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Cap à droite : une stratégie perdante

Publie le jeudi 27 septembre 2007 par Open-Publishing
8 commentaires

Philippe Marlière prévient le Parti socialiste : l’ouverture au centre de la gauche italienne s’est soldée par un échec.

de Philippe Marlière Maître de conférences en science politique à l’université de Londres

Ségolène Royal l’a affirmé à plusieurs reprises : un accord électoral ou organique avec le MoDem – une formation de centre droit – est aujourd’hui envisageable pour le Parti socialiste. Dans l’entre-deux tours de l’élection présidentielle, Mme Royal n’avait pas exclu de nommer François Bayrou au poste de Premier ministre, en cas de victoire contre Nicolas Sarkozy.

Sévèrement battue au second tour, et en dépit du médiocre report des voix bayrouistes sur sa personne, Ségolène Royal a continué de défendre l’idée d’un rapprochement entre le PS et le MoDem. Elle a même prédit que "des choses allaient se passer" entre les deux partis à l’occasion des prochaines élections municipales.

Éprouverait-elle quelque nostalgie pour les manœuvres d’appareils de la IVe République, période pendant laquelle la SFIO a souvent géré le pays aux côtés des démocrates-chrétiens ? Ou alors, souhaiterait-elle rejouer la partition de l’ouverture rocardienne des années 1988-1991, qui se solda par la débâcle électorale de 1993 ? Ou encore, tenterait-elle de s’inspirer de la gauche italienne ? Cette dernière hypothèse paraît plausible, car Ségolène Royal suit depuis quelque temps avec intérêt l’ouverture au centre pratiquée par les Démocrates de gauche (DS), le pendant italien du PS.

En octobre prochain, les « socialistes » de DS et la nébuleuse démocrate-chrétienne et libérale de la Marguerite se fondront en un parti unique qui s’appellera – comme son modèle étatsunien – le Parti démocrate (PD). Ce parti ne sera ni socialiste ni de gauche. Cette alliance du centre, organique, va toutefois se dérouler dans des conditions très différentes pour la gauche de ce qui aurait pu advenir dans les années 1970. Aux élections de 1976, le PCI (dont sont issus les DS) venait de recueillir 34,4 % des voix, alors qu’aujourd’hui les DS peinent à rassembler plus de 15 % sur leur nom. Que s’est-il passé entre-temps ? Un recentrage idéologique, politique et, aujourd’hui, structurel des DS. Ces derniers ont volontairement tourné le dos à la culture égalitaire et solidaire de la gauche post-communiste depuis le début des années 1990. Cette stratégie idéologiquement motivée produit aujourd’hui des effets désastreux au sein de la gauche italienne.

Lorsque le PCI s’est transformé en Parti démocratique de la gauche (PDS) en 1991, la majorité des ex-communistes refusèrent la voie social-démocrate sociale et radicale. Le PDS privilégia un recentrage politique autour de sujets « sociétaux », au détriment d’engagements pour la justice sociale et de la poursuite d’une relation critique avec le capitalisme. Le cap à droite coûta au parti une première scission et la création du Parti de la refondation communiste (PRC), un parti en réalité post-communiste, ouvert aux thématiques « post-matérialistes » (féminisme, environnement, égalité sexuelle, etc.), mais resté fidèle aux idéaux égalitaires de la gauche. Cette ligne de gauche a été récompensée par les électeurs italiens. Depuis 1991, le PRC peut compter sur un score plancher de 6 à 8 % des voix. Lors des élections législatives de 2006, les Italiens ont élu 41 députés du PRC. Le PDS – renommé DS – a continué obstinément dans la voie du recentrage et a perdu, à chaque élection, de nouvelles voix. L’hémorragie électorale ne fut qu’artificiellement ralentie à partir de 1996 avec la création de l’Olivier, un cartel électoral.
L’Olivier regroupe les DS (la principale force partisane), des ex-membres de la Démocratie chrétienne (DC), qui avait implosé à la suite des enquêtes de l’opération Mani Pulite (nom d’une opération judiciaire lancée en 1992 contre la corruption du monde politique italien), d’ex-Verts (Marco Rutelli, l’ancien maire de Rome), des libéraux de gauche et des Républicains. Ce regroupement hétéroclite permet à l’Olivier d’atteindre péniblement 30 % des voix. L’ex-Parti socialiste de Bettino Craxi (PSI), lui aussi emporté par Mani Pulite, qui obtenait encore plus de 15 % des voix à la fin des années 1980, n’est pas réapparu comme force partisane crédible. Les voix socialistes en déshérence se sont réparties à gauche, au centre et dans la droite berlusconienne. Le discours droitier des DS a dérouté et découragé les électeurs de gauche. Le déclin culturel de la gauche a encore accentué le déclin électoral. La droitisation des DS a largement profité à Silvio Berlusconi, la plus grosse fortune du pays, qui fut élu à deux reprises président du Conseil. Une telle dérive à l’américaine ne se serait jamais produite si la gauche socialiste s’était un tant soit peu comportée comme une force de gauche. Le battage médiatique autour du blairisme et de son (introuvable) « troisième voie » a été une aubaine pour les DS. À partir de 1997, ils purent revendiquer une « modernité de gauche », en se référant en positif au néolibéralisme autoritaire du Premier ministre britannique.

