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LETTRE OUVERTE A Mme LA MINISTRE DE LA CULTURE

Publie le mardi 30 septembre 2008 par Open-Publishing
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Pour une application immédiate de l’article 1 de la constitution
dans le domaine des arts vivants

" Il y a des citoyens, il n’y a pas de citoyennes. C’est là un état violent ; il faut qu’il cesse. "
Victor Hugo.Extrait de la Lettre du 8 juin 1872 à Léon Richer.

Madame la Ministre,

Le 21 juillet 2008, le Parlement, réuni en congrès à Versailles, a adopté le projet de loi constitutionnelle de modernisation de la Vème république.

Nous, femmes exerçant nos métiers dans le domaine du spectacle vivant, en avons pris connaissance. Nous remercions chaleureusement celles et ceux qui, dans l’ombre, ont permis la modification de l’article 1 dont la teneur suit :

« La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. »

Il est de notre devoir aujourd’hui de prendre le relai, pour demander publiquement et fortissimo, que l’application de cet article devienne effective dés cette saison 2008-2009 dans le domaine culturel.

Pour quelles raisons devrions-nous encore attendre ?
Ce qui est inscrit dans notre constitution l’est, nous le savons toutes, grâce à de longues luttes menées au XXème siècle pour la reconnaissance des droits et de l’expression libre des femmes dans la cité. Nous ne verserons pas aujourd’hui notre plume dans le sermon du féminisme. Nous laissons volontiers ce terme à ceux et celles qui croient encore que la lutte pour les droits des femmes se résume en l’unique revitalisation d’un mot, galvaudé par d’autres qui, pour étouffer de légitimes revendications citoyennes, savent depuis toujours fabriquer « les ghettos des minorités ». Nous n’accepterons cependant pas d’être insultées, parce que « créatures présomptueuses », nous avons l’audace, en ce début de XXIème siècle de nous mêler de politique et du respect dû à notre constitution. Il ne s’agit pas là de démocratie, Madame la Ministre ; la démocratie est née sans les femmes et poursuit, hélas souvent, son chemin sans elles.

Il s’agit d’une totale reconnaissance de la légitimité constitutionnelle.

Citoyennes responsables, nous pensons donc que la « non-application » d’un premier article de la constitution rendrait caduc l’ensemble des autres articles de la constitution de notre république. L’ensemble de ce texte fondateur deviendrait, à nos yeux, une couveuse artificielle d’articles invalides.

Voici ce que nous exigeons :
 La parité des postes de responsabilités (artistiques, administratifs et techniques) dans l’ensemble du champ culturel.
 Une programmation plus féminine dans nos théâtres (textes et mises en scène). Une programmation qui reflète la réalité du vivier culturel de notre pays.

Nous avons bien noté la reconnaissance accordée par l’ « Adami » à deux jeunes femmes chefs d’orchestre, lauréate du prix « Talents chef d’orchestre » cette année mais à quand pour elles et pour d’autres, la direction musicale ou technique des orchestres de ce pays ? Nous avons bien noté que la parité était devenue effective dans les théâtres nationaux, avec les récentes nominations (Comédie Française, Théâtre de Chaillot et TNS) mais qu’en est-il des directions des scènes nationales, des écoles supérieures d’enseignement artistique et des opéras ?

Il devient aujourd’hui hors la loi, et le texte adopté le 21 juillet 2008 nous autorise cette formule, que sur les 42 directeurs de Centres Dramatiques Nationaux et Régionaux, on ne compte que 7 femmes (dont trois en co-direction) ; Il devient hors la loi que 80% d’hommes dirigent des festivals subventionnés par les institutions de notre pays ; Il devient hors la loi, que le quartet masculin qui dirige la DMDTS (direction et délégations) soit entièrement masculin et que les Directions Régionales des Affaires Culturelles de ce pays soient dirigées en majorité par des hommes.

Nous savons que notre société reste toujours patriarcale mais nous restons médusées quand parlent les chiffres. Oui, Madame la Ministre, quand parlent les chiffres, notre secteur, qui devrait être à la pointe des questions d’égalité et d’équilibre semble réellement à la traîne. (Afin de visualiser l’ensemble des statistiques sexuées dans le secteur des arts vivants, vous pouvez vous reporter au rapport de 2006 rédigé par une de vos expertes de la DMDTS ).

