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Aincourt, camp d’internement et centre de tri

Publie le dimanche 7 septembre 2003 par Open-Publishing
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Le premier camp d’internement en Zone nord fut ouvert à Aincourt (Seine-et-Oise) le 5 octobre 1940 avec, pour premiers occupants, quelque 250 militants, élus et syndicalistes communistes arrêtés en région parisienne. Fernand Devaux, qui y fut interné de novembre 1940 à septembre 1941, avant d’être déporté à Auschwitz par le convoi du 6 juillet 1942, en rappelle l’histoire.

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Aincourt, camp d’internement et centre de tri

Le 30 septembre 1940, le chef parisien du Sipo (Police de sécurité du Reich) envoie le télégramme suivant à Berlin : " Tous les chefs communistes actifs, connus et les fonctionnaires dont on peut attendre que, directement ou indirectement, ils puissent rédiger et distribuer des tracts ou puissent être actifs d’une autre façon, doivent être arrêtés et transférés dans un camp. Le projet a été discuté avec l’ambassadeur Abetz qui a donné son accord à condition que les arrestations, le transfert dans le camp, la surveillance, le ravitaillement soient effectués par les autorités françaises. "

Le 3 octobre, le chef de la Gestapo Müller lui répond : " Après entretien avec le Führer, l’oberh. Müller ne s’oppose pas aux propositions de la police parisienne sur les mesures à prendre, mais il faut s’assurer : 1. qu’on épargne nos indicateurs ; 2. que les listes des arrêtés soient obtenues ; 3 ; que le matériel soit examiné et que tout ceci soit très discret. Il faut nous informer du succès. "
Les nazis vont donc tenter de ne pas apparaître dans la répression. C’est Vichy qui s’en charge. Pétain va utiliser le décret de septembre 1939 qu’il a aggravé le 2 septembre 1940. Ainsi, le 5 octobre 1940 s’ouvre Aincourt. Les 19 et 20 octobre, les préfets de Seine et de Seine-et-Oise publient un arrêté qui stipule que " toute découverte de tracts sur le territoire d’une commune entraînera l’internement immédiat d’un ou plusieurs militants communistes résidant sur son territoire. "

Fin décembre 1940, le nombre d’interné dépasse les 600, alors que 100 ont été transférés le 4 décembre vers Châteaubriant.
Le camp est dirigé par le commissaire Andrey. La discipline y est sévère, pas de journaux, pas de livres, pas de visites, censure du courrier, fouille des colis, perquisitions dans les chambres. Celles-ci étant insuffisantes et surchargées, la salle des fêtes est transformée en dortoir ainsi que le réfectoire qui accueille les jeunes de 17 à 25 ans. Les couloirs deviennent réfectoires. Des internés participent à certains travaux : cuisine, buanderie, fabrication de charbon de bois. Les autres restent dans leur chambre ou dortoir, l’espace extérieur est très limité et pas toujours autorisé. Les activités sont réduites aux jeux intérieurs : cartes, échecs, ping-pong et plus tard volley ball. Il n’y a pas de lieu où les internés puissent se rencontrer, s’instruire.

Le PCF a créé dès l’ouverture du camp une organisation clandestine qui se perpétue malgré les transferts. Son rôle est de maintenir les contacts avec l’extérieur, d’informer (un journal est édité), de veiller au moral des internés et de faire face aux pressions exercées par le commissaire Andrey pour saper le moral et obtenir des ralliements à Pétain. L’absence de visite des familles pèse de plus en plus lourd sur le moral.

Alors, vers le mois de mars 1941, l’organisation clandestine décide de harceler le commissaire par lettres et demandes d’audience. En avril, devant les promesses jamais tenues, la grève de ceux qui participent aux corvées est décidée. À l’heure du rassemblement quotidien, la cour reste vide. Le commissaire Andrey ameute les gendarmes qui prennent position avec les fusils mitrailleurs en batterie. Il entre dans le bâtiment pensant intimider les internés. Rien n’y fait. Dans l’après-midi, alors que nous sommes toujours encerclés par les gendarmes, il fait arrêter 54 camarades et les enferme dans un autre bâtiment, sans lit ni couverture, au pain sec et à l’eau. Lorsque le lendemain nous apprenons le traitement infligé à nos camarades, la décision est prise : au repas nous irons chercher notre morceau de pain et rentrerons dans nos chambres et dortoirs, en signe de solidarité avec nos camarades, qui seront transférés à Poissy puis à Châteaubriant.

En juin, tout le monde a droit aux visites. Les plus anciens internés voient leur famille pour la première fois depuis huit mois. Il faut dire que pendant cette période, les mères, les épouses d’internés ont manifesté dans les rues de Paris pour le droit aux visites et la libération des leurs.