Comment expliquer un tel aveuglement dans la poursuite d’une stratégie aussi néfaste pour la gauche italienne ? D’abord, une erreur d’appréciation historique : les ex-communistes italiens ont cru, à tort, que la chute de l’Union soviétique avait discrédité les valeurs de gauche traditionnelles. Au début des années 1990, les néolibéraux répétaient que la modernité politique se mesurait à l’aune de la flexibilité économique et des privatisations. Ensuite, une autre erreur sur le plan de la sociologie électorale : les DS ont pensé que la droitisation de leur discours et de leurs politiques permettrait d’attirer des électeurs centristes tout en retenant tout ou partie de leur électorat. Ils se sont trompés dans les deux cas. Les DS ont perdu nombre de leurs soutiens traditionnels, qui ont rejoint le PRC, d’autres formations de gauche, ou se sont réfugiés dans l’abstention. Inversement, la greffe avec les éléments chrétiens et néolibéraux de la Marguerite n’a jamais pris. Les militants, issus de deux traditions très différentes, coexistent difficilement au sein de l’Olivier. Il est à craindre qu’une cohabitation organique au sein du PD soit encore plus difficile à gérer.

Le cas italien doit être étudié de près en France tant les cultures des gauches française et italienne sont proches (laïcité, égalitarisme profond, acuité du clivage gauche-droite, méfiance instinctive vis-à-vis du capitalisme, etc.). Si Ségolène Royal était en mesure d’imposer une alliance avec le MoDem, il faudrait parier sur la répétition en France du « scénario italien ». Dans un tel cas de figure, un ex-PS, parti centriste allié au MoDem, ne pourrait que connaître un profond déclin électoral.

Messages

  • Et malheureusement ...ns pourrions craindre aussi un maintien de la droite au pouvoir , voire du centre droit allié à un ex PS ...Au secours !! je ne vois pas le bout du tunnel !

    Marjo

  • Le cas italien doit être étudié de près en France tant les cultures des gauches française et italienne sont proches (laïcité, égalitarisme profond, acuité du clivage gauche-droite

    Trés bonne remarque : les Français qui se croient à l’avant-garde de la politisation populaire ne sont en fait qu’à la traine des Italiens pour ce qui est de persévérer dans l’erreur. Ne venons nous pas d’élire notre Berlusconi en plus ridicule ?

    • Effectivement, les politiques de droite c’est à dire libérales et capitalistes vont nous conduire droit dans le mur.

      Signé : faux grenelle de l’environnement.
      faux socialisme.