Analysons quelques évènements récents :
Hormis vous-même, Madame la Ministre, 9 femmes sur 105 personnalités ont été invitées lors du forum sur la culture organisé par le journal Libération, entre le 13 et le 15 juin 2008, au théâtre Nanterre Amandiers, pour parler des enjeux culturels de notre pays. Sérieusement, nous avons ri…
D’autant que dans ce même théâtre, sur 12 spectacles programmés cette saison, un seul sera mis en scène par une femme et un seul texte de femme (celui de Marguerite Duras) sera proposé au public.
L’écriture de Marguerite Duras sera également présente au Théâtre de la Colline et sur 12 spectacles programmés cette année, 3 seront réalisés par des femmes ; tous présentés dans la petite salle !
Pire, dans le Théâtre Parisien qui se doit de célébrer l’Europe, tel qu’il est indiqué sur son fronton (Théâtre de l’Odéon) et qui en 1968 avait été occupé par des étudiants en quête d’un monde plus juste, aucune mise en scène et aucun texte écrit par une femme ne seront programmés cette saison. Pas plus que la saison passée !

Nous comptons sur votre plus grande vigilance, Madame la Ministre, pour que dans nos théâtres nationaux la parité soit également effective dans les programmations et pour inciter les Centres Dramatiques Nationaux et régionaux à programmer, enfin, des textes écrits par des femmes.

Il est temps pour nous, femmes-artistes, d’acquérir l’habitude d’écrire, de représenter, de communiquer nos idées à l’extérieur, de réinventer des esthétismes, et de rendre visibles aux publics nos visions des mondes de demain. Longtemps, parce que nous devions accepter sagement d’être les détentrices de l’espace - clos et domestique - du privé, l’Etat nous a refusé l’espace - ouvert et citoyen - du public. Au cours les siècles passés, volontairement exclues de la vie de la Cité, nous avons pris l’habitude de nous taire. Il n’est pas si aisé de sortir de l’espace du silence et de mettre en valeur sur la scène publique la vaste sphère du domaine féminin, de nous dévoiler, avec ou sans pudeur, pour donner à voir et à entendre ce qui nous habite intérieurement, individuellement.

Ce n’est pas chose aisée mais nous allons nous y atteler, Madame la Ministre :

Dès cette année, plusieurs d’entres nous se présenteront à la direction de nos théâtres, de nos orchestres et de nos institutions culturelles ; plusieurs d’entre nous proposeront leurs projets aux responsables des programmations.

De votre côté, respectueuse de la loi, vous veillerez, Madame la Ministre, à ce que s’ouvrent enfin les portes légales du vaste domaine des arts et de la Culture.

Notre démarche est soutenue par certains de nos collègues hommes ainsi que par tous ceux et toutes celles qui n’exercent pas dans le domaine culturel mais soutiennent notre action (Voir liste de nos soutiens).

Victor Hugo, que nous avons cité en exergue, a dit un jour à l’Assemblée Nationale : « Le dix-huitième siècle a proclamé le droit de l’homme ; le dix-neuvième proclamera le droit de la femme. ». Le XXIème siècle verra-t-il enfin l’application des droits et de légale expression des femmes dans la cité ?

Sincèrement,

Fait à Paris, le 21 septembre 2008

SIGNATAIRES
Barbara Bouley-Franchitti (MetteurE en scène et réalisatrice), Elodie Chanut (MetteurE en scène et comédienne), Aurélia Stammbach (MetteurE en scène et réalisatrice), Catherine Le Guern (Directrice des Affaires Culturelles en Ile de France) Tarrière Val (Chanteuse/comédienne), Nadège Milcic (Danseuse et comédienne), Mathilde Fischer (Assistante)…

Pour devenir signataire de cette lettre :
Envoyer votre nom et profession avec la mention « Signature » à : lettre-parite@live.fr
Pour soutenir les femmes-signataires de cette lettre :
Envoyer noms et profession avec la mention « Soutien » à : lettre-parite@live.fr

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