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Un vieil article qui reste d’actualité : "Sarkozy l’Italien"

par Roberto Ferrario

Publie le mardi 2 mars 2021 par Roberto Ferrario - Open-Publishing
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jeudi 9 avril 2009

Le meurtre perpétré par les fascistes de Sergio Argada le 20 octobre 1974 a Lamezia Terme

de Bellaciao

- Avertissement -

Comme vous le savez peut-être, nous sommes un collectif Franco-Italien.

Nous avons toujours un œil sur la vie politique italienne et l’autre sur la vie politique française.

Dernièrement, nous sommes souvent troublés par les nombreuses coïncidences, par les échos, que l’on trouve d’une ou de l’autre chez le voisin transalpin, parfois avec plusieurs décennies de retard (ou d’avance ?).

Évidemment, "comparaison n’est pas raison", et ce court article n’a pas d’autre prétention que de faire ressortir certains points qui nous ont semblé saillants. Cependant l’étude attentive de faits historiques, l’analyse d’éléments même apparemment anodins, la comparaison de la vie politique et de ses acteurs ici et là bas est particulièrement éclairante de notre point de vue, surtout ces dernières années.

Il nous semble qu’il y a une vraie filiation entre l’Italie et la France. Pour des tas de raisons. C’est que notre histoire est liée, sinon commune depuis toujours. Combien de peintres, combien d’intellectuels, combien de monarques, combien de cardinaux, combien de princes ou de courtisans italiens en France ? Et combien de guerres ? Le Roi de Rome n’était il pas le fils de Napoléon ?

Plus proche de nous, à titre d’exemple, la séquence de la décadence puis de la refondation communiste du PCI, l’unité entre communistes de divers horizons, la récente scission entre Vendola-Bertinotti vs Ferrero nous semble un des prismes pertinents pour faire un peu de prospective politique ici en France concernant le PCF, le "Front de gauche" etc. Peut-être pas plus que la vie politique allemande et Die Linke, mais au moins autant.

L’un des fondateurs et porte-parole de notre collectif, R. Ferrario, militant du Partito della Rifondazione Comunista, a grandi à Milan dans un des faubourgs les plus pauvres de la banlieue ; il a vécu sa jeunesse pendant les "années de plomb" comme militant d’Avanguardia Operaia puis de Democrazia Proletaria. Fils et petit-fils de militants communistes, descendant d’un des "Mille", (compagnons de Giuseppe Garibaldi), viscéralement anti-fasciste, il a été de tous les mouvements de cette époque, et il jette un regard particulier sur la vie politique française actuelle, qui n’est pas sans lui rappeler beaucoup de souvenirs.

Aussi avons nous décidé finalement de jeter ensemble ces quelques réflexions qui traversent toutes nos discussions depuis des années, dans un petit article que nous avons intitulé "Sarkozy l’Italien".

L’explication de ce titre en forme de provocation suit...


"Sarkozy l’Italien"

On surnommait volontiers Mitterrand "Le Florentin", tant la lignée d’experts en intrigues et manipulations issus de cette belle ville italienne est longue..(Machiavel, Laurent de Médicis, Catherine de Médicis,...)

Mais à bien y regarder, Nicolas Sarkozy semble lui aussi très attiré par l’Italie, et ce qu’elle a pu fournir (et fournit encore) de personnages politiques complexes, roués, habiles à brouiller les cartes, culottés à l’extrême, hâbleurs, beaux parleurs, ne redoutant ni de devoir se courber ni de devoir porter le coup de dague dans le dos...

Qui veut la fin voulant les moyens.

Ce "tropisme" italien, ça ne date pas d’hier.

Bon, lui, il voudrait se faire passer pour un Kennedy - mais il ressemble beaucoup plus certainement à ses amis italiens, dont Berlusconi, un vieux copain qu’il serait la première personne à avoir appelée le soir de son élection à la Présidence de la République.

Il faut dire qu’avec le Yacht de V. Bolloré, les Ray Ban, le Fouquet’s, on est plus proche du luxe et de la provocation qu’affectionne "Sua Emittenza" que du chic feutré BC-BG très "Ralph Lauren" de Hyannis Port...

Ce que Berlusconi a en pouvoir réel tiré de ses propriétés privées de chaînes TV, de clubs de foot, de promotion immobilière, Sarkzoy lui le tient directement des institutions de certaines collectivités locales et du régime présidentiel. Mais tous deux sont des hommes qui ne vivent la politique que sur un mode de règne sans partage.

