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Désabrahamisation de l’anthropologie : ouverture hors dogmes

par Christian DELARUE

Publie le mardi 4 août 2020 par Christian DELARUE - Open-Publishing
2 commentaires

Désabrahamisation de l’anthropologie

Anthropologie multigenrée de la dignité et de l’égalité. Ouverture hors dogmes.

(ATTAC : GR cultures & société)

Alerté par un article de Louise FESSARD sur Mediapart (1) on a pu apprendre que l’Eglise a produit début 2019 un texte (cf 1), sans doute d’importance, contre « l’idéologie du genre » . Ce texte du Vatican précise qu’ « il est nécessaire de tenir compte de la différence entre l’idéologie du genre et les diverses recherches sur le genre menées par les sciences humaines. »

Le sexe fait référence aux différences biologiques entre hommes et femmes (organes génitaux, hormones, chromosomes) alors que le genre renvoie à la culture. La séparation n’est pas stricte.

Le genre est (culturellement) conçu comme un système binaire ou bicatégoriel (féminin-masculin) hiérarchisé et pas simplement fondé sur des différences (2). L’infériorisation des femmes dans les anthropologies religieuses vient de l’insistance mise sur la capacité essentielle de procréation des femmes et du devoir qui en découle de faire des enfants et de les éduquer et ce - pour l’Eglise - dans le cadre d’une union sacrée. L’union est un élément central de « l’anthropologie chrétienne », une anthropologie plus idéologique que scientifique. Autre aspect important du genre : Cette construction sociale et historique bicatégorielle veut que tout ce qui apparait hors de ce binarisme soit méconnu et dévalorisé, dénié et réprimé. Exemple : l’homosexualité ou la transexualité.

suite sur mediapart ou sur :
http://amitie-entre-les-peuples.org/Anthropologie-multigenree-de-la-dignite-et-de-l-egalite

Messages

    • I - UNE ANTHROPOLOGIE THEOCENTRIQUE.

       Extraits : Le texte religieux poursuit : « La désorientation anthropologique qui caractérise de manière diffuse le climat culturel de notre temps a certainement contribué à déstructurer la famille par la tendance à effacer les différences entre homme et femme, considérées comme de simples effets d’un conditionnement historico-culturel. »

      Plus loin la critique se fait plus précise : « Dans les relations inter-personnelles, seule compterait l’affection entre individus, indépendamment de la différence sexuelle et de la procréation, considérées comme négligeables pour la construction de la famille. On passe d’un modèle institutionnel de famille – dotée d’une structure et de finalités indépendantes des préférences subjectives individuelles des conjoints – à une vision purement contractuelle et volontariste. » Or la finalité de la procréation et de la famille chrétienne dans une société sous emprise de la religion c’est Dieu.

      Pour les catholiques, c’est dans l’union (hétérosexuelle) de l’homme et de la femme que se réalise le plus parfaitement l’image de la Trinité. « L’homme et la femme, créés comme « unité des deux » dans leur commune humanité, sont appelés à vivre une communion d’amour et à refléter ainsi dans le monde la communion d’amour qui est en Dieu » . Cette anthropologie est dite théocentrique.

      Autre aspect plus politique justifiant une activité de groupe de pression : « La famille, en tant que société naturelle où réciprocité et complémentarité entre homme et femme se réalisent pleinement, précède l’ordre sociopolitique de l’État et la libre activité législative de celui-ci doit en tenir compte et lui donner une juste reconnaissance. »

       Analyse : On retrouve une anthropologie chrétienne - si l’on passe sur la difficulté de sa définition scientifique - qui centre sa focale non sur les individus dans un contexte à analyser mais 1) sur la capacité de procréation, puis 2) sur l’union sacrée d’un couple hétérosexuel (longtemps conçu comme inégal et les intégristes et autres conservateurs maintiennent cette inégalité) et enfin 3) sur la cellule familiale. 4) Ce dispositif anthropologique est tendu vers Dieu. Ce qui suppose une activité de soumission aux préceptes de la religion, préceptes déclinés par l’appareil religieux (hiérarchisé dominé par les hommes) et ce pour tous les âges et toutes les conditions sociales.

