Accueil > Vous avez-dit antisémitisme ?

Vous avez-dit antisémitisme ?

Publie le lundi 19 mai 2003 par Open-Publishing

Le grand mot est lâché : antisémitisme. Comme si la France entière
était, de nouveau, saisie par les vieux démons. Les mots peuvent être meurtriers et il convient
d’en mesurer la portée. Et surtout, ne pas oublier que ce sont surtout les Arabes et les Noirs
qui sont l’objet du rejet et même de la haine d’une partie notable de la population de ce pays.

Antisémitisme, c’est le rappel d’une longue traque, hideuse, qui
conduisait au pire, il y a bientôt soixante ans, à Auschwitz. Alors ceux qui, aujourd’hui,
évoquent le retour de ce cancer n’utilisent pas le mot antisémitisme au hasard. Jadis, on
tentait de se protéger de cette lèpre en utilisant le langage de la raison, mais les vecteurs
de cette attitude de haine étaient, bien définis : on était antisémite à droite et la
réflexions s’arrêtait là.

Le mot et son utilisation ont varié. Par exemple, au travers du conflit
israélo-palestinien, c’est une arme brandie contre tous ceux qui s’opposent au sionisme,
idéologie active qui ne saurait souffrir la moindre critique. C’est ainsi que le nombre des « 
antisémites » potentiels n’a cessé de croître depuis la guerre de juin 1967 et l’occupation de
la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Peut-être désormais qualifié d’antisémite quiconque
dénonce le terrorisme officiel mené par l’Etat d’Israël.

Il est quand même nécessaire de garder son calme, et ne pas lancer des
anathèmes, même lorsque - malheureusement des synagogues sont détruites dans les banlieues
parisienne. En écoutant les mauvais augures, on pourrait croire que la guerre contre les Juifs
est de nouveau à l’ordre du jour. Que la moitié de l’humanité veut détruire les Juifs, tandis
que l’autre moitié se voile la face pour ne pas voir. Non. Des voix nombreuses se lèvent pour
dénoncer Israël et son comportement colonialiste. C’est très différent. Que des Français
d’origine arabe vivent mal cette situation n’a rien que de très naturel, mais il est de notre
devoir d’expliquer inlassablement que les Juifs ne sont pas nécessaire sionistes et qu’il est
plus que stupide de s’attaquer aux lieux de culte de ceux qui croient en une divinité
différente. Reste également à vérifier si les intégristes islamistes qui s’attaquent aux
synagogues ne sont pas relayés par des groupes d’extrême droite, bien français ceux-là.

Nous savons, de longue expérience, que la situation de parias qui est
celle des Palestiniens, depuis 1948, pour les réfugiés de la région qui s’appelle aujourd’hui
Israël, n’a jamais ému les humanistes qui pleurent aujourd’hui. Nous connaissons les conditions
inhumaines faites aux Palestiniens des territoires occupés depuis le mois de juin 1967. Et
puis, comment ignorer que, de tous temps, les Palestiniens ont été considérés comme des
sous-hommes dans leur propre pays occupé par les héritiers des rescapés du génocide ? A la
limite, pour les Israéliens, les Palestiniens n’existaient même pas, jusqu’à l’Intifada de
1987.

Mais pourquoi parler de la Palestine occuper alors que la menace d’un
nouvel antisémitisme se ferait jour en France ? Une telle interrogation feint d’ignorer les
liens existant entre les institutions juives de France (CRIF et Consistoire, essentiellement)
qui ne représentent guère plus de 25% de ceux des citoyens de ce pays qui revendiquent leur
judaïsme et se considèrent peut-être comme des Israéliens de l’arrière.

Depuis décembre 1987 et la révolte des pierres, conduites par les
jeunes palestiniens, la société israélienne a pris conscience de l’existence bien réelle d’une
population spoliée et opprimée. La répression, avec des centaines de morts, d’innombrables
blessés et des milliers de militants emprisonnés dans les pires conditions, exprime la haine
d’une société pédatrice envers un peuple, colonisé dans un premier temps et surtout invité à
quitter les lieux. Cette guerre faite aux Palestiniens - qui ont osé refuser l’oppression - a
tourné, depuis bien longtemps, à des comportements de haine pure et au racisme anti-arabe.