"Mazarin".

C’est sous le nom francisé du cardinal Giulio Mazarini que Sarkozy écrivait dans "Les Echos", en 1995, une série de 24 échanges épistolaires fictifs d’un secrétaire de Jacques Chirac intitulée "Les lettres de mon château".

Sarkozy aime écrire donc, et c’est ni plus ni moins qu’une autre vieille connaissance italienne, Gianfranco Fini (leader du parti néo-fasciste italien "Alleanza Nazionale", qui fit même campagne pour Sarkozy), qui préfaça deux des livres de l’actuel Président, "La République, les religions, l’espérance", puis "Témoignages". Et en assura la promotion en Italie également.

Tellement proches, ces deux-là, que "Il Giornale" qualifiera la relation Fini/Sarkozy "d’axe de fer", axe initié au moment de la guerre en Irak.

Même si Chirac est sans conteste un des hommes politiques français les plus marquants dans l’éducation politique de Sarkozy, et que l’on reconnait chez ce dernier certaines leçons de Chirac (et une partie de ses réseaux aussi), on se demande quand même de qui Sarkozy a-t-il pris, en vieillissant, ces leçons de manipulation magistrales qui consistent à brouiller les cartes entre la droite et la gauche, en tirant partie de toutes les faiblesses congénitales de la sociale-démocratie, et en mettant en avant, pour lui, des buts d’inspiration socialistes avec une démagogie sans frein ?

Le socialisme, la révolution, si on l’écoute, mais c’est bien sûr, c’est lui ! Bien sur, en cela, il poursuit l’œuvre du Chirac qui voulait "réduire la fracture sociale" - et l’a agrandie - bien sur qu’il a compris qu’en France, si on voulait le pouvoir, il fallait des promesses de gauche et un programme de droite.

Mais où peut-on retrouver ainsi cette manière de plonger ses racines dans les couches les plus populaires, ouvrières même, d’une France perdue, et sans boussole, en déshérence de gauche radicale, orpheline du marxisme, cette façon de manipuler Jaurès, qui a permis aussi, de ramener à lui les éléments les plus susceptibles d’être "corrompus" du PS ?

A qui fait penser ce culte de "l’homo erectus" (à traduire par "l’homme en érection", bien sûr), l’homme qui court, le sportif qui mouille le tee shirt, l’homme viril qui dit "casse toi pov’con", qui dit "descends si t’es un homme"...A qui pourrait faire penser ce goût immodéré des rapports de force, du tonfa, et de la compagnie de CRS ?

Comment ne pas penser que Benito Mussolini (qui fut lui-même un certain temps un socialiste, un membre du parti socialiste italien, le directeur de la rédaction de "Avanti !") écrivait en 1919 dans son journal Il Popolo D’Italia, les paroles suivantes :

« Nous nous permettons le luxe d’être aristocrates et démocrates, conservateurs et progressistes, réactionnaires et révolutionnaires, légalistes et illégalistes, selon les circonstances, le lieu et le cadre dans lequel nous sommes contraints de vivre et d’agir. »

En 1919 toujours, le programme de Mussolini, dans un discours qu’il prononce est celui- là : il mêle revendications sociales et nationalistes, se déclare en faveur de la SDN, critique l’impérialisme et exige la dissolution des sociétés anonymes et la suppression de toute spéculation boursière.

Le programme froissera, on s’en doute, un peu les nationalistes et les patrons du Cercle des intérêts industriels et commerciaux, mais Mussolini rassurera ceux-ci en disant qu’il ne s’opposera pas à l’impérialisme et ne soutiendra la SDN que lorsque les revendications sur Fiume seront satisfaites, (ce qui contredit en paroles secrètes le programme lui-même).

Cette caricature populiste-là, même Chirac (surnommé un temps aux guignols "Super-Menteur") n’a jamais osé (ni songé ?) à la porter à un tel paroxysme...

Aussi, il fallait bien que Sarkozy la prenne quelque-part.

Mussolini pourrait-il être une sorte de modèle politique pour un Sarkozy ? La question doit être posée. On peut voir de nombreuses proximités, idéologiques et de personnalité aussi.

Quelle doctrine d’actualité aussi, magistralement illustrée à chaque discours de Sarkozy, cet opportunisme, et le "double Etat", même ( expression reprise pour les années 70 au sujet d’Andreotti) - l’Etat qui est réservé aux proches, aux initiés, qui savent quand on dit la vérité ou pas, et celui qui est offert à voir au tout-venant !

