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SMSI 2003 - Quand les altermondialistes ratent le rendez-vous

Publie le samedi 10 avril 2004 par Open-Publishing

par Bruno Jaffré et Jean-Louis Fullsack, CSDPTT, www.csdptt.org

Nous avions appelé dans un article publié ici, à ce que la Société
civile ne manque pas le rendez-vous du Sommet Mondial de la Société de
l’Information (SMSI). Du 10 au 12 décembre, s’est tenu à Genève le
Sommet Mondial de la Société de l’Information clôturant cette première
phase. Malheureusement la mobilisation altermondialiste fut presque
inexistante. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que la déclaration dite
de la " société civile " soit d’une étonnante platitude si ce n’est sur
la question des droits de l’homme et dans une moindre mesure sur les
logiciels libres.

Si elle n’est pas avare en déclarations de bonnes intentions à propos
de l’égalité des sexes, des droit des peuples autochtones, du respect
de la pluralité de langues (alors que l’on a imposé de fait et sans
guère de protestation la langue anglaise comme seule langue de travail
de la Société civile) il a fallu que le Groupe Afrique menace de
rédiger se propre déclaration pour que la problématique du
développement apparaisse comme prioritaire. Une timide allusion aux
services publics apparaît en introduction sous la forme " En outre, les
gouvernements devraient assurer et promouvoir les services publics
lorsque les citoyens le jugent nécessaires… " !!!.

Les affirmations selon lesquelles : " Il nous faut résolument renoncer
à toute promotion des TIC au service du développement à finalité
purement lucrative et mue uniquement par la loi du marché. Il convient
de prendre sciemment et délibérément des mesures en ce sens afin de
veiller à ce que les nouvelles TIC ne soient mises en place d’une
manière qui perpétue encore les tendances négatives actuelles de la
mondialisation économique et de la monopolisation des marchés… "
apparaissent d’une étrange naïveté faute d’une analyse des mécanismes
de la mondialisation libérale et de sa dénonciation sans réserve alors
que la déréglementation des télécommunications n’a affecté que le
premier des secteurs jusqu’ici publics à en subir les effets
dévastateurs. Enfin, citons en dernier exemple les droit des
travailleurs qui a droit à 9 lignes sur les trente pages de ce
document, dans lesquelles il est question de respecter les normes
interna-tionales et le droit des travailleurs à se syndiquer. Et
toujours cette affirmation de l’éminence des TIC comme solutions
universelles, qui au mieux pourrait passer comme de la naïveté : " Les
TIC doivent servir à faire comprendre les règles relatives aux droits
de l’homme et les normes internationales du travail et à les faire
respecter et appliquer ". Cette Déclaration, est-il spécifié sur sa
page de garde, a été " Adoptée à l’unanimité par la plénière de la
société civile du SMSI le 8 décembre 2003 ". Relativisons cette emphase
en précisant que " la société civile du SMSI " présente pour approuver
ce document par acclamation n’a pas dépassé la soixantaine, alors que
les organisateurs avaient accrédité plus de 1300 associations pour ce
Sommet. Ces quelques exemples montrent les égarements mais aussi les
graves insuffisances dans l’expression de la société civile représentée
au Sommet. Ajoutons d’autre part que, alors que pour les participants
aux séances officielles, la participation de la Société Civile semblait
être assurée sans accroc, les membres du CASIC présents sur place en
sont revenus avec l’impression d’avoir été méprisés.

Le Sommet de Genève ne constituait que la première phase du processus
du SMSI, la deuxième phase se déroulant jusqu’au Sommet de Tunis en
2005. Plus encore qu’il y a deux ans, nous pensons qu’il ne faut pas
rater ce deuxième rendez vous ; nous allons ici en exposer quelques
raisons même si les résultats exposés ci-dessus parlent d’eux-mêmes.
Car s’il n’est plus concevable aujourd’hui de laisser les sommets du G8
ou de l’OMC se tenir sans une mobilisation massive, rien ne justifie
qu’il n’en soit pas de même pour le Sommet Mondial de la Société de
l’Information. Et cela pour plusieurs raisons.

1. Les secteurs convergents de l’informatique, des télécommunications
et des médias sont au coeur des préoccupations du mouvement
altermondialiste, comme secteurs les plus avancés dans le processus de
concentration monopolistique, de mondialisation libérale, de
destruction des services publics et de dérives spéculatives.

2. Les sommets organisés par l’ONU sont autant d’occasions d’aller plus
avant dans la remise en cause de l’ONU et du système
intergouvernemental pour officialiser le pouvoir croissant des
multinationales au détriment des Etats. A cet égard l’Union
Internationale des Télécom-munications (UIT), a joué le rôle de
précurseur depuis la vague de déréglementation du secteur des
télécommunication et la privatisation des opérateurs historiques qui en
a résulté.

3. Ce Sommet a constitué une des expérimentations les plus avancées
(mais peut-être aussi la plus pernicieuse) de la tentative
d’instrumentaliser la Société Civile pour consolider le processus de
mondialisation libérale.

La prochaine phase du Sommet est prévue à Tunis en 2005. Les
manipulations qui ont permis de contourner les interventions des
quelques membres du CASIC et des autres contestataires lors du Sommet
de Genève viendront cette fois non seulement du " bureau de la Société
civile " mais aussi bien sur des autorités tunisiennes expertes en la
matière dans ce pays dictatorial ou toute expression de l’opposition
est violemment muselée sans ménagement. Mais on pourra aussi compter
sur d’importantes contradictions qui ne manqueront par d’apparaître
entre ces deux pôles en particulier sur la question des libertés. Les
conditions d’expression seront plus difficiles mais l’expérience de la
première phase a permis d’éclairer les objectifs et les stratégies des
uns et des autres. La préparation ne doit donc souffrir d’aucun retard,
et requiert d’autant plus de rigueur et surtout une mobilisation
beaucoup plus large, au sein du mouvement altermondialiste. Des forces
existent, en Europe comme l’influent collectif communica-ch avec qui
nous sommes proches mais aussi en Afrique, comme en témoignent un
certain nombre de courriers reçus par notre association dans la phrase
préparatoire.

Le Sommet à Tunis constitue par ailleurs une excellente occasion de
soutenir les organisations tunisiennes militant pour leurs droits
d’expression, et contribuer à la construction -dans des conditions
difficiles- des forces altermondialistes des pays du Maghreb, les
formes de participation au Sommet devant bien évidemment être décidées
en concertation avec elles.
De façon plus générale, la présence active, nombreuse et militante des
altermondialistes nous paraît d’autant plus justifiée que l’on se
trouve au cœur de leurs préoccupations : la lutte contre la
déréglementation néolibérale et les privatisations et pour la
refondation des services publics, la dénonciation des effets de la
spéculation et financière et le dumping social. Enfin le fait que ce
Sommet se déroule dans un pays du " Sud " est une opportunité majeure
pour dénoncer les échecs des conférences internationales sur le
financement du développement et promouvoir à cette fin la prise en
compte de la taxe Tobin et de toute autre proposition alternative au
dogme libéral. Outre les questions citées ci-dessus relatifs à la
spécificité des télécommunications et de l’informatique et des médias,
il représente une opportunité de continuer les mobilisations lors des
Sommets de Rio, de Johannesburg, de l’OMC ou du G8 et des autres
conférences internationales.

(paru dans Grain de Sable n°462 par Bruno Jaffré ATTAC Nord-Essonne Président de CSDPTT
bjaffre@csdptt.org ; Jean Louis Fullsack ancien expert de l’UIT,
délégué de CSDPTT au SMSI jlfullsack@wanadoo.fr)