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AVEC MAHMOUD DARWICH

Publie le samedi 5 août 2006 par Open-Publishing
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NOUS SORTIRONS

Nous sortirons.
Nous l’avons dit :
Nous sortirons.
Nous vous l’avons dit :
Nous sortirons un peu de nous-mêmes.
Nous sortirons de nous-mêmes
Vers une marge blanche, méditer le sens de l’entrée et de la sortie.
Nous sortirons d’ici peu.
Notre père qui était en nous est rentré chez sa mère, le Verbe.
Nous avons dit :
Nous sortirons.
Etrennez une foulée en d’un sang qui a débordé de nous
Et inondé vos canons.
Arrêtez, cinq minutes, ces avions en piqué.
Interrompez, trois minutes encore, le bombardement par terre et par mer,
Que sortent ceux qui sortent et entrent ceux qui entrent...

Nous sortirons.
Nous avons dit :
Nous sortirons.
Laissez donc une petite place pour les derniers adieux.
Que la paix soit sur nous, que la paix soit sur nous.
Nous rangerons nos membres dans les valises.
Arrêtez donc cinq minutes ce bombardement,
Que les belles élégantes lavent leurs seins des baisers passés.

Nous sortirons.
Nous avons dit :
Nous sortirons un peu de nous-mêmes.
Nous sortirons de nous-mêmes.
Au bord de la mer, nous avons jeté le rivages de nos corps et nous nous sommes brisés
Comme une tempête de palmiers, lorsque nous vous avons vaincus et remporté la victoire sur nous-mêmes,
Ajouté aux rues une ombre qui accorde la ville et son sens,
Qui invoque le Père et le Fils et l’Esprit, où que nous migrions et aussi loin que nous partions.
Nous sortirons.
Nous avons dit :
Nous sortirons.
Entrez donc, sept nuits brèves seulement, dans la nouvelle Jéricho.
Vous n’y trouverez pas une fillette à qui voler la natte, ou un garçonnet à qui voler les papillons.
Vous ne trouverez pas un mur sur lequel placarder vos ordres qui proscrivent le lilas de Chine et nous proscrivent.
Vous ne trouverez pas un cadavre sur lequel graver les psaumes de votre périple dans les fables.
Vous ne trouverez pas un balcon qui donne sur la Méditerranée en nous.
Vous ne trouverez pas une rue pour y monter la garde.
Et vous ne trouverez pas traces de vous et ne trouverez pas traces de nous.
Nous sommes sortis peu avant la sortie. Ne faites pas de signe de victoire au-dessus des cadavres.
Ici nous sommes.
Là-bas nous sommes.
Et nous ne sommes ni là-bas, ni là.
Ici nous sommes, sous les éléments et sommes un sang tapi dans l’air que vous égorgez.

Nous sortirons.
Nous l’avons dit :
Nous sortirons.
Bombardez notre ombre...
Notre ombre.
Menez-la captive à sa mère, la terre, ou suspendez-la aux châtaigniers.
Vous êtes où nous ne sommes pas !
Entrez dans votre illusion et labourez notre illusion.

Nous sortirons
Nous avons dit :
Nous sortirons du commencement de la mer,
Dans un tué, cinq blessés et cinq minutes,
Après la chute des communautés dans le vacarme de l’affrontement du fer et du clan.
Nous sortirons de chaque maison qui nous a vu détruire un char sur nous-mêmes, ou dans son voisinage.
Nous sortirons de chaque mètre et de chaque journée, ainsi que les bédouins sortent de nous.

Nous sortirons.
Nous avons dit :
Nous sortirons un peu de nous-mêmes, vers nous.
Nous sortirons de nous-mêmes
Vers la percelle de mer blanche, bleue.
Nous étions là-bas et là.
L’absence métallique signale notre présence.
Beyrouth était là-bas
Et là.
Et nous étions sur la parcelle de terre ferme, une horloge et une journée d’oeillets.
Adieu à ceux qui, peut-être, de notre temps, viendront silencieux
Et de notre sang, viendront debout pour que nous entrions.
Nous sortirons.
Nous avons dit :
Nous sortirons lorsque nous rentrerons.

(1986)

Mahmoud DARWICH, Poète Palestinien vivant.

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