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Le chanteur Morice Benin nous a quittés (1947-2021)

Publie le jeudi 21 janvier 2021 par Open-Publishing
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En 1991, le chanteur Morice Benin sortait son album intitulé ’Essentiel’, un titre qui résonne furieusement en ces temps troublés où les gouvernements montrent une fois de plus, une fois de trop, leur détestation des artistes, en prenant pour prétexte la crise sanitaire. L’artiste qui a débuté en 1967 n’a pas attendu les collapsologues pour chanter le saccage de l’environnement par la folle industrialisation.

Le grand public n’a pas oublié ses passages mémorables de 1987 à 1991 au Théâtre Dejazet et à l’Olympia. Mais il faut insister, le chantre écolo a chanté jusqu’à sa mort, dans toute la France mais aussi à l’étranger. Pour lui, les pays n’existaient pas. Il le chantait, le clamait en français et en esperanto.

Morice Benin nous a quitté le 19 janvier 2021. Mais son chant va nous accompagner encore longtemps.

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Messages

  • Bonjour
    Après avoir fait un stage d’atelier écriture chanson avec Morice Benin dans l’Hérault, j’avais écrit une nouvelle sur lui et je viens de découvrir à l’instant qu’il nous a quitté. Perte d’un grand poète. Voici la nouvelle. Christian

    L’insoumis

    Dieu s’éveille de bon matin entouré par Ses ombres. Il a bien dormi. Les nymphes ont été gentilles cette nuit. Pas de cauchemar sur l’humanité. Tout-va-bien !
    Pourtant, dans le néant insondable, l’éternité Lui pèse. Il ne déjeune pas ce matin comme à son habitude d’un appétit cosmique. Le moral est bon pourtant mais Dieu s’ennuie quelques micros secondes. Il lui manque quelque chose. Comme il n’est jamais à court d’idée, Il se dit : « Tiens, je vais envoyer un petit rêve dans l’espace, un tout petit désir de rien du tout, une inspiration divine quoi ! »

