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POUR UN DEVELOPPEMENT SOUTENABLE

Publie le jeudi 22 avril 2004 par Open-Publishing

la Souris Verte

 1. SORTIR DU DOGME DE LA CROISSANCE ET DU PRODUCTIVISME

Aujourd’hui, partout, la société est muée par cette permanente course à la croissance. De gauche, comme de droite, libéral, keynésien ou marxiste, tout le monde attend religieusement un retour à la croissance économique. Cette sacro-sainte reprise nous permettra, selon eux, de résoudre tous les problèmes économiques et sociaux du moment : avec la croissance, zéro chômage et tout le monde sera riche et heureux. Alors que la planète entière se shoote à la croissance notre devoir d’écologistes est de nous interroger plus globalement sur les conséquences écologiques d’une telle course à la croissance ? Alors que nous vivons tous sur une planète aux ressources finies quel est le sens de vouloir toujours courir à l’accumulation des biens sans se soucier du véritable pillage écologique que nous sommes en train de commettre ?

Plus généralement, c’est le problème d’une répartition équitable des ressources naturelles qui se pose. Alors que les pays "développés" du Nord surconsomme, le développement des pays du Sud semble compromis. Sur une planète où une ville comme Londres a une empreinte écologique 120 fois supérieure à sa superficie et où 20% de la population mondiale consomme 80% des ressources planétaires, il semble plus que temps de s’interroger sur l’idée d’une justice mondiale.

On peut qualifier, l’équilibre actuel de la planète en citant Pierre Rabhi « cinq hommes autour d’une table, avec cinq pommes. Le premier prend quatre pommes et laisse le cinquième aux autres. Parmi eux, l’un prend la moitié de la pomme qui reste, un deuxième un quart, et les deux derniers vont se partager inéquitablement le quart restant. Voilà l’état du monde. ». René Dumont, père fondateur de l’écologie politique française, dans son livre "l’utopie ou la mort", cite un économiste capitaliste : « de toute façon, les habitants de la planète Terre ne sont pas tous aussi voraces que les Américains » et commente ainsi « Hé oui ! Heureusement qu’ils ne sont pas aussi voraces ! ».

Le mouvement altermondialiste est aujourd’hui animé de la volonté de changer le monde et son injustice. Pour cela il nous paraît urgent de ne pas s’enfermer dans des schémas avec comme unique ligne directrice le plein emploi et la production pour satisfaire chacun des êtres humains. Alors qu’un mouvement mondial se met en place pour réclamer l’abolition de la dette financière des pays du tiers-monde, il est grand temps de se tourner vers les pays du Nord pour réclamer le paiement de leur "dette écologique". Aujourd’hui pour construire une mondialisation juste, il faut diviser par quatre l’espace écologique occupé par les pays du Nord !

Cette situation est bien issue de plusieurs siècles d’un régime capitaliste et productiviste centré sur la course à l’accumulation. Nous payons les conséquences de ce capitalisme sauvage dont nous sommes tous complices et les solutions alternatives à l’injustice de ce développement ne pourront que se faire en dehors du capitalisme. Mais ne nous trompons pas, derrière ce capitalisme, c’est l’idéologie productiviste dominante qui est la cause de la ruine de la planète. Le productivisme marxiste est lui aussi dirigé vers un toujours plus d’accumulation. La construction d’un autre mode de développement dépasse de très loin la question de la propriété des moyens de production et de la répartition des richesses produites. Comme l’explique Guy Roustang, « l’opposition capitalistes - travailleurs n’est plus déterminante. En effet, à supposer même que la production soit répartie équitablement entre le capital et le travail, la question de l’orientation de la production se poserait de manière tout aussi cruciale. » La véritable question est alors : pourquoi et comment produit-on ?

La contestation de la croissance économique est un fondement de l’écologie politique. Il n’est pas de croissance infinie possible sur une planète finie. Alors que les écologistes ont montré depuis plusieurs décennies, que nos modes de vie étaient catastrophiques face a l’approche de la finitude des ressources naturelles de la planète, l’urgence est là.Nous, écologistes, proposons un nouveau mode développement soutenable ayant pour volonté de créer une véritable justice mondiale face à l’utilisation des ressources planétaires et sortant des schémas productivistes imposés jusqu’ici.