Et c’est par là, par cet opportunisme, que la social-démocratie pêcha et mourut, par là que Sarkozy, lui qui soutint Balladur contre Chirac après avoir été l’un des protégés de celui-ci, entra définitivement dans la vie politique, au pouvoir.

Giorgio Almirante aussi, oui, un des leaders du fascisme italien, "père spirituel" de son ami Gianfranco Fini, le leader d’un parti qui s’appelait "Mouvement social italien" est susceptible de l’avoir inspiré indirectement.

Mais là où le successeur, G. Fini, se "vend" à Berlusconi, c’est Sarkozy qui finira sans doute par "acheter" ce qui restera du FN qu’il aura décapité. On comprend que Fini l’admire (paraît-il).

Où, sinon en Italie, Sarkozy a-t-il appris à ce point comment emmêler les pistes idéologiques, sémantiques qui innervent la politique et nous semblaient intangibles en France ? D’où a -t-il pris ces accointances, ce goût, ces proximités avec ce qu’il y a de plus fasciste dans l’extrême droite française ? Est-ce un hasard si une partie de sa garde rapprochée est ancienne d’Occident et d’Ordre nouveau (qui avait son pendant, notamment, italien, "Ordine Nuovo").

On en vient même à se demander si c’est vraiment "par hasard" que Sarkozy a choisi d’épouser Carla Bruni, l’héritière d’une dynastie turinoise du pneu, et dont la famille a toujours revendiqué s’être exilée pour échapper aux Brigades Rouges ? Monica Belluci était déjà prise ?- humour bien sûr, car ce n’est pas du tout certain que "la bellissima" eut succombé d’ailleurs...

Et comment, aussi, ne pas évoquer l’ombre d’un autre homme de petite taille quand on pense à Sarkozy avec une mémoire italienne ?

Bien sûr, on parle de Giulio Andreotti.

Andreotti. "Il Divo". "L’inoxydable". Ministre de l’Intérieur - des Finances- du Trésor - de la Défense, (le seul poste qui a manqué à Sarkozy dans son parcours initiatique), avant de devenir président du Conseil des Ministres. L’un des hommes politiques les plus manipulateurs, les plus directement lié à la Mafia que l’Italie ait jamais connu.

Comme le définit très bien Sorrentino, qui a récemment réalisé un film sur Andreotti :

"Il [ Andreotti] est l’incarnation d’une politique italienne qui a toujours cherché à cacher la vérité. En ce sens, il est un symbole très fort d’une époque sans scrupule. Je le vois comme un homme affecté d’un très grand complexe de supériorité, qui considère les citoyens comme des imbéciles auxquels il n’est pas nécessaire de dire la vérité."
Ici

On l’évoque d’autant plus quand on lit une interview récente de Francisco Cossiga sur la "strategia della tenzione" (la stratégie de la tension") - Cossiga, ancien Président du Conseil, ministre de l’Intérieur de janvier 1976 à mai 1978 qui a re-structuré la police italienne, la protection civile et les services secrets. Il était ministre de l’Intérieur au moment du kidnapping et du meurtre d’Aldo Moro par les Brigades rouges. Il démissionna quand Moro fut retrouvé mort.

Cette "stratégie de la tension", qu’Andreotti lui même avoua en octobre 1990, (en parlant de "l’Opération Gladio" et des cellules "stay-behind", ces réseaux clandestins de l’OTAN installés dans plusieurs pays d’Europe de l’Ouest), consistait évidemment à créer un climat de terreur propre à emporter l’adhésion des masses à un régime autoritaire et sécuritaire, permettant toutes les violations de libertés publiques.

Comment ? Par divers moyens. Soit en infiltrant des groupuscules autonomes, soit en provoquant ou faisant provoquer des attentats dits "d’extrême gauche", soit en laissant se dérouler de véritables opérations de barbouzeries, qui donnèrent lieu à des répliques sanglantes, réelles ou manipulées...

L’essentiel était que le peuple vive dans l’angoisse et la terreur pour pouvoir justifier ensuite toutes les répliques fascisantes d’un pouvoir qui menait d’autres "combats" (économiques et financiers) par ailleurs.

