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Les trans-croissances émancipatrices du peuple

par Christian Delarue

Publie le mercredi 27 mai 2020 par Christian Delarue - Open-Publishing

Les trans-croissances émancipatrices du peuple.

Une brève introduction sur trois questions : transcroissance plurielle, pluri-émancipation, peuple sous diverses formes !

Ce texte part de l’idée que le souverainisme pose problème. Le problème principal tient dans la relativisation forte du caractère néfaste de sa classe sociale nationale dominante. Autrement dit, si la gouvernance de l’Union européenne est jugé maléfique pour les peuples de l’Union européenne il convient de voir que depuis 35 ans les gouvernements de droite et de gauche ont pu favoriser un double mal, social et environnemental. On n’a pu certes distinguer un souverainisme de droite s’appuyant sur la nation d’un souverainisme de gauche s’appuyant sur le peuple. Mais de quel peuple parle-t-on ? Peuple-nation ou peuple-classe ? Et selon quelle procédure ? Et que fait-on alors de l’internationalisme, de l’alter-européisme ? de l’altermondialisme ?

Parenthèse : L’ouvrage « Que faire de l’Europe ? Désobéir pour reconstruire » (Ed LLL 2014) évoque (page 104) la problématique « souverainisme de droite et souverainisme de gauche » entre Lordon et Sapir, ce dernier récuse la distinction puisque « sans souverainisme il n’y a pas de démocratie ». Mais quelle démocratie ? La démocratie réellement existante donne pouvoir aux élites néolbérales que ce soit au plan national ou au plan continental. Le 1% a la main, pas le peuple-classe !

La démocratie passe par plus de pouvoir pour le peuple-classe.

Reste alors l’idée de transcroissance s’appuyant sur du national-populaire avec souci d’ouverture. Refus de l’esprit nationalement étriqué, étroit, borné. Le national-populaire c’est le national construit par en-bas et je renvoie là au texte « Samir Amin, « national-populaire » et peuple-classe » (
https://blogs.attac.org/groupe-afrique/article/samir-amin-national-populaire-et-peuple-classe ) Mais quid de la dimension transnationale ?

Ce texte se veut une introduction brève à la notion de transcroissance sous plusieurs aspects.

Il y a alors débordement, gonflement, dépassement vers un au-delà du champ.
 Quel champ ? Quels champs ? Les champs sont ici multiples.
 De quel peuple ? Sans aller dans de multiples catégorisations venues de l’histoire on ne saurait ignorer qu’il existe plusieurs catégories repérées voire mobilisées dans les temps modernes.

Ce qui prend ici de l’ampleur c’est le peuple entendu comme large fraction d’en-bas, et avec son pouvoir qui vient potentiellement diminuer le pouvoir d’en-haut, de l’oligarchie et des élites dominantes rassemblées sous le 1%. Dynamique et transcroissance potentiellement émancipatrice donc !

Ce peuple-classe (tel est son nom - 1) prend de l’ampleur par la la lutte sociale, par sa capacité augmentée à intervenir ici, verticalement et ailleurs donc horizontalement, (I) Cette intervention sociale et démocratique tend à bousculer l’ordre dominant, pour le changer, ce qui implique une autre transcroissance plus qualitative (II).

I - TRANS-CROISSANCE HORIZONTALE ET VERTICALE des luttes

1 - Le terme de trans-croissance vient du champ social (les mobilisations collectives - cf 2) et signifie extension des luttes d’une région à une autre, d’un pays (nation) à un autre, voir d’une large transnationalisation ou mondialisation des soulèvements populaires (2011, 2019). On dira que cette première transcroissance est HORIZONTALE puisqu’elle passe d’un espace territorial à un autre .

Il existe (au moins) deux autres transcroissances politiques , l’une en terme de Peuple mobilisé , l’autre entre de système politique .

2 - La seconde trans-croissance des mobilisations collectives est à penser en extension VERTICALE, interne à l’espace donné, de la fraction de communauté (97, 98%, ou 99% d’en-bas) vers le tout (le 100%), autrement dit à l’intérieur même du pays par développement et renforcement du pouvoir du peuple-classe (empowerment collectif) pour atteindre la totalité du pouvoir reconnu au Peuple-nation ou au Peuple souverain.

Ces deux dernières catégories de peuple - Peuple-nation ou au Peuple souverain et d’autres encore - ne sont pas elles des fractions de communauté (comme le peuple-classe) mais forment chacune une pleine communauté . On a pu parler de « peuple-totalité » en terme analytique (in Le peuple existe-t-il ? ouvrage collectif).

