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Des avants-gardes, pas des états-majors !

Publie le samedi 3 juin 2006 par Open-Publishing
2 commentaires

Education populaire tournée vers l’action
Manifeste altermondialiste : projet, trajet, sujet.
Thèmes sur le "sujet" anti-alter : démocratie - avant-garde - organisation de masse - diversité.
Christian DELARUE ATTAC Rennes.

Voici document d’Alain BIHR, un extrait « Du « grand soir » à « l’alternative » » d’ Alain BIHR in Les Editions ouvrières 1991

Des avants-gardes, pas des états-majors !

Le titre de cette section se veut volontairement provocateur. Il vise à braver le tabou entourant la notion d’avant-garde qui, au sein des traditions anti-autoritaires (libertaire et conseil liste notamment) dont cette étude se réclame (1), a servi à identifier leur ennemi mortel : le léninisme . A tel point qu’oser évoquer la seule possibilité d’une avant-garde apparaîtra à plus d’un au mieux comme une inconséquence, au pire comme une trahison.

Et pourtant, des avant-gardes politiques sont inévitables : les inégalités de développement (dans les luttes, dans l’organisation, dans la conscience de classe, dans l’élaboration d’un projet politique autonome) qui apparaissent au sein du mouvement ouvrier et du mouvement social en général, et qui reflètent en définitive celles de la société globale, placent certains des éléments (certaines couches ou catégories, mais aussi certaines organisations) dans une position plus avancée que le reste du mouvement . Et elles sont souhaitables dans la mesure précisément où ces éléments avancés se proposent de réduire ces inégalités, donc de faire progresser le mouvement ouvrier et le mouvement social dans son ensemble en les portant à leur propre niveau.

De cette précision résulte immédiatement la nécessité d’opérer une distinction nette entre avant-gardes et état-majors. D’une manière générale, une avant-garde politique est la pointe la plus avancée d’un mouvement social. Regroupant un certain nombre de « francs-tireurs » lui servant d’éléments détachés, elle doit avoir pour vocation d’explorer l’horizon de ce mouvement, de reconnaître et de baliser les terrains sur lesquels il lui faut avancer, d’élaborer en conséquence des propositions stratégiques et tactiques qu’elle soumet à la discussion et à la délibération collectives en son seins. Mais cela ne lui confère aucun droit à prétendre le diriger en s’instituant en commandement en chef pour finalement se substituer à lui. Une avant-garde ne doit donc pas chercher à diriger le mouvement dont elle est la pointe avancée ; elle doit se contenter de l’éclairer, de le conseiller, de l’instruire, mais aussi réciproquement de l’écouter et d’apprendre en retour de sa part. Car « l’éducateur a lui-même besoin d’être éduqué »... et les avant-gardes doivent se préparer à recevoir quelquefois de rudes leçons de la part du mouvement auquel elles sont censées ouvrit la voie.

L’avant-garde se situe donc dans le mouvement, elle en est la tête chercheuse, la pointe avancée, comme nous l’avons dit. L’état-major se situe au contraire hors du mouvement, il cherche à le piloter en fonction d’une stratégie ou d’un plan de bataille élaboré de l’extérieur.

A la précédente distinction s’en ajoute aussitôt une seconde : celle entre avant-garde de fait et avant-garde de droit . L’avant-garde ne se décrète pas, elle ne peut pas s’auto-instituer, s’autoproclamer comme un état-major politique. Au contraire, elle doit se dégager et s’imposer comme telle au sein même du mouvement, en apportant à chaque fois la preuve de la justesse de ses orientations par sa capacité à les faire partager par l’ensemble du mouvement, à animer ses luttes. En ce sens, plutôt que d’une avant-garde constituée, il conviendrait plutôt de parler d’un pôle d’avant-garde, nécessairement diversifié et mouvant.

Car, de ce qui précède résulte aussi la pluralité nécessaire des avant-gardes. Du fait des choix qu’implique à tout moment un combat politique, du fait aussi de la complexité des problèmes théoriques et pratiques qui se posent au mouvement ouvrier dans toute situation historique, du fait ensuite de la multiplicité essentielle des possibles qui s’ouvrent devant lui, du fait enfin de la diversité essentiel des traditions politiques et idéologiques constituant l’héritage et le sol nourricier des avant-gardes, les options stratégiques et tactiques sont inévitablement elles-mêmes multiples et diverses à chaque fois. Et il est bon en ce sens que le mouvement ouvrier et social dans son ensemble ait toujours la possibilité de choisir entre plusieurs options politiques, qu’il puisse les confronter en les jugent à leurs actes et à leurs résultats.

Ce qui suppose évidemment la tolérance réciproque entre avant-gardes opposées et rivales, et un haut niveau de démocratie au sein du mouvement ouvrier et social, garants de la richesse et de l’efficacité de la discussion collective en son sein.

Il en résulte enfin la relativité de la notion d’avant-garde. Relativité dans « l’espace » : car telle organisation qui peut être à l’avant-garde du mouvement sur telle question théorique ou pratique se retrouvera à l’arrière garde du mouvement sur telle autre question. Relativité dans le temps : la finalité de ces avant-gardes ne doit pas être de se pérenniser en se rendant indispensables et en affaiblissant en conséquence l’ensemble du mouvement, mais u contraire de travailler à se rendre inutiles en amenant l’ensemble du mouvement à son niveau . Ainsi, le but de toute avant-garde doit être d’œuvrer à se supprimer comme avant-garde.

