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PALESTINE : "RASEZ CE VILLAGE !" par Gideon LEVY

Publie le samedi 22 décembre 2007 par Open-Publishing

Michel COLLON info- reprint d’Haaretz

http://internationalnews.over-blog.com/article-14793962.html 7 décembre 2007

Les plaques de marbre brisées, de l’entreprise « Ha-Shalom » [la paix], dont une partie était destinée aux cuisines des colons, sont autant de témoins des événements de la soirée de la vengeance. « Ha-Shalom » a volé en éclat. Les pleurs de Na’ama Masalha, qui est restée cachée une heure durant dans la salle de bain avec ses petits enfants, pendant que les colons brisaient les fenêtres de sa maison, racontent eux aussi l’histoire de cette soirée de terreur. A Al-Foundouq, petit village sur la route de Kalkiliya à Naplouse, un des derniers villages palestiniens où des Israéliens, essentiellement des colons des alentours, font réparer des voitures et font des achats, on lèche maintenant ses plaies et on évalue les dégâts.

Le secrétaire du conseil, Omar Jaber, fait son rapport : dégâts au marbre – 111.000 livres israéliennes [19.000 €] ; dégâts aux voitures – 76.000 livres israéliennes [13.000 €] ; aux maisons – 6.000 livres israéliennes [1.035 €] ; aux magasins – dix mille livres israéliennes [1.726 €]. 16 voitures, 15 maisons, 15 magasins et deux marbreries ont, d’après lui, été endommagées ce soir-là. Il est à peu près évident que pour ces violences, nul ne les dédommagera. Il ne restera que la terreur et les sentiments de colère et de frustration dans ce paisible village qui a payé le prix de l’assassinat du colon Idan Zouldan, un habitant de Shavei Shomron, abattu le soir du 19 novembre, sur la route qui traverse le village.

Cinq jours plus tard, à la fin de shabbat, des centaines de colons ont pris d’assaut Al-Foundouq – sous la protection de soldats de l’armée israélienne qui, selon les témoignages, auraient aidé à l’œuvre de destruction – et se sont déchaînés dans le village qui était placé sous couvre-feu. Lundi passé, l’information a été publiée que les forces de sécurité avaient attrapé la bande : trois membres de la « sécurité nationale », de Kadoum. Cette semaine, les colons sont allés à Kadoum aussi.

Le temps est au rose. Un groupe de jeunes colons a récemment pris le contrôle d’une maison palestinienne abandonnée qui domine la route conduisant à Al-Foundouq et l’ont peinte en rose. Mais la vue sur la route qui passe au bas de l’avant-poste sauvage « Shevout Ami » n’est vraiment pas rose : la route est jonchée des pierres que les colons lancent sur les voitures palestiniennes qui y passent. Le terrifiant bulldozer de l’armée israélienne qui passe lentement sur la route porte dans sa pelle excavatrice d’énormes pierres destinés à bloquer les villages des alentours, mais pas l’avant-poste évidemment. Telle est la justice israélienne.

Environ 500 personnes vivent à Al-Foundouq. C’est un village sans martyrs, presque sans prisonniers – seulement des tailleurs de pierre, des marchands de légumes, des épiciers et des mécaniciens qui servent les colons des environs. Cinq jours après l’assassinat d’Idan Zouldan, le village a été placé sous couvre-feu total. Ensuite, couvre-feu nocturne pendant huit jours. Il faut apaiser les colons, non ?

Dans le bâtiment du conseil, les esprits sont remontés. Le secrétaire, Omar Jaber, dit qu’environ 400 colons ont envahi le village en cette sombre fin de shabbat. Zakaria Sada, qui habite le village voisin de Jit et qui est le coordinateur des opérations de terrain de l’organisation des « Rabbins pour les droits de l’homme », raconte que les soldats faisaient avec leurs torches de la lumière pour les colons, afin qu’ils y voient mieux dans leur entreprise de démolition. « Ils leur montraient où casser », dit Zakaria Sada.

« Il y a une chose aussi vraie que le soleil se lève à l’est : les colons ne seraient pas entrés dans le village sans la protection de l’armée », dit Omar Shari, un habitant du village voisin de Sir, qui effectue à Al-Foudouq des travaux d’infrastructures et dont deux des engins de terrassement ont été endommagés. Selon lui, « là où des voitures étaient dans l’obscurité ou derrière un mur, l’armée a montré le chemin aux colons et les a éclairés ».

Il évalue les dégâts occasionnés à ses tracteurs à 15.000 livres israéliennes [2.590 €]. « Je respecte vos morts comme je vous demande de respecter les nôtres », dit-il. « Un soldat russe est venu ici il y a deux mois et m’a demandé "d’où sors-tu ?". J’ai dû lui demander : "Toi qui es russe, qu’est-ce que tu fais ici ?". Al-Foundouq existe ici depuis 500 ans. Kedoumim est ici depuis 20 ans et prétend contrôler tout le territoire. C’est l’armée qui permet aux colons d’avoir ce contrôle ».

