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Quels droits pour les salariés à l’emploi discontinu ?

Publie le dimanche 31 août 2003 par Open-Publishing

La lutte protéiforme engagée après la signature, le 26 juin, du protocole Unedic révisant le régime d’assurance-chômage des intermittents du spectacle par des collectifs et coordinations a pour objectifs premiers l’abrogation du texte agréé par le gouvernement et l’ouverture de négociations impliquant tous les professionnels concernés.

Elle rejoint un mouvement global de résistance à la "normalisation" de nos sociétés.

Une réforme viable des annexes 8 et 10 est nécessaire à la vie culturelle. On ne clôt pas le chapitre des droits sociaux en excluant 35 % des allocataires pour ouvrir celui, faussement consensuel, de l’exception culturelle et de la place de l’artiste dans la société.

Nous sommes créateurs, interprètes, techniciens. Nous participons à la fabrication de pièces de théâtre, de spectacles de danse et de cirque, de concerts, de disques, de films de fiction, de documentaires, de jeux télévisés, de télé- réalité, du journal de 20 heures et des publicités qui les entourent. Nous sommes devant et derrière la caméra, sur scène et dans les coulisses, dans la rue, les salles de classe, les prisons, les hôpitaux. Les structures qui nous emploient s’échelonnent de l’association à but non lucratif à l’entreprise de divertissement cotée en Bourse.

Acteurs d’un art et d’une industrie, nous avons en commun de subir une double flexibilité, celle des périodes d’emploi et celle des rémunérations. Né du besoin d’assurer une continuité de revenu palliant la discontinuité des périodes d’emploi, ce régime d’assurance-chômage permet souplesse de production et mobilité des salariés entre différents projets, secteurs, emplois.

Nous avons lu méthodiquement le texte venu réformer ce régime et nous avons évalué les conséquences du rehaussement des critères d’accès. Sur la base des chiffres de l’Unedic, nous sommes arrivés à ce constat de l’exclusion de 35 % des allocataires actuels. Nous avons cherché à expliquer comment des paramètres inédits (le glissement de la période de référence, le calcul du décalage) introduisaient de l’aléatoire, provoquaient une rupture de l’égalité de traitement et incitaient au travail au noir et aux fausses déclarations.

La pertinence de notre expertise collective a peu à peu déstabilisé l’assurance des plus fervents défenseurs du protocole, jusqu’à ses signataires eux-mêmes. Pour preuves, les demandes tardives d’explication de la CFDT à l’Unedic, la disparition in extremis du grave "lapsus" dans l’article sur la franchise (des recours en justice sont intentés), ainsi que les promesses floues d’aménagement du texte faites récemment par le ministère de la culture.

Mais, surtout, nous avons dénoncé un paradoxe inquiétant : dans un contexte de "moralisation des pratiques", le protocole n’épargne en fait qu’une catégorie de salariés, ceux qui bénéficient de contrats réguliers sur l’année.

L’utilisation des annexes 8 et 10 tendait parfois à être ambiguë : l’accord la clarifie en détruisant leur fonction essentielle. Alors qu’il s’agissait d’assurer une continuité de revenus dans des secteurs où la logique du profit n’est pas première, seules les entreprises les plus rentables - notamment celles de l’audiovisuel - continueront de tirer profit d’une main-d’œuvre plus que jamais contrainte d’accepter le "contenu" et les conditions de travail des emplois proposés.

Or seuls les droits sociaux collectifs garantissent la liberté des personnes, la continuité du travail hors périodes d’emploi, la réalisation des projets les plus improbables, la diversité, l’innovation. En agréant ce protocole, le gouvernement a fait le choix délibéré de supprimer cet "investissement" nécessaire à la liberté de création. Jamais le système compensatoire qu’il propose, mixte de mécénat et de subventions discrétionnaires, ne saura s’y substituer.

Attaque contre les droits collectifs, cette "réforme" inaugure une certaine idée de l’exception culturelle : un art-vitrine avec ses pôles d’excellence et une industrie de la culture standardisée et compétitive sur le marché mondial. Le dynamisme, l’inventivité et l’audace qui caractérisent l’activité reposent sur cette indépendance voulue et conquise à travers la solidarité interprofessionnelle et l’obtention de conditions d’existence décentes.

Nombre d’intermittents connaissent les dérives, mais aussi et avant tout les inégalités de traitement de l’actuel système et appellent une réforme de leurs vœux. Aucune base pour évaluer l’ampleur du déficit n’est crédible. Les chiffres de l’Unedic continuent d’être présentés dans l’opacité et la partialité la plus grande, les pertes dues aux abus ne sont pas mesurées. Plus fondamentalement, cette vision, strictement comptable, a pour seule assiette de prélèvement l’emploi et interdit de prendre en compte cette part croissante des richesses produites que ne mesure pas le volume de cotisations salariales.

Nous avons défini les principes d’une nouvelle réforme dans le respect de la spécificité de nos pratiques professionnelles et le refus de l’utilisation du nombre d’allocataires comme variable d’ajustement.

Sur ces principes, nous avons élaboré des propositions selon deux axes :

 mise en cohérence du régime avec les pratiques du secteur par la suppression du salaire journalier de référence (paramètre omniprésent auquel l’irrégularité des contrats ôte pourtant toute valeur représentative), par l’assouplissement des critères d’accès (prise en compte de l’aléatoire de nos métiers, des accidents de carrière) et par la réaffirmation de l’annualité des droits et du réexamen à date anniversaire ;

 la mutualisation et la redistribution des droits entre allocataires, notamment par la création d’un plafond et d’un plancher du cumul salaires-indemnités qui contribuera à la maîtrise des coûts et réduira les inégalités entre allocataires.

Ces revendications ne sauraient se confondre avec une lutte pour des privilèges : flexibilité et mobilité qui tendent à se généraliser n’ont pas à impliquer précarité et misère. N’est-il pas symptomatique que ce qui constitue un modèle de référence pour d’autres catégories de précaires soit systématiquement battu en brèche ? L’élaboration d’un modèle d’assurance-chômage fondé sur la réalité de nos pratiques est une base ouverte à toutes formes de réappropriation, de circulation, de contamination en direction d’autres secteurs.

Ce conflit a suscité une réflexion approfondie sur les tenants et aboutissants de nos métiers. A une époque où la valorisation du travail repose de plus en plus sur l’implication subjective des individus dans leur activité et où, parallèlement, l’espace accordé à cette subjectivité est de plus en plus restreint et formaté, cette lutte pose un acte de résistance : il s’agit de se réapproprier le sens de notre travail (intimement et collectivement), de le réinventer.

Ce texte collectif émane de la Coordination des intermittents et précaires d’Ile-de-France.

ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 30.08.03

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