    Cent milliards de milliard d’années plus tard, un petit pouf dans l’Esprit de Dieu, le petit Morice se promène dans Paris, près du Sacré-Cœur. Il ne sait pas qu’il est un rejeton d’une idée diabolique : la vie. Il ignore, comme tous les autres d’ailleurs, que l’Eternel, l’Incréé, entendez l’Inexplicable, souffle au cœur même de son ventre et malgré lui, emporte ses poumons vers le ciel et les tire vers la terre dans une danse amoureuse. C’est un être vivant dans un dessein animé !
    Le petit Morice marche d’un pas joyeux, nonchalant, sautillant comme un jeune chevreau sur les rochers des trottoirs de Paris. Il vient d’arriver du Maroc avec toute sa famille. A peine avait-il posé le pied dans la rue Montmartre qu’il s’est échappé du petit appartement vétuste où les siens avaient atterri. Et le voilà tout seul dans un monde inconnu, débordant de curiosité, tel un explorateur avide de trésors à découvrir.
    Le petit Morice a bien dormi pourtant. Pas de cauchemar. Il n’a pas déjeuné ce matin comme à son habitude d’un appétit d’ogre. Le moral est bon. Il ne s’ennuie pas, contrairement à certain, haut placé, et pourtant il lui manque quelque chose. Il ne sait pas ce que c’est mais cela ne l’inquiète point. La nuit commence à tomber lentement mais il ne s’en rend pas compte. Il a beaucoup marché et emplit ses yeux comme un ciel se gonfle d’étoiles petit à petit et explose de lumières.
    Tout à coup, un grand moustachu se plante devant lui. On dirait Dieu en personne tellement il est énorme. Morice fait volte face et s’enfuit mais la main du colosse le stoppe dans son élan et il se retrouve en train du faire du trapèze entre les paumes géantes.
      Alors gamin, dit-il d’une grosse voix, qu’fais-tu là à ct’heure ?
      Vous pouvez pas me poser ! supplie Morice.
    Le grand homme lâche son emprise en retournant sa proie vers lui. Il pose Morice sur le plancher des vaches. Non ce n’est pas Dieu, se dit Morice, Dieu ne mâche pas ses mots lui avait dit le grand rabbin.
      T’as plus d’crèche, mon bonhomme, demande l’ogre.
      Heu, je me promène, bafouille Morice.
      T’as pas vu qu’fait nuit !
    Morice prend conscience de la nuit. Il s’est laissé emporter comme au cœur d’une danse par les couleurs, les lumières, les artistes assis en train de peindre tout autour du Sacré-Cœur. Il s’est perdu dans les portraits, les tableaux, les images, les gravures, la musique. Ah la musique ! Morice fait face au grand homme et répond :
      Je crois que je me suis perdu, monsieur, répond-il avec un large sourire timide.
    Morice n’a que huit ans. Il est un peu frêle, un peu rêveur, un peu bohème, un peu beaucoup Morice. Ce gamin n’a pas peur de moi, se dit le grand homme. Il a l’air très éveillé. On dirait mon petit Paul il y a quarante ans.
      Viens moussaillon, on va t’le retrouver ton bercail. J’m’appelle Hugo.
    Il lui tend ses immenses pognes et l’entraîne au café des arts à deux pas de là. Morice lance sa main et disparaît dans celle du géant.
      Salut la compagnie, dit Hugo en poussant la porte. J’vous amène un p’tit d’homme qui n’en paraît pas. Y’a d’l’avenir dans ce gamin, moi j’vous dis. J’vous présente Morice.
    Et tous viennent voir le futur prodige.
      Donne-moi ta main Morice ! dit la vieille Irma avec tendresse et l’entrainant vers une table.
    Elle regarde, palpe, ferme les yeux, soupire, glousse, mâchonne des mots incompréhensibles dans une langue secrète et s’exclame :
      Mais c’est qu’il dit vrai, le père Hugo, ce gamin, c’est un futur petit génie !
      Comme nous tous, pouffe un vieux soulard !
      Oui, répond la vieille, sauf que lui il a quelque chose que vous n’aurez jamais : il a l’amour inconditionnel de sa mère.
    La vieille se tait et plonge dans les yeux de Morice. Elle ajoute :
      Sauf que le petit il ne le sait pas !
      Vous avez dit quoi, demande Morice, complètement enchanté par la musique, les rires, la danse et l’ambiance.
      Rien, dit la vieille. Si… tu vas devenir un grand homme, petit d’homme, ajoute-t-elle avec profondeur. Hé, venez voir bande d’artistes à la semaine. Voyez, ce mioche, et bien un jour il vous clouera le bec avec son art.
    Soixante ans plus tard, Morice Bénin se souvient de la vieille Irma. Il n’est pas devenu un grand homme. Il a fait mieux, il est resté ce qu’il a toujours été, un insoumis, un troubadour. Il s’apprête à écrire sa cinq cent cinquante deuxième chansons. Il se pose devant sa guitare, celle-là même donnée un soir de hasard par un certain Hugo en souvenir de son petit Paul parti trop tôt. Il écrit : L’amour est sans attente, l’attente est sans amour, le piano en velours lançait ses notes ardentes…
    Sa femme rentre et regarde les premiers vers posés. Elle l’interpelle :
      Super, mais tu ne m’avais pas dit que tu allais écrire une chanson sur la terre, tu sais celle qu’on hérite de nos enfants ?
    Dieu se lève dans la lumière de bon matin. Les nymphes ont encore été gentilles. Pas de cauchemar sur l’humanité malgré les prophètes assassinés. Il a bien déjeuné. Le moral est bon. « Tiens, se dit-il, où en est mon inspiration divine d’hier matin ? Il écarte l’espace infini d’un revers de la main, tire un coin du voile de l’éternité et observe… « Tiens, se dit-il encore, le petit Morice, je l’avais bien programmé pour chanter du flamenco dans les arènes, si mes souvenirs sont bons ! Qu’est ce qu’il mijote ?
    Dieu descend un œil… Hum, c’est sympathique, se dit Dieu en tendant l’oreille cette fois …. N’oubliez pas, dit la chanson, de laissez cet endroit propre comme il était quand vous êtes arrivés…, n’oubliez pas de rendre cette terre, un peu près aussi belle qu’à l’arrivée… »
    « Dans le fond, se dit Dieu, j’aime bien les insoumis, même s’ils n’en font qu’à leur tête. Eux au moins, ils sont créatifs. » Et Il referme le voile d’Isis.
    « Tiens, se dit Dieu, si je veux sauver le monde, je ferai bien de faire entrer bien plus d’insoumis sur la terre. Je vais y réfléchir. »
    Le Tout puissant s’en retourne vaquer à ses occupations avec un petit air de musique dans l’Esprit. « N’oubliez pas… »
    Non, Dieu n’oubliera pas, il a trop fait la sourde oreille !

    Christian Boscus 12 septembre 2012