 2. VERS UN DEVELOPPEMENT SOUTENABLE

Pour sortir du « mal-développement » actuel, peut-on se contenter du développement durable tel que proposé dans le Rapport Bruntland et médiatisé au Sommet de la Terre de Rio de 1992, stipulant qu’est durable un développement se situant à l’intersection des trois sphères économiques, sociales et environnementales ? Bien que conscients que cette définition consensuelle est issue d’un rapport de force entre les chantres du productivisme (qu’ils soient néoclassiques ou keynésiens) et les partisans de l’écologisme, le Forum des Jeunes Verts ne peut se contenter d’une conception aussi faible et peu ambitieuse ne sachant ni rompre avec l’économisme ni remettre l’homme au centre de préoccupations de la société.

Même si l’on admet qu’elle représente un progrès certain, la définition du développement durable porte en elle les germes de sa nécessaire évolution tant elle reste inaboutie. Sa faille principale : elle ne fixe aucune priorité entre le social, l’économique et l’environnement, c’est-à-dire aucune priorité entre un objectif, l’homme et le vivant, et un moyen pour y parvenir, l’économique. Cette absence totale de hiérarchisation entre finalité et instrument transforme un concept d’espérance en un simple affichage de bonnes volontés politiques et en un saupoudrage de mesures sociales et environnementales dans une économie triomphante. Soumis par ce biais à toutes les récupérations de la pensée unique économiste, le développement durable doit entrer dans une seconde phase de son existence, celle de la soutenabilité, prochaine étape vers une conception forte et véritablement écologiste du développement. Ainsi, l’adjectif « durable », ne mettant en avant qu’une notion de temps, laissera la place au terme « soutenable », contenant les notions de finitude, d’acceptabilité et de réversibilité.

Pour parvenir à cette évolution radicale du développement et permettre ainsi son passage de la « durabilité » à la « soutenabilité », il est indispensable de s’appuyer sur un principe de base : un sous-système ne peut réguler un système qui l’englobe. En d’autres termes, « la régulation du tout, le vivant, ne peut être effectuée, à partir du bas, par un niveau d’organisation, l’économie, inférieur agissant selon ses propres finalités ». L’économie est incluse dans la société, elle-même incluse dans la biosphère ; ainsi le marché - qui n’est d’ailleurs qu’un constituant parmi d’autres de l’économie - ne peut valablement prétendre imposer son mode de fonctionnement à tous les niveaux du réel . Seule une organisation contrôlée à tous les niveaux par les ressources humaines peut prétendre satisfaire cette dernière.

Ainsi, nous définirons concrètement par développement soutenable, à l’instar de René Passet, « un phénomène complexe - à la fois quantitatif, qualitatif et multidimensionnel - respectant les mécanismes régulateurs des sphères humaines et naturelles dans lesquelles il s’accomplit ». Le développement soutenable a comme objectifs un mieux-vivre des populations humaines et une pérennité des systèmes écologiques assurant le renouvellement de notre environnement. Afin de transmettre un monde viable aux générations futures, toute activité humaine doit se situer dans les limites de capacités de régénération des cycles biogéochimiques, c’est-à-dire respecter la capacité de charge de l’écosystème. Il en résulte que les Jeunes Verts se doivent de prôner la décroissance là où c’est nécessaire et la croissance là où c’est possible et souhaitable. Bien sûr, un développement ne saura se qualifier de soutenable s’il ne s’établit pas dans une démocratie.

Loin de nous, donc, l’économisme ambiant, confondant objectifs et moyens ! l’économique n’est qu’un instrument, et non une priorité, au service de l’humain dont les finalités lui sont bien supérieures. Le développement soutenable ne doit d’ailleurs pas être vu comme une finalité en soi, ni un nouveau dogme, mais bien plus comme un cadre évolutif, non unique, permettant d’assurer, tant aux niveaux intra qu’intergénérationnels, une justice locale et mondiale, un partage équilibré des richesses et des ressources naturelles, la solidarité et l’autonomie, ainsi que l’épanouissement personnel.

 3. ...DANS LES PAYS DU NORD

Pour sortir de l’impasse du développement productiviste des pays du Nord, quatre pistes interdépendantes sont avancées : casser le triangle production-emploi-consommation, construire une économie plurielle, s’acheminer vers la décroissance matérielle et redéfinir la notion de richesses et d’activités humaines.

