de la gestion de la crise sanitaire du gouvernement), Edouard Philippe a annoncé mercredi dernier à la tribune du Sénat la signature d’un contrat géant portant sur l’achat de masques en Chine : « Nous avons prévu des avions-cargo qui iront en Chine chercher les masques. Ils sont prévus, ils sont affrétés. » Information confirmée hier par le ministre de la Santé. Selon Olivier Véran, la France a commandé « plus d’un milliard » de masques, précisant que les personnels soignants avaient besoin chaque semaine de 40 millions de masques. Ce dimanche 29 mars doit décoller un premier avion-cargo transportant 10 millions de masques. Pour arriver au milliard, sont prévues 14 semaines de rotation, ce qui nous mène selon mes calculs, jusqu’au… 30 juin. (Aux dernières nouvelles, le confinement est prolongé jusqu’au 15 avril, « au minimum… »)

Alors, de quoi se plaint-on : les masques arrivent. Mais pourquoi aller les chercher en Chine ?

« Comment la Chine, frappée la première par l’épidémie, a-t-elle été capable d’en produire autant ? », se demandait voici peu Libération. « Avant la crise sanitaire du Covid-19, elle fournissait déjà près de la moitié des masques de la planète, avec 20 millions d’unités par jour. (…) En un mois, le pays augmenté de 450 % sa capacité de production de masques pour atteindre aujourd’hui plus de 110 millions d’unités quotidiennes. « Seule la Chine a les moyens humains, matériels, et techniques de mettre en branle des usines pour produire une telle quantité de masques en si peu de temps, note le spécialiste Philippe Le Corre, auteur de l’Offensive chinoise en Europe. Ces ventes et ces dons de matériel médical pointent, en creux, les faiblesses de l’unité européenne. La Chine, elle, continue d’écrire son histoire. »

Selon l’agence Chine nouvelle, plus de 3 000 entreprises se sont mises à fabriquer des « masques, vêtements de protection, désinfectants, thermomètres et équipements médicaux » en plus de leurs autres productions. La plus grande usine de fabrication de masques chirurgicaux au monde se trouve à Rizhao, dans l’est de la Chine, rapporte L’Usine nouvelle  : « trois millions d’unités sortent de ses lignes de production chaque jour, soit environ 10% de la production chinoise. En comparaison, la France est actuellement en capacité de produire 6 millions de masques… par semaine, dans l’ensemble de ses usines."

L’une de ces entreprises, en France, est Paul Boyé Technologies, qui a relancé la fabrication de masques de protection respiratoire FFP2 dans son usine de Labarthe-sur-Lèze (Haute-Garonne), au sud de Toulouse. Paul Boyé Technologies avait déjà fabriqué ces masques pendant la grippe aviaire de 2006 et le virus H1N1 de 2009. En janvier, le début d’épidémie de coronavirus en Chine l’a convaincu de redémarrer une ligne de production pour l’exportation puis pour la France. Cette entreprise (dont le directeur commercial export faisait partie de la délégation conduite par Emmanuel Macron au Kenya et en Ethiopie, en mars 2019) est spécialisée dans la fabrication d’uniformes et de tenues de protection pour la police, l’armée et les pompiers. En juillet 2018, elle a remporté le marché de l’habillement des 270.000 gendarmes et policiers français de 2019 à 2022 (contrat de 248 millions d’euros sur quatre ans). A notre connaissance, un tel marché n’a pas été passé pour la production de masques : il est plus urgent de bien vêtir les forces de l’ordre ! Aujourd’hui, Aujourd’hui, Paul Boyé Technologies produit 500.000 masques par semaine. Dans Les Echos, son PDG regrette de ne pouvoir produire plus, faute de main d’œuvre. Forcément, son entreprise emploie 247 salariés à Labarthe-sur-Lèze et à Bédarieux (Hérault), et… un millier à Madagascar : comme indiqué par le blog lignesdedéfense, ce sont donc des ouvriers malgaches employés qui fabriquent les uniformes des gendarmes et policiers français, à l’exception des pulls et des chaussettes. (Pour mémoire, le salaire moyen à Madagascar est de 175.22 €. En 2019, Paul Boyé Technologies a réalisé un chiffre d’affaire de 90 millions d’euros.)

