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Incinérateur de Gilly sur Isére

Publie le samedi 2 août 2003 par Open-Publishing
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Savoie : l’usine incinérait les ordures et la santé
Fermé en 2001, le four de Gilly a pollué la vallée
et pourrait avoir provoqué des cancers.

Samedi 02 août 2003

Par Olivier BERTRAND

Albertville envoyé spécial

La cheminée se dresse encore, noire de suie. Le four ne pollue plus.
L’usine d’incinération des déchets de Gilly-sur-Isère, aux portes
d’Albertville,
a fermé en catastrophe, le 26 octobre 2001.
La vallée était souillée aux dioxines, et des milliers d’animaux ont été
abattus
(le plan d’assainissement a coûté plus de 15 millions d’euros). Vingt mois
plus tard, des tas de foin contaminé achèvent de sécher devant l’usine
où plus personne ne peut entrer. Les gendarmes ont posé des scellés.
Pour la première fois, une instruction, longue et coûteuse, tente de
déterminer
si les dioxines d’une usine d’incinération ont provoqué un excès de cancers
parmi les riverains. A Gilly, les riverains avaient rebaptisé « rue des
cancers »
une longue artère située sous le panache de fumées. L’enjeu de l’enquête
savoyarde est de taille, car les plaintes se multiplient en France autour
des fours à faible capacité (1). Dans la vallée d’Albertville, des experts
mesurent ni l’étendue de la pollution, pendant que d’autres vérifient
l’excès de cancers, avant de rechercher les liens pouvant être établis
entre la contamination, l’usine et les malades.

Contamination.
Pour la pollution, il n’y a plus de doute. Déjà, des mesures alarmantes
avaient été rendues publiques, avant la fermeture de l’usine.
Une vache paissant à proximité cachait par exemple dans ses pauvres
pis un lait contaminé, contenant quinze fois plus de dioxines que
la norme européenne. Depuis, la justice a découvert que, dès juin 2001,
des relevés inquiétants avaient été cachés. L’entreprise qui gérait
le four savait que les fumées avaient rejeté 13 000 fois la norme européenne
lors d’une campagne de mesures. Mais elle avait discrètement consigné
ce chiffre et continué de traiter les déchets, comme si de rien n’était.

Des experts de l’Institut de recherches criminelles de la gendarmerie
tentent désormais de mesurer l’étendue de la pollution dans l’environnement.
De multiples prélèvements ont été effectués dans les sols, les cours d’eau
et les canalisations.
Des hommes-grenouilles ont aussi sondé les bassins voisins, ainsi qu’une
ancienne gravière, remplie de mâchefers. Des alpinistes du peloton de
gendarmerie de haute montagne de Bourg-Saint-Maurice ont prélevé
de la suie à l’intérieur de la cheminée.

Selon un enquêteur, la gendarmerie nationale aurait accordé « des moyens
financiers importants » pour cette « affaire de santé publique » inédite.
Six hommes travaillent à temps complet, depuis plus d’un an. Ils ont fait
développer un logiciel pour gérer la masse de documents saisie lors
des perquisitions dans l’usine, au siège de la société, au syndicat et en
préfecture.
Pendant ce temps, un expert nommé par le juge a étudié le fonctionnement
de l’usine, pour vérifier si elle respectait la réglementation.
Le résultat est édifiant. Son rapport, bouclé au printemps, égrène de
multiples
manquements. L’usine d’incinération n’aurait « jamais fonctionné en
conformité
avec les normes législatives ou réglementaires », les travaux de mise en
conformité
n’auraient « pas été entrepris » et l’exploitation aurait « cependant été
poursuivie
dans des conditions de moins en moins conformes à la législation ».

Les ordures auraient dû être stockées sur une aire étanche, afin que les
eaux
d’écoulement puissent être traitées. A Gilly, le jus partait directement
dans
la nature.
L’aire n’a été faite que tardivement. Les déchets, eux, étaient brûlés dans
un four rustique. Sans maîtrise, semble-t-il, des températures et des temps
de séjour. Or les dioxines se forment lors de combustions trop rapides,
ou à trop basse température.

Les enquêteurs cherchent désormais à cerner toutes les autres causes
possibles
de pollution dans la vallée. Un travail complexe, pour prévenir les
contre-expertises.
Pendant que les gendarmes progressent, un collège d’experts travaille sur
les
conséquences d’une éventuelle contamination. Trois spécialistes (en
toxicologie,
cancérologie et médecine légale) vérifient l’excès de cancers. Une dizaine
de
plaignants malades ont subi, en février, des prélèvements de sang et de
cheveux.
Des autopsies ont été réalisées sur trois plaignants décédés depuis
l’ouverture
de l’information, le 3 juin 2002. Les gendarmes ont également distribué dans
la
« rue des cancers » un questionnaire très détaillé à 114 familles. Rédigé par
les
experts médicaux, il s’intéresse aux maladies, aux pratiques alimentaires,
aux antécédents familiaux. Les sondés se chauffaient-ils au bois ?
Mangeaient-ils
des fruits du jardin ? Allaient-ils cueillir des champignons ? Se
baignaient-ils dans
le plan d’eau voisin ?
« Je ne me fais pas trop d’illusions sur les chances d’établir un lien entre
le cancer
et la pollution », soupire Dominique Frey, présidente de l’Acalp,
l’association de riverains
qui s’est cons tituée partie civile au printemps 2002. Mais Thierry Billet,
l’avocat de
l’Acalp, estime que la « mise en danger délibérée » d’autrui a de fortes
chances
d’être établie par la justice.

Les acteurs mis en cause par l’association (le syndicat de communes,
l’entreprise
qui gérait et l’Etat qui devait contrôler) se livrent dans cette perspective
à un exercice
compliqué. Ils relativisent la pollution, contestent ses conséquences, tout
en commençant
à se rejeter la responsabilité.
Le syndicat accuse l’entreprise d’avoir caché, en juin 2001, que l’usine
battait
des records de dioxine. Elle répond que les chiffres lui paraissaient
« aberrants »,
et souligne que, depuis dix ans, elle a écrit une bonne demi-douzaine de
fois
pour
rappeler que l’usine n’était pas aux normes. Le syndicat de communes et
l’Etat
se regardent en chiens de faïence. Chacun connaît trop les carences de
l’autre.
Plusieurs pièces saisies montrent par exemple que l’Etat a sciemment laissé
l’usine
fonctionner hors norme, tentant en 1996 d’obtenir en échange que les élus
s’engagent
à construire un deuxième four.

Craintes.
L’instruction devrait prendre un nouveau tour à la rentrée. Le gendarme qui
animait
la cellule d’enquête a été promu, et le juge d’instruction muté en Corse cet
été.
Les plaignants craignent que l’on tente d’étouffer l’affaire. Mais les
gendarmes
assurent qu’il n’en est rien et soulignent que le remplaçant est venu, avant
même
sa mutation, s’imprégner du dossier. Le juge, de son côté, a pris le temps
de
rassurer
la présidente de l’association. La justice a nommé pour le remplacer deux
magistrats
à Albertville, au lieu d’un. L’un des nouveaux se consacrera exclusivement
aux dioxines.

(1) La législation était moins contraignante pour les fours d’une capacité
inférieure à 6 tonnes/heure.

Kyra-Françoise
kfm1@wanadoo.fr

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