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Répression violente du mouvement social de Gafsa : un procès caricatural dans une démocratie policière.

Publie le mardi 3 février 2009 par Open-Publishing

Décembre 2008. Quelques mois après la révolte du bassin minier de Gafsa, plusieurs syndicalistes et militant-es tunisiens sont jugés coupables, en première instance, "d’entente criminelle portant atteinte aux personnes et aux biens" et de « rébellion armée ». Ça ne vous rappelle rien ? Alors que le procès avait été entaché d’irrégularités, le report en appel s’achève le 3 février.

Gafsa, au sud-ouest de la Tunisie, est loin de ressembler à la clinquante Tunis. Cette ville, comme les autres de la région, est en proie à une pauvreté frappante, le taux de chômage est deux à trois fois supérieur à celui du pays déjà proche de 15% [1].

La société d’exploitation des mines est le principal employeur. Lors de la cession de recrutement de janvier 2008, des fraudes patentes sont mises à jour, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase : les chômeurs et chômeuses, à Redeyeff d’abord, manifestent leur colère. Tout se passe dans le calme et la dignité, ce qui n’empêche pas la police, conformément à ses habitudes [2], de réprimer violemment la manifestation.

Mouvement social et répression policière

La population se joint au mouvement durant la semaine qui suit. Le 6 juin, une grande manifestation, pacifique encore une fois, tourne au drame, la police ouvre le feu : deux morts. Deux manifestants tentent de se réfugier dans la zone des transformateurs d’électricité du complexe d’exploitation du phosphate et sont électrocutés suite à la remise en marche de ceux-ci ordonnée par le directeur... Les violences policières font de nombreux blessés [3]. D’autres manifestants sont interpellés et depuis emprisonnés. Parmi eux des syndicalistes de la seule centrale syndicale tunisienne (l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens) [4] Celles et ceux présents à ce moment là sont aussi embarqués, comme le fils et le neveu de l’un d’entre eux.

Le but du pouvoir est désormais clair : leur faire porter le chapeau et éradiquer toute velléité de protestation à Gafsa comme ailleurs. La parodie de procès des 38 inculpés [5] en décembre dernier ne démontre que cela : les accusés prennent de deux à dix ans ferme, verdict aberrant prononcé au mépris total des lois tunisiennes [6].

Une parodie de procès

Le 13 janvier, le procès en appel est revenu sur les aspects les plus caricaturaux de cette « justice d’État » : les prétendues pièces à conviction n’ont jamais été présentées ! Les accusés n’ont pas pu s’exprimer, les témoins aussi bien de l’accusation que de la défense n’ont pas été présentés non plus. De plus, les avocat-es ont relevé de nombreux vices de forme : PV antidatés ou truqués pour des accusés... qui n’étaient pas sur les lieux au moment des faits !
Les avocat-es [7], de plus, n’ont pas pu rencontrer la plupart des accusés avant le procès. Ils demandaient que ceux-ci puissent bénéficier de soins, en raison de tortures qu’ils auraient subies. Qu’ils soient aussi dans une seule prison [8] et enfin que les familles puissent exercer leur droit de visite, lui-aussi bafoué jusqu’à présent. Enfin, plus important encore, ils réclament, pour toutes ces raisons – une seule aurait suffit hors d’une dictature policière – la remise en liberté de tous les accusés.

La cour ne leur a accordé qu’une chose : le report en appel le 3 février. Une autre délégation de syndicalistes algériens, marocains et français [9], se rend à Gafsa pour apporter son soutien aux inculpé-es.

Le pouvoir tunisien : entre l’apparence démocratique ou la répression d’un mouvement dangereux pour son autorité.

Il s’agit sans conteste d’un procès politique, la Tunisie n’a pas connu un tel mouvement, aussi long, depuis bien longtemps. Ben Ali joue beaucoup dans ce procès, il craint que la protestation ne s’étende et sait que ce mouvement est mené par des militant-es et des populations qui estiment ne plus rien avoir à perdre. Le pouvoir veut éviter aussi que les échos de ses exactions ne montent en puissance à l’étranger. Une campagne a été entamée dans la presse nationale pour dénoncer les « ingérences étrangères » dans les affaires tunisiennes ainsi que leur « relent de colonialisme » (!). Une question reste : pourquoi si peu d’échos de ces pratiques du pouvoir tunisien dans la majorité des médias français ?

Stéphane Enjalran, présent au procès en appel du 13 janvier pour l’US Solidaires. SUD éducation

La Brique


[2Cf article sur www.sudeducation.org/article2808.html, militante tabassée par les flics. Site de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme aussi

[3Une militante de Gafsa prendra des clichés des blessé-es envoyés à l’hôpital, ce qui lui vaudra plus tard son licenciement et un tabassage en règle par le chef de la police. Voir article sur : http://www.sudeducation.org/article2808.html

[4Qui appartient à la confédération internationale des syndicats libres http://www.ituc-csi.org/spip.php?rubrique1&lang=fr).

[5Parmi eux se trouve Mouhieddine CHERBIB, président de la Fédération Tunisienne pour la Citoyenneté et l’amitié entre les deux Rive, résidant en France, condamné par contumace à deux de prison. Pour plus d’informations sur la situation à Gafsa : http://www.citoyensdesdeuxrives.eu/, site de la FTCR. La FTCR est à l’origine de la mobilisation politique, associative et syndicale en France qui a conduit à la création d’un Comité de soutien aux inculpé-es et à l’envoi de délégations en Tunisie lors des procès.

[6Tous les avocats qui ont plaidé au procès l’ont démontré clairement. http://www.fidh.org/spip.php?

[7Selon une avocate envoyé par l’UGTT. Notez la solidarité internationale qui s’active : près de 80 avocat-es se sont constitués pour la défense, dont deux marocains venus exprimer leur solidarité avec les accusés.

[8Ils sont actuellement dispersés dans trois prisons pour multiplier les difficultés pour les avocats

[9La délégation internationale qui s’est rendue au procès en appel le 13 février était composée de trois algériens du Syndicat National Autonome des Personnels de l’Administration Publique (Santé), de trois marocains qui représentaient la Confédération Démocratique du Travail, l’Organisation Démocratique de Travail (Education) et une association d’avocats, d’un avocat français représentant la FIDH, de la CNT, de la FSU et de SUD éducation pour l’US Solidaires ainsi que de la députée PC. Celle qui sera présente au procès reporté le 3 février s’élargira de représentants de la CFDT et de la CGT.