Le peuple-classe compris comme large fraction de communauté relève lui en science politique de l’opposition peuple-élite. Cette opposition peut se comprendre de façon réformiste comme volonté d’alternance et de nouvelle régulation politique mais elle peut aussi s’entendre, dans un cadre marxiste, comme refus de la domination de la classe dominante (les élites néolibérales) par les différentes classes dominées.

Ce développement et renforcement du pouvoir (empowerment des 99%) se pense aussi en terme de contre-hégémonie gagnante du peuple-classe.

Le peuple-classe tend alors à devenir, par retrait, effacement ou abandon des classes dominantes, tout à la fois peuple-nation et peuple souverain. Cette consolidation des différentes catégories de peuple en un seul est rare. Elle suppose un processus révolutionnaire, une dynamique émancipatrice de grande transformation sociale et politique.

II - LES TRANS-CROISSANCES QUALITATIVES

3 - Une troisième transcroissance est ALTER-SYSTEMIQUE . Elle accompagne les deux premières transcroissance - horizontale et verticale - et elle vise le passage, la transition, ou la bifurcation vers un au-delà du système dominant. On pense au socialisme ou à l’éco-socialisme (le 4 ème scénarios de l’article de Fabien Escalona et Romaric Godin sur Mediapart ) ou au communisme compris ici non comme « mouvement réel d’abolition de l’ordre existant » mais comme société sans classe sociale, avec très forte diminution des inégalités sociales, des inégalités de genre, des oppressions diverses (racisme, sexisme, etc), avec des entreprises socialisées avec très forte réduction du temps de travail, etc

Le système dominant couple mondialement capitalisme (productiviste, extractiviste et travailliste) et patriarcat (capitalo-patriarcat ou hyperpatriarcat des intégrismes religieux). Il couple aussi logiques du capitalisme financier globalisé et entreprise impérialiste de la classe la plus dominante des différentes classes dominantes du monde. Il y a aussi les « seconds couteaux » de l’impérialisme dont encore notre classe dominante pour l’Afrique (ses derniers feux ?).

4 - Une autre transcroissance - une 4 ème - serait celle qui mobilise à partir d’un champs d’abord très circonscrit et, au début au moins, extérieur au monde du travail salarié, comme par exemple le souci d’une bonne consommation, d’un bon logement, d’un bon accès au service public de santé ou de transport de personnes ou d’énergies, etc... mais qui finit par faire le lien entre le hors travail et le travail salarié pour changer l’ensemble d’un dispositif.

On sait que depuis 1968 on a pu appeler « nouveau mouvement sociaux » (NMS) ces mouvements qui démarraient comme des mouvements périphériques et sectoriels et qui parfois finissaient par une remise en cause plus large. (2).

Signalons ici très brièvement l’existence d’INDECOSA-CGT , une association de défense individuelle et collective du consommateur salarié (secteur de la circulation marchande) en lien avec la défense des intérêts matériels et moraux du travailleur-salarié (homme et femme) dans le secteur de la production. Défense pouvant dans le cadre de la « double besogne » de la Charte d’Amiens déboucher sur une perspective d’autre chose (telle qu’évoquée au point 3).

Christian DELARUE

1) Renvoi à « Par le peuple, Pour le peuple. Le populisme et les démocraties » par Yves Mény et Yves Surel, Paris, Fayard, 2000, Coll Espace du politique.

Existe- t-il un peuple populiste se demandaient ces deux auteurs il y a 20 ans en étudiant les liens entre démocratie et populisme puisque la démocratie s’appuie sur le peuple qui pour certains n’existe pas puisqu’elle fait la promotion du gouvernement du peuple (kratos), par le peuple (démos) et pour le peuple (en principe mais c’est moins sûr) (1) ? Ces deux auteurs distinguèrent trois types de peuple : Peuple-nation et Peuple-souverain mais aussi Peuple-classe (mobilisé plus tard par moi-même) . Les deux premiers sont des peuples totalité alors que le peuple-classe est un peuple fraction .
Il y a de possibles chevauchements de sens quand le Peuple-nation recouvre le Peuple-souverain et quand il y a « transcroissance » interne (en soi-pour soi) du Peuple-classe en Peuple-nation et Peuple-souverain en période révolutionnaire (congruence rare des trois catégories de Peuple). Là, il n’y a plus opposition du peuple à l’élite du fait de l’ effacement de la classe dominante ou régnante .

2) Lire par exemple « Les mobilisations collectives une controverse sociologique »
Sous la direction de Pierre Cours-Salies et Michel Vakaloulis
Collection Actuel Marx Confrontation, PUF, 128 pages, 15 €.
Octobre 2003
note : http://actuelmarx.parisnanterre.fr/mob.htm

url :

http://amitie-entre-les-peuples.org/Les-transcroissances-emancipatrices-du-peuple-Christian-DELARUE

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