Ainsi, entre 1969 et 1980, l’Italie sera frappée par plusieurs centaines d’attentats qui font des centaines de victimes (gare de Bologne, le train Italicus, Brescia, Milan Piazza Fontana etc.) Pour la seule année 1969, 145 attentats sont perpétrés - un attentat tous les 3 jours. On accuse les formations d’extrême gauche. On arrête des militants, on les emprisonne...Mais les attentats se poursuivent et les tensions sociales s’exacerbent. La gauche, mal en point face à la Démocratie Chrétienne, se divise, les corps constitués se méfient les uns des autres, tandis que l’opinion réclame le retour à l’ordre, et une plus grande répression à l’encontre de ceux qui se rendent coupables de ces assassinats.

Dans les coulisses du pouvoir, on organise justement la reprise en main. Face à la menace révolutionnaire, il faut faire intervenir l’armée, et mettre fin aux activités légales et illégales de la gauche. À plusieurs années d’intervalle, mais sensiblement avec les mêmes hommes, le pays est confronté à plusieurs tentatives de coups d’État (Prince Borghese, Complot de la Rose des vents etc).

Nous citons ici (Il Giorno /Resto del Carlino/La Nazione), 23 ottobre 2008 l’un des protagonistes principaux de cette stratégie, Cossiga qui juge la manière de faire de Berlusconi un peu trop "molle" :


(...) "Quels faits devraient suivre ?

« Maroni devrait faire ce que j’ai fait quand j’étais ministre de l’Intérieur. »

C’est-à-dire ?

« En premier lieu, faire sembler de céder devant les lycéens, parce que pensez à ce qui arriverait si un jeune était tué ou restait gravement blessé … »

Les universitaires, au contraire ?

« Laisser faire. Retirer les forces de police des rues et des universités, infiltrer le mouvement avec des agents provocateurs prêts à tout et laisser pendant une dizaine de jours les manifestants dévaster les commerces, mettre le feu aux autos et mettre les villes à feu et à sang. »

Et après ?

« Après, fort du consensus populaire, le son des sirènes des ambulances devra surpasser celui des voitures de police et des carabiniers. »

Dans quel sens ...

Dans le sens que les forces de l’ordre ne devraient avoir aucune pitié et les envoyer tous à l’hôpital. Ne pas les arrêter, il y a tant de magistrats qui les remettraient tout de suite en liberté ! mais les frapper et frapper aussi les enseignants qui fomentent les troubles. » (...)"


C’est cette même stratégie de la tension qui semble se dessiner en France depuis quelques mois.

C’est aussi quand nous avons entendu certains discours, notamment électoraux, de Sarkozy, que certains d’entre nous ont commencé à penser à Mussolini (toutes proportions gardées), et quelles que soient nos différences politiques, nous étions toutes et tous alors convaincus d’une chose : la France allait avoir avec Sarkozy un personnage politique d’une nature et d’une facture comme elle n’en avait encore jamais connu, au contraire de l’Allemagne, de l’Italie, ou de l’Espagne.

Dans le même sens, peut-on toujours voir comme un hasard que ce soit Sarkozy qui ait poursuivi d’une vindicte quasi personnelle Cesare Battisti et Marina Petrella ? Qui d’autre avant lui avait redonné ainsi vie aux dossiers des ex-Brigadistes ? Personne. Personne depuis 20 ans environ. Pourquoi faire finalement ?

Un dernier point commun avec toutes ces personnalités politiques italiennes (Mussolini mis à part, pour des raisons notamment historiques) c’est l’atlantisme, la volonté de soumettre les pays qu’ils gouvernent aux vues américaines.
Y-aura-t-il un scandale de la loge P2 ("Propaganda Due") à la française ? Beaucoup de personnages influents dans l’entourage proche du chef de l’Etat ne cachent plus leurs "sympathies fraternelles" sinon leur appartenance directe à la franc-maçonnerie, comme, notamment, Xavier Bertrand, ancien ministre du travail et actuel secrétaire général de l’UMP (GOF)...

Alors, finalement, italien, Sarkozy ?

Probablement, oui...

En tout cas, à nous , il nous semble bien qu’il exerce le pouvoir "à l’italienne", en ce sens qu’il y a un style qui consiste à cacher, à faire le contraire de ce qu’on dit, à manipuler ; oui, un style dans lequel, hélas, nombreux hommes politiques Italiens excellent. Et puis, ses relations transalpines commencent à être un peu trop récurrentes ces dernières années pour que cela reste un pur hasard...

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