En ce sens, toute avant-garde se doit de gérer une contradiction. D’une part elle se doit de chercher à influencer le mouvement ouvrier et social dans son ensemble, de lui proposer (mais non de lui imposer) des orientations stratégiques et des modalités organisationnelles. Et, d’autre part, ses interventions ne peuvent avoir d’autre but que de favoriser l’autonomie de ce même mouvement, son autodétermination et son auto-organisation. C’est précisément pour être en mesure de dépasser cette contradiction que les avant-gardes ne doivent pas se considérer comme détentrices d’une vérité absolue, de la formule unique et définitive de la lute des classes, mais rester ouvertes sur l’inventivité du prolétariat en lutte, en rectifiant chaque fois que cela est nécessaire leurs propres conceptions programmatiques ou stratégiques en conséquences.
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Messages

  • Employer l’expression "avant-garde" au présent suppose qu’on connait la direction que l’histoire va prendre, voire qu’on connait sa fin dernière. Pouvons-nous nous vanter d’une telle connaissance ? Savons-nous dans quelle direction s’orientent nos sociétés à court, moyen et long terme ? Ou avons-nous la préscience de là où nous emmène l’histoire, là où se terminera - ce moment où s’arrête l’histoire en atteignant son point d’accomplissement est-il possible ?

    La question n’est pas futile, et nous héritons d’une tradition de gauche intimement liée à l’idée de progrès (héritage des lumières), voire de l’instauration brusque ou de l’élaboration progressive d’une société idéale (socialisme utopiste), voire nous désignant cette société idéale comme l’aboutissement inéluctable de l’histoire conçue scientifiquement (marxisme).

    Il est de bon ton d’en rire aujourd’hui, mais ces représentations marquent sans doute encore nos représentations, nos discours, nos pratiques.

    En tout cas, la notion d’avant-garde suppose une science permettant de prévoir l’avenir de nos société, au moins dans ses grandes orientations, et ceux qui se disent avant-garde dans le présent, prétendent aussi détenir cette science. Le rapport avec le mouvement social (le reste du mouvement social) est un rapport entre ceux qui savent et ceux qui ignorent. On ne suarait pas qualifier d’avant-garde un groupe qui analyserait le mouvement social pour comprendre les orientations à venir de la société, et qui serait dans un rapport au fait social de théorisation / vérification des hypothèses, et qui pourrait accompagner le mouvement social en lui proposant des perspectives possibles, que l’avenir validera ou non.

    On pourrait plus facilement parler d’avant-gare au passé. L’évolution des choses étant connue, nous pouvons plus facilement identifier quels sont les groupes qui se sont trouvés dans une position avancée par rapport à cette évolution. Encore faut-il savoir dans quelle temporalité nous nous situons. Ce qui est présenté comme un progrès, comme tourné vers l’avenir, comme allant dans le sens de l’évolution des choses, dans une temporalité d’une vingtaine d’année, la libéralisation de l’économie, est réactionnaire sur une échelle de temps de 150 ans. Et seul l’avenir validera laquelle de ces deux conceptions est pertinente : ce mouvement auquel nous assistons est-il un accident de parcours, une tendance provisoire au retour en arrière ; ou au contraire ce rôle régulateur de l’économie qu’a pris l’Etat dans un sens de protection et de réduction des inégalités n’aura-t-il été qu’une parenthèse qui se termine actuellement, ou qu’un phénomène provisoire aujourd’hui en cours de dépassement ?

    L’analyse des faits sociaux peut nous donner des éléments de réponse, mais nous n’avons qu’une vison partielle de la manière dont fonctionne une société et dont elle s’élabore. La croyance en un sens de l’histoire ou en une fin dernière est tout-à-fait valide dans son domaine, dont nous devons bien être conscient qu’il est celui de la croyance. Hors de cette croyance, nous somme dans le domaine de l’incertitude et des hypothèses.

    Cela invalide-t-il tout engagement ? Non, mais ça amène à en revoir les modalités. L’existence d’un sens de l’histoire permet d’identifier des groupes qui sont à l’avant-garde de cette orientation, et qui auront tout intérêt à se purifier pour être plus à l’avant - mais pas trop s’ils veulent entrainer le reste de la société, et il y a là un élément de dialectique qui a joué un grand rôle dans les mouvements marxistes. Mais si le sens de l’hisoire n’est pas écrit à l’avance, s’il se fait et se défait au fur et à mesure que la société se construit, nous sommes dans un mouvement permanent d’analyse et de théorisation, d’interrogation du fait social pour valider des hypothèses, le débat et la confrontation des conceptions devient un outil nécessaire, l’expérimentation sociale acquiert une pertinence toute particulière.

    On peut peut-être alors parler d’intellectuel organique, mais sûrement plus d’avant-garde.

    Philippe Wannesson.

    • Il importe pour mobiliser le peuple-classe à qui les forces de transformation social et environnemental s’adressent d’avoir un projet pluriel issu d’un débat démocratique, un projet à fenêtre, un projet fait de plusieurs projets de libération et d’émancipation. Il y a besoin de connaissances qui permettent tout à la fois des critiques de l’ordre existant et des pistes pour l’alternative.