Le média vidéo Goldthread a pu visiter l’immense site de production de Sanqi Medical, ouvert en 1993. 800 ouvriers y travaillent jour et nuit pour répondre à la demande. La production a doublé en quelques semaines. L’assemblage se fait avec des matériaux venus d’autres usines du pays. © Goldthread

 En Chine, les usines à masques ont poussé comme des champignons. Durant les deux premiers mois de 2020, le pays a enregistré… 8950 nouveaux producteurs de masques sur son territoire, selon le site d’information sur les entreprises Tianyancha. « Une machine à faire des masques, c’est devenu une planche à billets », dit sans ambage Shi Xinghui, directeur des ventes d’une entreprise basée à Dongguan, dans le sud du pays. Sa marge bénéficiaire a été démultipliée, grimpant à quelques centimes d’euros par unité, contre moins d’un centime auparavant. « On produit 60 000 à 70 000 masques par jour. C’est comme fabriquer de l’argent ».

Le filon n’est pas passé inaperçu de certains géants de la pétrochimie et de la construction automobile. China Petroleum and Chemical Corporation a investi l’équivalent de 25 millions d’euros dans la fabrication de masques médicaux. Le magazine Auto Moto rapporte que le constructeur automobile BYD auto (basé à Shenzhen et notamment soutenu par l’investisseur américain Warren-Buffet) s’y est pareillement converti. Les 1 300 employés initialement dédiés à la production des voitures de la firme ont été sommés de produire environ 5 millions de masques chaque jour, et 300 000 flacons de désinfectant. SGMW et Saic Motor, fabriquent quant à eux environ deux millions de masques chaque jour. Dans certaines usines, les machines tournent 24 h / 24n et les ouvriers dorment sur place…

Pourquoi ce qui est possible en Chine ne le serait-il pas en France ? (Dans de tout autres conditions sociales, il va sans dire). Puisque, paraît-il, « nous sommes en guerre », pourquoi ne pas réquisitionner / nationaliser certains fleurons de l’industrie automobile et pétrochimique ? Il faut croire que pour Emmanuel Macron et son Premier ministre, « l’état d’urgence sanitaire » ne saurait aller jusqu’à de telle extrémités.

Au sein de l’Atelier Tuffery, à Florac, les couturières travaillent sur d’anciennes machines et assemblent chaque pièce à la main. © Photo : TUFFERY Au sein de l’Atelier Tuffery, à Florac, les couturières travaillent sur d’anciennes machines et assemblent chaque pièce à la main. © Photo : TUFFERY

Il eut encore été possible de massivement encourager, au plus près des établissements de soin, Ehpad, etc., des initiatives locales, comme celle de l’Atelier Tuffery, petite entreprise textile de Lozère qui s’est lancée bénévolement, à partir du 16 mars, dans la confection de masques pour pallier aux défaillances d’approvisionnement : « Nous en avons confectionné entre 1000 et 1500 en quelques jours, mais si on avait pu en produire 10 000, ils seraient tous partis », raconte Julien Tuffery patron de cette petite PME qui développe la plus ancienne fabrique de jeans en France, en défendant une production éthique et locale, respectueuse de l’environnement.

Tel est encore le cas du fondateur des espadrilles Payote, à Perpignan, qui a recyclé les toiles dont il disposait en stock pour confectionner des masques. En France, d’autres entreprises textiles se sont pareillement mobilisées. Il reste donc ici un savoir-faire qui n’a pas encore été vampirisé par la Chine ou d’autres pays encore moins regardants en matière de droits sociaux et de normes environnementales… Mi-mars, Agnès Pannier-Runacher, la secrétaire d’État auprès du ministre des Finances, avait lancé un appel aux entreprises de la mode et du luxe à soutenir la lutte contre le coronavirus en fabriquant des masques. Mais les PME qui ont répondu cet appel l’ont fait de façon désintéressée, le plus souvent en interrompant leur production courante. A notre connaissance, elle ne bénéficient à ce jour d’aucun dispositif gouvernemental de soutien spécifique…

Avec la méga-commande d’un milliard de masques annoncée par le Premier ministre, c’est donc, une fois de plus, la Chine qui se voit confortée dans sa position de « première usine du monde ». Les déclarations laissant croire que, « le jour d’après », il conviendra peut-être de penser à relocaliser en Europe, sont d’ores et déjà mortes et enterrées.