Le secrétaire déclare qu’une « punition collective n’est pas juste. Nous avons des enfants, des femmes, des bébés, des malades et des vieillards. S’ils veulent arrêter quelqu’un, qu’ils l’arrêtent. Qui a tué le colon, nous n’en avons aucune idée, mais une punition collective contre tout le village : pourquoi ? Boucler Al-Foundouq, c’est boucler un tiers de la Cisjordanie. Tout le trafic entre le nord et le centre de la Cisjordanie passe sur notre route. C’est la seule route. Jusque hier, elle était fermée. Nous entendons tous les jours parler du processus de paix, mais sur le terrain on n’en voit rien. Quand je suis chez moi et qu’on vient démolir ma maison et ma voiture, qu’est-ce que je dois faire ? » Et Omar Shari, le propriétaire des pelleteuses, ajoute cet avertissement : « A Al-Foundouq, il n’y a pas de martyrs, mais ce qu’on fait maintenant ici aux enfants, d’ici 10 ou 15 ans, quand ils auront grandi, vous entendrez ce qui se passera ici ».

Dans la rue principale du village, un camion décharge des caisses de volailles de l’abattoir « La belle volaille », de Hadera. Dans l’épicerie de Saker Bari, se tient un colon portant une large kippa blanche, occupé à choisir des légumes. Saker Bari évalue le préjudice qu’il a subi du fait du couvre-feu à 3.000 livres israéliennes [518 €]. Il possède un cahier dans lequel il note toutes les dettes des colons qui achètent chez lui à crédit : un total d’exactement 17.503 livres israéliennes [3.000 €], fin novembre.

Ils paient généralement tous les mois, tous les deux mois, mais il en a pour 34.000 livres [5.870 €] de dettes perdues depuis le début de la seconde Intifada. Saker Bari fait venir des conserves de maïs et de jeunes carottes parfaitement casher pour ses clients juifs. Plusieurs d’entre eux ont bien sûr pris part à la soirée de pogrom. Depuis lors, seule une partie de ses clients juifs sont revenus. Ils viennent de toutes les colonies des environs, qu’il énumère : Kedoumim, Shavei Shomron, Alon Moreh, Ariel, Imannuel, Karnei Shomron et Einav. La carte d’un nouveau pays.

Au bout d’un chemin boueux, au seuil d’une maison relativement isolée, se tient Na’ama Masalha, vêtue de noir, le regard baissé. Quand les colons ont assailli la maison, son mari, Aqram, 31 ans, était encore à son travail, à charger des caisses de légumes pour Israël. Vers neuf heures et demie du soir, il a essayé de rentrer chez lui, en dépit du couvre-feu, jusqu’à ce qu’il découvre que le chemin était barré par des centaines de colons et de soldats. Un moment plus tard, la nouvelle lui est parvenue que les colons encerclaient sa maison et y causaient des dégâts, alors que son épouse et ses trois petits enfants y étaient piégés.

Il était désemparé. Son petit garçon, Rima, un élève de première année occupé en ce moment à préparer ses devoirs, apporte les preuves : deux étuis de grenades de l’armée israélienne, sur lesquels est écrit en hébreu : « Grenade détonante aveuglante. Délai : 1,5 seconde. 0,3-0,6 ch. » Aqram montre les dégâts, dont une partie a été réparée : huit fenêtres qui ont été brisées, trois lampes sur le balcon, grillages arrachés, le tuyau d’arrivée d’eau saboté et, dans la boue, les traces du colon venu à cheval pour casser et démolir.

Na’ama : « Nous dormions dans les chambres. Mon mari n’était pas à la maison. Tout à coup, j’ai entendu les colons qui brisaient les fenêtres et qui essayaient d’entrer dans la maison. La porte était verrouillée. » Na’ama s’est empressée de rassembler ses enfants et tous ensemble, ils sont entrés dans la salle de bain, une petite pièce à l’autre bout de la maison, où ils se sont cachés en attendant que l’orage passe. Ils sont restés là plus d’une heure. Le téléphone portable de Na’ama était en panne et elle n’avait aucun moyen d’appeler à l’aide, jusqu’à ce que son frère parvienne à rejoindre la maison et à la secourir. « Aujourd’hui encore, elle pleure quand elle y repense », dit Aqram, « Hier, je lui ai dit : "Prépare à manger et asseyons-nous comme avant", et elle m’a dit qu’elle n’en était pas capable ».