    • Les stratégies sociales libérales également. Ségolène a été choisie par les adhérents du PS par un tour de passe passe:les adhérents à 20 € qui snas expérience ni passé politique ont simplment suvi ce que les sondages du moment leur ont dicté... Le dernier bouquin de Mélanchon nous éclaire sur le fonctionnement interne du PS et le positionnement de son premier secrétaire. Cet article est intéressant parce qu’il témoigne de l’expérience italienne qui se cherche comme l’expérience allemande qui ouvre plus de perspectives.... Dans les deux cas, on le vient bien, avant de se mettre d’accord sur un programme, il a d’abord fallu s’entendre sur le type de rassemblement et surtout le mode de fonctionnement avan d’engager la démarche programmatique.... En ayant fait l’inverse, nous n’avons pas su collectivement nous rassembler... La démarche du programme au lieu de nous rassembler nous a par la suite opposé.... Des expériences de fonctionnement de la diversité come ATTAC montre également leurs limites à partir du moment où le mode de fonctionnement n’est pas réglé... A ne pas vouloir apporter de réponse à cet aspect pour élaborer un programme, on le voit avec le recul, cela devient mortifère pour le rassemblement... Les comités antilibéraux ne s’en relèveront pas, ATTAC peine (- 15 000 adhérents), le projet de la LCR ne démarre pas et les scores de la vraie Gauche s’effritent.... Travaillons d’abord à un rasseblement qui se donne des modes de fonctionnement et de prise de décision démocratique et respectueuse des identités diverses qui le composent et seuement après, nous pourrons construire un programme politique capable de nous fédérer et de créer une vraie dynamique... L’expérience allemande devrait nous aider sans pour autant jouer du copier/coller... Cessons de penser qu’on peut seul en évitant de regarder les expériences d’ailleurs avec condescendance voire même ironie... Cessons de railler les expériences sud américaines qui ont au moins le mérite d’apporter la réponse urgente à la plus grande partie de leur population en matière d’alimentation, d’éducation, de santé et de logement.... Parce que ces pays ont pris dans la gueule plus de vingt ans de libéralisme impulsé par des gouvernements fantoches aux ordres du club de Chicago alors que nous entrons nous à peine dans le vif des politiques libérales avec Sarkozy et DSK aui aurait u être le candidat de "gauche" à la tête du FMI....

  • Oui visiblement, Madame Royal, si elle gagne son OPA sur le PS, risque de conduire la gauche française, comme cela est le cas pour la gauche italienne au fiasco.
    Plus la gauche devient modérée, plus elle s’inscrit à droite, plus elle crédibilise la droite ou tout au moins son idéologie et sa politique.
    Ainsi le nouveau communisme italien arrive à la fin du cycle. Le PCI devenu DS s’allie avec les débris de la démocratie chrétienne pour devenir le Parti Démocrate.Finalement la Démocratie Chrétienne, c’est à dire la droite voit ses idées triompher.

    Gilbert.

  • Ils existent des forces sous-jacentes, les classes sociales, leurs mouvements réels, leurs éventuelles compromis, qui déterminent les trajectoires des partis politiques et pas seulement les désirs de leurs dirigeants.

    La phase d’instabilité que connaissent beaucoup de forces social-démocrates (au sens originel du terme) vient beaucoup de la disparition de ce qui faisait leur substrat : un compromis capital-travail, établi par un rapport de forces préalable, ayant cristallisé et ossifié des appareils puissants se nourrissants et des conquêtes des travailleurs et de leurs places d’interlocuteurs et organisateurs d’une classe puissante.

    Le cours des rapports de force entre travailleurs et capitalistes a fait qu’un grand tournant a été pris dans la fin des années 70 et début 80 qui a conduit la bourgeoisie a remettre en cause la plupart des compromis passés avec les organisations de travailleurs et les partis de gauche. Ce mouvement s’est accéléré ces dernières dix ans au point que la place même du réformisme et de la social-démocratie a été mise en cause par ce mouvement de fond. L’espace social-démocrate s’est asséché . Ce ne sont pas seulement des erreurs de dirigeants socialistes ou ex-communistes comme en Italie qui ont fait l’essentiel , mais le choc entre la nature des organisations sous-jacentes et le rapport de force entre les classes.

    Soit la gauche réformiste et social-démocrate allait beaucoup plus vers la gauche et donc jetait aux orties tous les conforts de situations, avec les risques inhérents, comme d’être mis sous contrôle de leurs bases et de devoir prendre le risque d’un grand affrontement avec la classe bourgeoise, soit elle continuait sa mue sur la droite en abandonnant les logiques sociales-démocrates et réformistes , pour aller vers des partis n’ayant plus aucune référence à un changement de société ou même plus aucun désir réel de contrer sérieusement les dérives du capitalisme.

    Le choix de DS comme du PS français d’aller, sous des formes ou d’autres, vers des partis "démocrates" à l’américaine (ce qui ne signifie pas forcement des partis démocratiques ou favorables à plus de démocratie, bien au contraire), est logique, mais renvoie à une dérive normale de survie de membres de castes dirigeantes.