Lorsque Donald Trump qualifiait le Covid-19 de « virus chinois », en un sens, il n’avait pas tort. Sauf que ce virus, c’est nous qui l’avons fabriqué. La pandémie n’est pas partie pour rien de Wuhan,qui a poussé comme un champignon (toxique) à partir de la réforme économique chinoise des années 1980, et plus encore en 2009 avec la campagne Go Inland (« Allez à l’intérieur »), qui visait à y concentrer l’essentiel de l’activité manufacturière. Des investissements considérables en ont fait l’un des principaux centres de l’industrie lourde chinoise, et… le site d’implantation privilégié des entreprises françaises en Chine.

 

Pangolin. Pangolin.

Sans parler ici de l’exploitation des terres rares (production aujourd’hui contrôlée à plus de 95% par la Chine) , dont le désastre écologique n’est plus à démontrer, mais qui ne concerne pas directement la province du Hubei ; l’urbanisation et l’industrialisation de Wuhan et de sa région se sont faites à la hussarde, sans grand égard pour l’environnement. Même l’exceptionnelle réserve naturelle de Shennongjia, à… 470 kilomètres de Wuhan, commence à être affectée par la construction de nouveaux tronçons routiers (comme en Amazonie) : ce district forestier abrite les plus grandes forêts primaires qui subsistent en Chine centrale et sert d’habitat à de nombreuses espèces animales rares : le rhinopithèque de Roxellane, la panthère nébuleuse, le léopard, le chat doré d’Asie, le cuon d’Asie, l’ours à collier, la civette indienne, le porte-musc, le goral chinois et le saro de Chine, l’aigle impérial, le faisan vénéré et le plus grand amphibien du monde, la salamandre géante de Chine.

Comme écrit dans un long et passionnant article mis en ligne le 21 mars 2020 sur lundimatin.org, « le virus à l’origine de l’épidémie actuelle (SRAS-CoV-2), comme son prédécesseur de 2003, la grippe aviaire et la grippe porcine avant lui, a germé au carrefour de l’économie et de l’épidémiologie. Ce n’est pas une coïncidence si tant de ces virus ont pris le nom d’animaux : La propagation de nouvelles maladies à la population humaine est presque toujours le produit de ce que l’on appelle le transfert zoonotique, qui est une façon technique de dire que ces infections passent des animaux aux humains. Ce saut d’une espèce à l’autre est conditionné par des éléments tels que la proximité et la régularité des contacts, qui construisent tous l’environnement dans lequel la maladie est forcée d’évoluer. Lorsque cette interface entre l’homme et l’animal change, elle modifie également les conditions dans lesquelles ces maladies évoluent. Sous les quatre fours, se trouve donc un four plus fondamental qui sous-tend les centres industriels du monde : la cocotte-minute évolutive de l’agriculture et de l’urbanisation capitalistes. Il s’agit du milieu idéal par lequel des fléaux toujours plus dévastateurs naissent, se transforment, font des bonds zoonotiques, puis sont véhiculés de manière agressive dans la population humaine. À cela s’ajoutent des processus tout aussi intensifs qui se produisent en marge de l’économie, où des souches “sauvages” sont rencontrées par des personnes poussées à des incursions agro-économiques toujours plus étendues dans les écosystèmes locaux. Le coronavirus le plus récent, dans ses origines “sauvages” et sa propagation soudaine à travers un noyau fortement industrialisé et urbanisé de l’économie mondiale, représente les deux dimensions de notre nouvelle ère de fléaux politico-économiques. »

C’est ce même modèle économique, désastreux pour notre santé comme celle de la planète, que le Premier ministre encourage sans vergogne en envoyant une noria d’avions-cargo en Chine, chercher des masques de « protection » désormais massivement produits par des géants de l’industrie automobile et pétrochimique. Cherchez l’erreur…

Post-scriptum – Nul ne doute que les soignants, dont le désarroi allait grandissant face à la pénurie de masques, sauront baiser les babouches de Jupiter et de son premier chambellan. Jamais avare d’idées lumineuses, Gaspard Gantzer, ex-conseiller en communication de François Hollande, éphémère candidat à l’élection municipale parisienne avant de se rallier à la liste de La République en Marche, suggère d’« annoncer dès maintenant que des soignants défileront sur les Champs-Elysées le 14 juillet ». Où ils pourront crier : « On l’a eu ! ». Bien vu. Mais « on l’a eu ! », qui ça ? Le coronavirus, ou Emmanuel Macron ?

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