Quand son frère Mohamed est arrivé, la maison était encerclée de nombreux colons avec, parmi eux, des soldats et des policiers. Afin de conserver une trace de l’incident, il a mis en route l’enregistreur de son téléphone portable puisque l’obscurité l’empêchait de prendre des photos. Maintenant, il nous fait entendre les enregistrements. « Rasez ce village… Rasez cette maison », entend-on crier d’une voix sèche, en hébreu, par une femme. Et alors on entend un bruit de coups violents. Mohamed dit qu’ils frappaient avec leurs armes dans les fenêtres, qu’ils y lançaient des pierres, qu’ils avaient aussi en main des bâtons et des barres de fer. Les soldats et policiers étaient en face. La femme continue de laisser ses cris sur l’enregistrement : « Habitants de Foundouq, écoutez bien. Ce village sera rayé. Dans le sang et le feu, ce village sera effacé. Sortez, sortez des maisons ».

L’enregistrement est long. Toutes les paroles prononcées ne sont pas claires. De temps à autre, on entend un coup de klaxon, de temps à autre, le bruit d’une grenade détonante. Pendant tout ce temps, Na’ama et ses trois enfants sont dans la salle de bain, terrorisés. Avant de fuir dans la salle de bain, la fille aînée, Ishra, 14 ans, a vu par la fenêtre grillagée de sa chambre le colon à cheval frapper dans les fenêtres. « Prenez garde, policiers et soldats », de nouveau la voix de la femme colon, « si vous ne donnez pas une réponse adéquate et n’abattez pas cette maison, vous serez responsables des morts à venir ». Alors, et seulement alors, on entend la voix des policiers appelant tous les Israéliens à s’en aller dans les cinq minutes. Na’ama et ses trois enfants s’en sont sortis indemnes et ils ont passé les jours qui ont suivi chez les parents de Na’ama, dans un village voisin.

Un colon souhaite acheter une bonbonne de gaz dans l’épicerie de Saker. Il n’y a plus de gaz et le colon demande : « Comment vais-je cuisiner ? ». Dans la marbrerie « Ha-Shalom », les plaques de marbres brisées sont dressées en rang. Il y a des éclats de marbre répandus partout. Majad Diab, le propriétaire, estime les dégâts pour son entreprise à 50.000 livres israéliennes [8.627 €]. Il habite dans la maison de pierre qui a été élevée au-dessus de l’entreprise et dont les vitres sont encore toujours cassées. Il est resté tout ce temps-là sur la terrasse et a vu les colons, cassant et brisant.

Majad Diab raconte qu’une adolescente, parmi les colons, a essayé de faire tomber une plaque de marbre sans y parvenir et que les soldats l’ont alors aidée. Il l’a vu de ses yeux. Qu’a-t-il fait ? « Rien », répond-il, embarrassé, le visage couvert d’une poussière blanche, le crayon coincé derrière l’oreille. Il dit que cela a duré jusqu’à onze heures et demie du soir. Lui sur le toit, les colons et les soldats dans l’espace qui est devant l’entreprise.

Le porte-parole de l’armée israélienne, répondant cette semaine à notre interpellation, a esquivé la question de savoir si réellement les soldats avaient aidé les colons. « Au cours de la manifestation, les pierres ont volé, réciproquement, entre colons et Palestiniens, habitants du village. Les forces de l’armée israélienne, en collaboration avec les garde-frontières et la police, ont dispersé la manifestation. En outre, au moment de la manifestation, les forces ont arrêté deux colons et deux Palestiniens qui étaient déchaînés et lançaient des pierres. Les personnes arrêtées ont été confiées aux soins de la police israélienne. Il est bon de souligner que l’armée israélienne considère avec gravité les troubles de l’ordre et aussi le fait que la manifestation n’avait pas été autorisée par une autorité militaire ».

Escorté de trois jeeps, le bulldozer de l’armée israélienne est entré en tempête dans Al-Foundouq, portant encore une pierre dans sa pelle. Il doit déposer la pierre sur une des routes du village, au bout d’une oliveraie, pour y étrangler le trafic. Au dernier moment, le conducteur se ravise et sort du village, prend soin de ne pas toucher encore aux oliviers et s’empresse de trotter vers le village voisin, Jinsafout. Là, sur la route d’accès au marchand de pneus du village, il laisse tomber la pierre et bloque ainsi le passage. A l’intérieur d’un véhicule Transporter jaune, une famille observe en silence ce qui se passe. Les enfants ont le nez collé aux vitres. Que leur raconte leurs parents, en ce moment ? A côté de ce nouveau barrage qui vient d’être placé, se trouve encore, par une diablerie, le vieux panneau annonçant, au nom du gouvernement allemand : projet de rénovation des routes du village. Le conducteur du bulldozer tasse le monticule de terre et ajoute encore une pierre. Pour plus de sécurité.

(Traduction de l’hébreu : Michel Ghys)