    Les dirigeants de l’ex-DS en participant à un parti démocrate à 30% se foutent complètement de la glorieuse histoire du PCI, et ce n’est pas un échec pour eux, même si, à contrario c’est un échec politique pour les travailleurs. Le calcul est bon, ils sont élus ! ou pensent qu’ils le seront.

    Mais au fond, la seule survie possible des sociaux démocrates en tant que tels est un virage tellement à gauche que même l’opportuniste Fabius n’en imagine pas l’ampleur...

    Les habitudes d’organisation de la gauche et des travailleurs en période de remise en cause fondamentales des compromis essentiels des trente glorieuses sont complètement chamboulées et à révolutionner pour faire face à la situation nouvelle.

    La question particulière du PCF qui a eu sur le fond mêmes travers et mêmes succès que le PCI , vient de l’existence sur sa droite d’un parti socialiste bien plus puissant que ne le fut le PSI. Là où le PCI dans l’après mai rampant italien n’a pas laissé beaucoup d’espace à un parti socialiste, le PCF n’a pu empêcher la constitution d’un PS puissant au moins électoralement.

    Ce PS français en même temps qu’il a mouillé le PCF dans des politiques de droite par des alliances gouvernementales, a épuisé petit à petit le PCF, en même temps qu’il empêchait celui-ci d’obtenir compensations sur sa droite des politiques menées. Le chemin vers la droite pour le PCF était verrouillé, il ne lui restait plus que les compromis humiliants et affaiblissants avec le PS.

    Rien n’empêche plus des morceaux essentiels du PS d’aller vers un nouveau parti démocrate à la française. Par contre le PCF, à part une fraction significative mais minoritaire, n’a pas cet intérêt là et ce chemin lui est sur l’essentiel barré, il n’a plus d’autre choix que d’aller sur sa gauche, pas pour faire plus radical que moi tu meurs, mais dans son organisation, son lien aux travailleurs, ses objectifs et le traitement qu’il réserve à ses dirigeants et son "encadrement".

    Les militants communistes, si ce "révolutionnement " ne conduit pas à du sectarisme , y trouveront eux rafraichissement et ré investissement. Reconquête et reconstruction.
    Dans ce chemin de libération, de contrôle de leurs représentants, de table rase des habitudes de soumission aux directions, ils trouveront bien du monde sur la route.

    Copas

  • L’article de P.Marliere decrit l’echec de la strategie de "virage a droite de la gauche italienne".
    Un point me semble manquant.
    Refondation qui a acceuillit un grand nombre de ceux qui ont refuse, a un moment ou un autre, au moins en partie, ce virage participe au gouvernement Prodi qui implemente "cette politique de droite".
    Cela aussi peut faire reflechir en France, a l’heure ou l’example de Refondation et a l’echelle europeenne du PGE est donne par beaucoup comme exemple par beaucoup de ce qu’il faudait faire "a gauche".

    Observateurlointain

    PS : desole pour les accents

  • Madame Royale a fait une campagne floue au dessus du PS et la gauche. Si bien que le débat s’est centré non pas sur des revendications économiques mais sur un anti Sarkosisme. Bayrou s’est engoufré en avant poste (missionné par la droite) en concurrence de l’antisarkosysme en pompant 3 millions de voix au PS et quelques centaines de milliers aux communistes. Dans la spirale , obligation d’un candidat de gauche au 2 ème tour oblige Madame Royal a réussi à aspirer 3 millions de voix à la gauche du PS.

    Besancenot lui n’a fait que prendre 1 million de voix à LO et quelques centaines de milliers de voix à des éléecteurs du PCF (agacés par la platitude de la campagne). Il a servi aussi d’apirateur pour prendre en tenaille le PCF entre le PS et l’extrême gauche ;

    Au deucième tour Monsieur Bayrou est rentré discrètement au bercail une fois sa mission accomplie.

    Encore une fois la diabolisation a servi d’autres causes que le vrai débat économique (de classe).

    si Madame Royal avait gagné on aurait en France un front social démocrate du PS au Modem écartant tout projet de changement fondamental de la société et relayant aux oubliettes de l’extrême gauche le vote de volonté de changement profond.