Accueil > Jean Ziegler : "la haine de l’occident"

Jean Ziegler : "la haine de l’occident"

Publie le lundi 13 avril 2009 par Open-Publishing

Jean Ziegler : « la haine de l’occident »

Derrière ce titre quelque peu provocateur, le sociologue suisse, (qui fut longtemps rapporteur spécial à l’ONU pour le droit à l’alimentation du conseil des droits de l’homme, de 2 000 à
2 008 et postule à l’un des 3 postes réservés au groupe occidental dans le conseil des Droits de l’Homme de l’ONU), n’exprime pas un sentiment personnel, on l’aura compris, mais les raisons profondes qui font que les peuples du Sud nourrissent autant de méfiance, poussée jusqu’à la haine à l’égard de l’occident.

Cet occident qui, il y a à peine plus d’un demi-siècle, était encore la puissance colonisatrice de la plupart des pays d’Asie et d’Afrique, ceux des pays d’Amérique latine étant théoriquement indépendants mais économiquement colonisés.

Et c’est ce qui est arrivé après l’irréversible mouvement de décolonisation qui a suivi la seconde guerre mondiale mettant fin au nazisme et à ses velléités de conquérir le monde.

L’esclavage aboli, l’indépendance politique, difficilement conquise, ne s’est pas traduite par l’indépendance économique, dans l’immense majorité des cas, au contraire, avec en plus, l’émergence d’une caste de privilégiés dans quelques pays riches en pétrole notamment, parfois artificiellement crées par les « grandes puissances » qui ont tout fait pour conserver leur leadership sur le monde en imposant leur modèle économique qui perpétue leur domination de fait.

Dans la première partie de son livre, Jean Ziegler montre que la mémoire est encore vive de cette époque coloniale où furent commises les pires atrocités par les puissances occidentales parfois pendant plusieurs siècles, à commencer par la traite des noirs vers les Amériques, puis l’esclavage le plus primitif, puis la surexploitation, les humiliations, les discriminations, le pillage des richesses et des biens.

Et l’on voudrait, compte tenu des crimes récents et passés commis par les pays colonisateurs, que les populations du Sud accueillent les invocations des droits de l’homme, dans la bouche d’un homme politique occidental, comme paroles d’évangile !

Ne remuons pas le couteau dans la plaie, n’est-ce pas ? On ne vit pas en ressassant le passé mais en se tournant vers l’avenir. C’est que Sarkozy est allé dire à Dakar, le 26 juillet 2007 (p.81, 82, 83) : »le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire…jamais l’homme africain ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin… »

Il fallait oser le faire ! Il l’a fait, plein d’arrogance, tel un conquistador qui dicte ses conditions et expose sa vision du monde. Soumettez-vous à notre modèle et tout ira mieux pour vous !
D’ailleurs s’il concède que l’esclavage, la colonisation étaient des « fautes », il a défendu, sinon inspiré – il venait de quitter le gouvernement pour la présidence de l’UMP- le fameux projet de loi du 23 février 2005, véritable hymne à la présence prétendument civilisatrice de la France en Afrique, ce qu’il fallait mentionner dans les manuels : la loi pour dire l’histoire !

Ziegler donne la traduction sur le terrain de cette conception de la « coopération » avec
l’Afrique (p.83) : « …de 1972 à 2002, le nombre des hommes, femmes et enfants gravement et en permanence sous-alimentés a augmenté de 80 à plus de 200 millions personnes… » Cela est dû principalement à la politique de dumping agricole pratiqués par les Etats occidentaux qui mettent sur le marché africain des produits agricoles du sud de l’Europe, subventionnés, à la moitié, voire au tiers du prix des produits locaux !!

Ce discours de Dakar a eu un retentissement mondial, jusqu’à l’Assemblée générale de l’ONU où, rapporte Ziegler, l’intellectuel sénégalais, Doudou Diène a déclaré, le 9 novembre 2007 : « Il est essentiel que le président français, Nicolas Sarkozy, sache que le discours de Dakar a causé une blessure profonde…Dire, devant les intellectuels africains, qu’ils ne sont pas entrés dans l’Histoire s’inspire des écrits racistes des XVII è, XVIII è et XIX è siècles ». C’est aussi ce sentiment qu’exprime Aminata Traoré dans son livre : « l’Afrique humiliée » (Ed. Fayard 2008).

A la veille de l’ouverture de Durban 2 à Genève, conférence mondiale sous l’égide de l’ONU, contre le racisme, les discriminations raciales et l’intolérance qui y est associée, on peut s’interroger sur l’opportunité et le contenu « assassin » de l’article de Fiametta Venner et Caroline Fourest, paru dans Charlie-Hebdo et Respublica, notamment, qui accusent Ziegler de quelques approximations assez perfides, d’une particulière mauvaise foi.

Ce n’est pas parce que les Etats-Unis, le Canada, l’Italie et Israël ont fait savoir qu’ils boycotteraient la toute prochaine conférence en Suisse, parce que la précédente, en 2001, avait été perturbée par des déclarations intempestives, qu’il faut chercher à discréditer quelqu’un qui met le doigt où ça fait mal, depuis quelques décennies, avec une objectivité et un courage assez largement reconnus.

D’ailleurs, au chapitre 5 que Ziegler a intitulé : « Durban ou quand la haine de l’Occident fait obstacle au dialogue », il montre que « la haine, fût-elle raisonnée, de l’Occident par les peuples du Sud, détruisait lentement la communauté internationale, ruinait tout espoir de voir les Nations Unies occuper enfin leur place sur la scène internationale et rendait impossible la solution de pratiquement tous les problèmes communs à l’humanité : surarmement, menace nucléaire, famine, sida, manque d’eau, désertification progressive, guerres régionales endémiques, captation de la majorité des ressources par de minces oligarchies échappant à tout contrôle. »

Le livre n’est pas consacré qu’à l’Afrique : l’Inde, la Chine, l’Amérique latine n’échappent pas à l’observation critique et documentée des évolutions en cours, avec un œil plus attendri pour la jeune expérience bolivienne. Seule vision optimiste d’un avenir que Ziegler craint de voir s’assombrir pour ces 2,2 milliards d’êtres humains qui vivent dans la pauvreté absolue. » Comment rompre avec ce système destructeur et ainsi transformer la haine qu’il alimente en une force historique de revendication de justice et de libération victorieuse ?

Comment ne pas le suivre quand il dit que « Le Sud ne veut plus d’un Occident universel. Mais Sud et Occident sont colocataires d’une même planète. Comment organiser cette planète ? Par la tolérance, la réciprocité et le droit. Et la leçon vaut autant pour le Sud que pour l’Occident. »

Avec Ziegler, empruntons à Césaire cet extrait de la rencontre avec Breton en route pour l’exil aux Etats-Unis en 1941 : « Ah ! Tout l’espoir n’est pas de trop pour regarder le siècle en face. »

René Fredon

Jean Ziegler : « La haine de l’Occident »
Albin Michel (20 euros)