Casser le triangle production-emploi-consommation

Pour pouvoir fonctionner, le système socio-économique a besoin d’une armée de consommateurs se gavant de la surproduction de la machine économique. Afin de fournir aux petits soldats les munitions pour consommer, il faut alors viser le plein emploi, lui-même permettant d’atteindre toujours un plus haut niveau de production, dégageant un surplus appelant à la consommation etc.. Le système, dont nous sommes tous partie prenante, repose sur une marche en avant infernale autour du triptyque production-emploi-consommation. C’est ce cercle vicieux que nous devons nous efforcer de casser en ayant une réflexion globale sur les richesses, l’activité humaine, l’économique et la décroissance matérielle.

Comptons les vraies richesses, redéfinissons la notion d’activités La richesse ne peut et ne doit pas être considérée comme résultant de la valeur d’échange marchande résultant de la simple application de loi de l’offre et de la demande, reposant sur le désir et la satisfaction personnelle. Il est grand temps de reconsidérer la richesse en la basant aussi sur l’utilité sociale, le don et le débat politique. En d’autres termes, il est temps de mettre fin à la suprématie de la richesse marchande sur toutes les autres richesses. Le bénévolat, l’échange gratuit ou la qualité de l’environnement sont des richesses tout aussi importantes qu’il nous faut prendre en compte dans le calcul du bien-être d’une population. Cette redéfinition de la richesse passe, entre autres, par la fin de la dictature du PIB et l’utilisation d’indicateurs alternatifs mesurant la santé, l’(in)sécurité sociale, la biosphère, les activités non productives, ....

A cette redéfinition des richesses est corrélée une autre problématique : la redéfinition de l’activité humaine. Il faut en finir avec la valeur travail comme valeur centrale de la société indispensable au fonctionnement du productivisme. Du système éducatif à l’organisation de la sécurité sociale, l’homme est perçu principalement dans sa fonction de travailleur productif. Le panel des activités humaines est bien plus large que cette réduction grossière et doit entendre outre les activités productives : les activités associatives, les activités artistiques, les activités politiques et les activités familiales.

Cette définition étendue de l’activité entraîne deux conséquences majeures : la réduction du temps de travail afin de redistribuer les temps de l’activité humaine et la fin de l’objectif de plein emploi, au sens où on l’entend aujourd’hui, afin de dissocier richesse et travail.

Pour une économie plurielle

L’économie ne doit pas être simplement ramenée à sa dimension marchande. Se basant sur la redéfinition des richesses et de l’activité et des finalités du développement soutenable, il est temps d’introniser l’économie plurielle composée de :

 l’économie publique capable d’investissements lourds et répondant à des intérêts d’utilité collective, sociale et écologique.

 l’économie marchande est une source d’innovations et d’initiatives individuelles. Elle s’adresse à une clientèle solvable pour des biens et services ne relevant pas de nécessités premières. Elle est en outre fortement régulée et encadrée et s’oriente vers une éco-économie basée sur les services, l’informationnel et le relationnel.

 l’économie sociale et solidaire : autrement dit, un tiers secteur échappant tout aussi bien à la logique du capital comme à celle de l’Etat et permettant de développer le secteur associatif, coopératif ou mutualiste.

 l’économie distributive assurant une redistribution des richesses et, entre autres, le versement du revenu d’existence à tou-t-es.

La décroissance matérielle du Nord

Afin de rogner un des angles du triangle et ainsi dissocier la conception du bien-être de la possession marchande, diminuer la charge de nos ponctions sur l’écosystème et permettre une plus grande justice mondiale, les Jeunes Verts soutiennent la décroissance matérielle des pays du Nord. Cela passe par une réduction de notre consommation personnelle en biens matériels et en énergie. Il faut aussi remettre sur le devant de la scène la communauté de biens et la possibilité ainsi de partager des biens de consommation. Une machine à laver ou un frigidaire pour cinq ménages apportent les mêmes services que cinq machines à laver ou cinq frigidaires individuels. Face à la société de surconsommation, osons la société de la sobriété et de l’épanouissement personnel !

 4. ... ET DANS LES PAYS DU SUD

Le développement des pays du sud tend à suivre une ligne de conduite présentée comme salvatrice par les pays du nord. Cette ligne de conduite ne semble pourtant pas atteindre son objectif d’offrir un « mieux-vivre » dans les pays du sud. Au contraire, ce sont plutôt les pays du nord qui en tirent le plus profit.

Ainsi, dans le secteur agricole par exemple, les engrais chimiques, les pesticides et autres insecticides, ont permis, il est vrai, d’obtenir de très bons rendements, comme l’avaient prédits les pays producteurs de ces produits. Cependant, l’utilisation intensive et répétée de tels produits chimiques recommandés, a pour conséquence de détruire la richesse des sols et donc de compromettre l’avenir des générations futures. Un autre exemple est trouvé dans le secteur de l’éducation. La science venue du nord est enseignée en tant qu’ultime explication de tout. L’absence d’adaptation de l’enseignement, selon les besoins et les modes de pensée locaux, provoque un déracinement culturel et uniformise la vision du monde et de son fonctionnement.