Aincourt - premier camp d’internement - est aussi un centre de tri. Le commissaire Andrey établit ses listes de meneurs qui sont alors utilisées pour les fusillades et déportations. Le 4 décembre 1940, 100 sont transférés à Châteaubriant. Le 6 avril 1941, 54 sont transférés à Châteaubriant. Le 27 juin, 85 partent à Compiègne et le 6 septembre,150 à Rouillé. Le 6 février 1942, 26 sont embarqués pour Compiègne.
Trois transferts vers Voves en février, avril et mai 1942 marquent la fermeture du camp des hommes. Que sont-ils devenus ? Nombreux sont ceux qui s’évadent de ces différents camps pour reprendre le combat. 18 fusillés : Cardette, Grandel, Granet, Michels, Poulmarch, Timbaud, Tenine, Verkuisse font partie des 27 fusillés du 22 octobre 1941 à Châteaubriant. Bréant, Dejardin, François, Grimbaum, Huart, Jurquet, Martin, Pentier, Vezland sont fusillés en mars et avril 1942 à Rouillé.

Environ 200 sont intégrés au premier convoi d’otages politiques, parti le 6 juillet 1942 pour Auschwitz-Birkenau, dont 90 % ne reverront pas la France et combien seront envoyés à Buchenwald, Oranienburg, Mauthausen et autres camps. L’histoire de Châteaubriant, Compiègne, Rouillé, Voves est intimement liée à celle d’Aincourt, tant d’internés de ce camp s’y retrouvant et y laissant une forte empreinte.
À peine, le camp des hommes est fermé, qu’arrivent le 12 mai 1942, 60 femmes résistantes du camp de Châteaubriant. Elles ont été les témoins de cette journée du 22 octobre 1941 où furent fusillés 27 patriotes. Le 29 mai, les rejoint un convoi de 150 résistantes venant des
Tourelles ainsi que des femmes juives accompagnées de leurs enfants.

Elles entrent dans le camp en chantant la Marseillaise. Six d’entre elles sont arrêtées et condamnées par le tribunal spécial à 10 ans de prison. Elles sont déportées. Odette Nilès, internée à Châteaubriant puis Aincourt, raconte qui sont ces femmes : " Des jeunes filles, des femmes, arrêtées par la police de Vichy, certaines depuis 1940, avaient déjà connu les prisons de Fresnes et de la Petite Roquette. Dès le début de l’occupation, elles avaient manifesté pour l’indépendance de la France. Elles réclamaient du pain pour leur famille, leurs enfants. Ces Françaises, attachées à libérer leur pays du régime établi par Pétain au service des nazis ont contribué à forger la Résistance. "
Elle poursuit : " À notre arrivée, le 12 mai, nous sommes accueillies par un contingent de gardiennes, venant de la prison de Rennes, de véritables gardes-chiourme se vantant de nous mater, en faisant respecter un règlement draconien : interdiction de parler fort, réveil à 7 heures, extinction des feux à 20 heures, obligation de plier ses couvertures dès le réveil, courrier peu nombreux et censuré. Il faut s’organiser, s’occuper. Nous voulons montrer que rien ne peut atteindre notre moral. Des cours sont organisés par des enseignantes, selon leur compétence et chacune d’entre nous fait partager ses connaissances.

Puis un jour, les occupants sont venus chercher les femmes juives. Nous vivons une véritable tragédie en assistant à cette séparation des enfants et de leur maman. Nous avons gardé peu de temps ces petits qui sont partis pour une destination inconnue, emmenés par la Croix-Rouge. Nous ne connaissons pas quel sort leur a été réservé. Peut-être, ont-ils rejoint Drancy, ce camp de sinistre mémoire, pour finir dans les fours crématoires comme les enfants d’Izieu et de Voiron. "

Le 15 septembre 1942, le camp est évacué - direction Gaillon puis Monts puis Mérignac (ou quelques-unes seront sous la coupe de Papon) puis Poitiers, et Auschwitz pour certaines d’entre elles.

Fernand DEVAUX

http://www.fndirp.asso.fr/aincourt.htm

Messages

  • Merci pour ce témoignage précis et édifiant.
    Je distribuais des tracts hier à la manif parisienne contre les décisions de l’OMC. En lisant ces lignes je me rends compte qu’il y a 60 ans j’aurais pu être emprisonnée, voire éxécutée pour ça... Cela me rappelle également qu’aujourd’hui encore la censure frappe beaucoup trop.
    J’espère que les lecteurs et les réactions à ce texte seront nombreux.

    Valérie