      Cette orthodoxie - procréation, union, famille, Dieu - permet à l’Eglise de reproduire nombre des interdits historiques (interdit de la sexualité avant le mariage, interdit de l’homosexualité, interdit de la masturbation, interdit des rapports sexuels hors volonté d’enfanter, etc) mais aussi de poser des spécialisations concernant le père charger de travailler (produire des ressources) et de protéger la famille (contre les maux divers) et la mère chargée de l’éducation des enfants et de la maison. Cette orthodoxie défend le mariage indissoluble, fustige le divorce. Les courants plus modernes de la religion chrétienne ont beaucoup aménagé le modèle traditionnel dans un sens plus souple et plus égalitaire. Mais l’orthodoxie subsiste.

      II - UNE AUTRE PERSPECTIVE

      Il peut dès lors apparaitre nécessaire de montrer qu’une autre perspective anthropologique, non théocentrique, plus ouverte, plus égalitaire, plus en affectation d’une dignité à tous et toutes sans privilège ni hiérarchie est pensable et possible. Et même actuelle et positive si l’on suit la thèse du « basculement anthropologique » (de Jérôme Fouquet)

      Alors que la plupart (1) des anthropologies religieuses, au-delà de leurs différences, placent la véritable dignité hors de l’être humain en Dieu, l’humanisme athée réincorpore la dignité au coeur de l’humain. Pour Feuerbach, les théologiens chrétiens ont pensé ce qu’il y a avait de plus beau, mais en mettant ces valeurs en Dieu, ils en ont dépouillé l’homme. L’athéisme humaniste défend la volonté de préserver la dignité essentielle de l’être humain réhabilité. Cet humanisme philosophique sera contesté par la critique anti-spéciste.

      Certes, cette entreprise anthropologique athée humaniste a pu se faire dans un cadre culturel ancien patriarcal, bien soutenu pendant des siècles par l’Eglise, qui maintenait de multiples hiérarchies au profit de l’homme hétérosexuel et du père de famille :
       D’abord une hiérarchie dans la famille avec l’homme c
      omme chef de famille (détenant le compte bancaire au XX ème siècle) et la femme comme devant s’occuper des enfants en restant à la maison, soit une division sexuée des fonctions qui définit le patriarcat ancien qui perdure ainsi qu’une anthropologie genrée, hiérarchisée et inégalitaire.
       Ensuite une hiérarchie hors de la famille, dans la société avec l’hétérosexualité comme seule norme acceptable (conduisant au mariage et pas à la sexualité hors du mariage : thème de la virginité des femmes, de l’abstinence des hommes et du refus de la masturbation). Une tendance contemporaine existe et se fait entendre - LGBTQI - pour faire reconnaitre les personnes homosexuelles et trans mais elle se heurte à un contre-mouvement réactionnaire très puissant et très violent puisqu’on assiste à de nombreuses violences contre les homosexuels, les lesbiennes et les trans. Hors des violences physiques, il y a encore les insultes et les discriminations diverses.

       ENJEUX D’UNE ANTHROPOLOGIE MULTIGENREE :

      La femme n’est pas inférieure à l’homme, même si elle est lesbienne, même lorsqu’elle n’est pas mariée (célibat prolongé), même lorsqu’elle travaille, même lorsqu’elle est tête nue et en jupe courte. Elle peut avoir vocation à diriger une entreprise et des hommes. Une femme qui trompe son mari n’est pas plus coupable et punissable que si c’est un homme qui va voir ailleurs. Et l’exclusivisme dans le couple n’est plus ce qu’il était car le droit se montre nettement plus compréhensif que jadis. Quant au mariage il n’est plus indissoluble . On a le droit de divorcer. Il y a aussi le droit à la contraception et à l’IVG.