D’un point de vue plus général, ce sont les mentalités des populations du sud qui n’empruntent pas le bon chemin. Omnibulées par le modèle représenté par le nord, à savoir celui de la prospérité et de l’individualisme, les populations du sud tombent dans la recherche perpétuelle du profit, par tous les moyens et quelles que soient les conséquences, sociales ou environnementales. C’est ainsi que l’on assiste à des spectaculaires détournements d’argent, chose courante dans de nombreux états (et en particulier les états africains), qui constituent un véritable « frein » à l’amélioration des conditions de vie au sud.

Un grand changement doit s’opérer au sein des pays du sud. Et comme le dit Emmanuel N’Dione, spécialiste du développement de l’Afrique : « changement ne signifie pas forcément rupture. Au contraire, il peut résulter de la redécouverte de valeurs ou de pratiques mises en péril par la modernisation et l’idéologie [actuelle] du développement ». Concrètement, et pour reprendre les exemples précédents, l’application de ce changement dans le secteur agricole impliquerait un retour à des pratiques oubliées, respectueuses de la terre et du renouvellement de sa fertilité, dans le but de produire pour consommer localement, et non pour exporter. L’éducation, quant à elle, se doit de s’ouvrir à tous pour réduire les inégalités sociales, et laisser place aux influences culturelles propres à chaque pays ou région, ce qui implique de former des enseignants issus de la population d’origine.

C’est bien là la marche à suivre : rien ne sert d’apporter des solutions toutes faites ; il faut apprendre à les trouver et à les mettre en place localement. Le développement des pays du sud doit être mené au profit de la communauté. Il ne s’agit pas de s’isoler, mais de briser l’aspiration des peuples du sud à suivre la voie indiquée par les pays du nord qui ne peut être que désastreuse sur les plans environnemental et social, à l’échelle mondiale, et qui, c’est certain, ne peut être la voie du « mieux-vivre ».

 5. POUR PARVENIR AU DEVELOPPEMENT SOUTENABLE, LE REFORMISME RADICAL

Nous sommes conscients que nous proposons une société radicalement différente de celle dans laquelle nous vivons aujourd’hui. C’est un but à long terme que nous nous fixons et nous ne comptons pas sur le mythe du grand soir pour y parvenir mais bien plus sur une logique d’évolution lente de nos modes de vie. Nous nous engageons pour cela dans un processus de réformisme radical. Tout en gardant à l’esprit la société que nous souhaitons construire à l’avenir, nous nous efforçons d’agir dans toutes les sphères de la société pour la faire changer au jour le jour. Il n’y a pas de petites mesures et le réformisme que nous appliquons ne se suffit pas à lui-même mais est guidé par les grands principes radicaux énoncés dans ce texte.

CE REFORMISME RADICAL PASSE PAR :

 sur le court terme  : l’économique qui permet d’orienter les choix de consommation et l’allocation des ressources. Les écotaxes, par exemple, sont de puissants outils privilégiant un type de consommation au détriment d’un autre.

 sur le court et moyen terme, ’action politique, à tous les niveaux et à travers les lois, les grandes décisions stratégiques en termes de production et de structuration de la société.

 sur le long terme, un changement de mentalité que l’on peut obtenir par l’éducation populaire ou l’école mais aussi par nos modes de vie et comportements personnels. Par exemple, le pouvoir du changement est aujourd’hui détenu en grande partie par les consommateurs qui deviennent ainsi des acteurs politiques. Le refus d’acheter ou la volonté de consommer citoyen sont autant d’actes de désobéissance civile et politique pouvant faire vaciller l’idéologie productiviste.

Persévérer obstinément dans l’application du dogme capitaliste productiviste ne peut qu’amener une crise mondiale portant atteinte à tous sans exception. Il est grand temps de remettre l’homme et son environnement au centre des préoccupations et de se diriger vers un développement soutenable permettant son épanouissement sans compromettre celui de ses descendants.

 Position votée lors de la coordination fédérale de la Souris Verte / Forum des Jeunes Verts du 20-21 décembre, 2002

http://sourisverte.org/

http://sourisverte.org/article.php3?id_article=5