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Chômeurs et pauvres se manifestent en Irak

Publie le jeudi 28 août 2003 par Open-Publishing

Ils réclament des emplois aux Américains.

Par Marie-Laure COLSON, Bagdad, envoyée spéciale

Libération

samedi 16 août 2003

Ils campent depuis plus de quinze jours sur un bout de place poussiéreux,
face aux fils barbelés qui protègent le siège de la coalition
américano-britannique. Ils manifestent parfois et crient, dans le vide qui
les sépare du pouvoir, qu’ils veulent des emplois. C’est une première à
Bagdad, c’est un « sit-in », disent-ils en anglais. Une cinquantaine d’hommes
sont réunis derrière des calicots accrochés aux trois parasols qui leur
servent d’abri la nuit. Ils appartiennent à l’Union des chômeurs, constituée
le 1er mai, et leur histoire est celle de l’Irak.

« Armes et sacrifice ».

Il y a là Rashid, fonctionnaire au chômage depuis 1995, puis taxi, puis plus
rien : « Depuis la chute de Saddam, même les maçons ne maçonnent plus. » Abed,
viré de son travail après une dispute avec son chef, un membre influent du
parti Baas : « Mais, lui, il est toujours en poste, et les Américains
travaillent avec lui. » Halim, de retour d’exil en Turquie et en Syrie. Et
encore Tarik, diplômé d’hébreu, parce que la faculté en avait décidé ainsi,
qui, à 50 ans, n’a jamais eu d’emploi. Hussein, qui entre guerres et
désertion n’a jamais connu la vie civile : « Je ne sais rien faire. Saddam ne
nous a appris que le sacrifice et les armes. »

Les chemises sont élimées, les visages marqués, mal rasés. Un homme montre
ses semelles trouées : « Je viens tous les jours à pied, qui peut payer un
taxi ? » Un autre se plaint qu’il ne peut pas payer le médecin. « Et puis les
femmes veulent divorcer. » Qui voudrait d’un homme qui, depuis quatre mois,
ne ramène rien à manger ? « C’est 100 % plus dur que sous Saddam. Au moins,
quand il y avait la carte alimentaire, on prenait ce dont on avait besoin à
la maison et on vendait le reste. »

Renouveau.

Ces hommes cassés font partie des rares Bagdadiens à mener une action
collective laïque dans un après-guerre instable qui incite à se replier sur
sa famille, son quartier ou sa communauté. Ils ont parfois un discours
simpliste, accusent l’« étranger » de tous leurs maux. Mais, comme la
réapparition de policiers en chemise fraîchement repassée aux carrefours de
la capitale, leur présence dépenaillée a un parfum de renouveau. Avec le
départ de Saddam, plus de 50 partis se sont créés ou ont refait surface,
squattant les immeubles pillés et abandonnés, manifestant parfois, pour la
démocratie, la paix ou la libération des prisonniers.

Allocation.

L’Union des chômeurs en Irak est, elle, parrainée par le Parti communiste
ouvrier d’Irak, fondé en 1993. Pendant la dictature, ce mouvement d’extrême
gauche, opposé à l’islam politique et au Parti communiste irakien, a protégé
des femmes, notamment des crimes d’honneur. Il tente aujourd’hui de se faire
une place sur le terrain social. Tâche difficile quand on n’a pour tout
interlocuteur que des officiers américains dont la principale préoccupation
est la sécurité. L’Union des chômeurs demande une allocation de 100 dollars
mensuels pour les chômeurs, une aide humanitaire, la création de 300 000
emplois non qualifiés. Ses représentants assurent que les Américains leur
ont accordé les deux derniers points. Mais l’accord écrit tarde à venir et
la frustration monte : « L’Irak est riche. Où est notre argent ? ».