      Quand aux prostituées elles demeurent des personnes au-delà de leur activité (refus de la putophobie) et ce sont les clients et les proxénètes qui sont visés comme acteurs de reproduction d’un système prostitutionnel violent imposant la soumission du corps des femmes à la sexualité tarifée des hommes (le plus souvent).

       ENJEUX D’UNE « UNIVERSALISATION INCLUSIVE ».

      Au-delà de l’anthropocentrisme, avec l’universalisation de la dignité, donc en inclusivité à l’égard des animaux non humains, donc au plan théorique au-delà de Feuerbach et de son humanisme, c’est toute la spéculation anthropocentrique chrétienne qui déborde de la science anthropologique par un ajout théologique (récit sur l’au-delà). L’anthropologie chrétienne forme un oxymore.

      La séparation radicale entre humanité et animalité a été vigoureusement critiquée par la science. Le spécisme - supériorité de l’espèce humaine - est un préjugé contre la raison. On voit dans le spécisme une volonté de rester dans l’ignorance mais aussi l’origine d’un mépris de la nature, un mépris des autres êtres vivants, une justification pour exploiter les animaux et l’environnement, etc.

      Selon Claude Lévi-Strauss :

      « On a commencé par couper l’homme de la nature, et par le constituer en règne souverain ; on a cru ainsi effacer son caractère le plus irrécusable, à savoir qu’il est d’abord un être vivant. Et en restant aveugle à cette propriété commune, on a donné champ libre à tous les abus. Jamais mieux qu’au terme des quatre derniers siècles de son histoire l’homme occidental ne put-il comprendre qu’en s’arrogeant le droit de séparer radicalement l’humanité de l’animalité, en accordant à l’une tout ce qu’il refusait à l’autre, il ouvrait un cercle maudit, et que la même frontière, constamment reculée, servirait à écarter des hommes d’autres hommes… »

      Il apparait fortement aujourd’hui en Europe une tendance non-speciste montante à pleinement considérer les animaux non humains, donc à généraliser les notions de respect, de dignité, d’égalité (universalisation pré-citée). On évoque alors la « sentience » (néologisme de l’éthique animale - capacité à ressentir la souffrance d’autrui) et le droit du vivant.

      Enjeu : les droits humains seront-ils préservés ? A priori oui même renforcés sauf ceux qui justifient un rôle prédateur de l’être humain. Dira-t-on que la diminution du sexisme et du racisme ne diminue pas les droits humains y compris ceux des hommes. La diminution du spécisme ne devrait pas plus les diminuer.

      Christian DELARUE

      1) Le Vatican ne veut « rien lâcher sur la question de l’anthropologie chrétienne » Louise FESSARD - 14 JUIN 2019 sur Médiapart
      https://www.mediapart.fr/journal/france/140619/le-vatican-ne-veut-rien-lacher-sur-la-question-de-l-anthropologie-chretienne

      2) Introduction aux études sur le genre (2e édition) De boeck - Sebastien Chauvin, Alexandre Jaunait, Anne Revillard Laure Bereni

      A noter - au plan de la philosophie des religions - que dans les religions « animistes » (africaines, asiatiques, américaines, etc.), les religions chinoises (confucianisme, taoïsme), les religions indiennes (hindouisme, bouddhisme, jaïnisme) spécialement intègrent complètement les animaux et les humains dans l’univers, sans rupture de continuité, tous les êtres étant dotés d’une même âme, d’un même principe vital (d’un même « vouloir vivre » selon le philosophe Schopenhauer).

      Robert Stoller (1924- 1991) distingue part biologique et part psychologique des identités féminines et masculines. Margaret Mead (1901 - 1978) évoque elle des rôles sexuels qui dénaturalisent les identités sexuelles.

      Difficultés et tâches d’une anthropologie chrétienne - Persée
      https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1993_num_67_2_3226