En France, les institutions juives, toujours à l’écoute des événements
du Proche Orient, se sont toujours déclarée solidaires de la politique des gouvernement
successifs - que la droite ou la « gauche » israélienne soit au pouvoir. Dès lors, la haine des
Arabes franchissait la Méditerranée une seconde fois (c’était déjà le cas après 1962, lors de
l’arrivée en France des pieds noirs) transformant bien des Juifs communautaires en racistes
avérés. L’histoire du génocide des Juifs d’Europe étant convoquée pour mieux illustrer ce
rejet. On ne peut oublier, en effet, que lors de la visite de Yasser Arafat à Paris, les 1er et
2 mai 1989, les institutions juives de France clamaient : « Comment la France a-t-elle pu
inviter le chef des terroristes palestiniens alors même que nous commémorons la mémoire des
déportés juifs ? »

Incroyable. A ce stade, la volonté était de faire porter aux
Palestiniens une partie de la responsabilité du génocide des Juifs conduit par les nazis, de
1940 à 1945. Encore plus incroyable, ce type de discours ne manquait pas de faire mouche,
d’autant plus qu’une fraction importante des Français sont maladivement racistes face aux
Arabes, car la guerre d’Algérie a laissé des traces durables et hideuses au pays des droits de
l’homme. Et puis, comment ne pas être solidaires de ces Israéliens qui cassent du « Bougnoule »
dans les territoires occupés ? (Ces bons Français sont les dignes héritiers de ceux qui ne sont
tus lorsque, de 1941 à 1944, la police de Vichy traquait les Juifs, immigrés de préférence !)

Ces réflexions ne nous éloignent pas du débat actuel. Bien au
contraire, elles nous y ramènent. Depuis le 28 septembre 2000, un nouveau conflit a éclaté.
Lassés de voir s’enliser les résultats des accords d’Oslo (1993) puis de Washington, les
Palestiniens se sont de nouveau révoltés, après la promenade provocation du boucher Ariel
Sharon, sur l’esplanade des mosquées, à Jérusalem. Malgré les rencontres au sommet, et les
promesses, sur le papier, d’une autonomie élargie, les Israéliens ont poursuivi leur politique
de colonisation de la Cisjordanie. Oubliées et enterrées les résolutions de l’ONU de 1967,
exigeant d’Israël l’évacuation des territoires occupés. Oubliés le sort des réfugiés de 1948 et
de 1967, ces familles qui vivent dans des camps depuis trois générations. Il est donc possible
de comprendre les moteurs de cette nouvelle révolte. Simple différence : en décembre 1987,
c’étaient les pierres contre les mitrailles, alors qu’en octobre 2000 ce sont les mitraillettes
et les pierres contre les chars et les hélicoptères de combat.

Face à cette nouvelle répression de masse, plus de cent morts et trois
mille blessés en moins de quinze jours, les institutions juives de France n’ont pas manqué de
prendre rapidement position. Le 3 octobre, Jean Kahn, président du Consistoire central
israélite n’hésitait pas, appelant à « l’identification avec Israël, sinon nous nous rendons
responsables d’un manquement pouvant mener à la fin de l’existence d’Israël ». Il n’y a pas la
moindre équivoque dans cette déclaration, qui signifie sans détour que les Arabes palestiniens
ont pour projet de détruire Israël et de massacre les Juifs - bien qu’ils affirment le
contraire depuis 1989. Ce propos de Jean Kahn ne pouvait qu’appeler à la haine réciproque. Il
est bien connu que la haine appelle la haine et l’on a entendu, lors de la manifestation
parisienne du 7 octobre des cris tels que « mort aux Juifs » dans un cortège séparé conduit par
des islamistes intégristes. Le soir même, des casseurs, dont on peut estimer qu’ils étaient
proches des voyous du Bétar (organisation extrémiste juive), brisaient les vitres du siège du
MRAP, à Paris, organisations antiraciste où se côtoient, parmi d’autres, des Juifs et des
Arabes.

Les mots ne sont jamais innocents. C’est d’autant plus évident dans
l’affrontement actuel, qui dépasse le conflit israélo/palestinien alors que nous assistons à
une tragique montée de l’intégrisme aussi bien au sein du monde musulman que dans le judaïsme.
Des actions dommageables pour tous suivent les prises de position irrédentistes. Ainsi, en
proclamant leur attachement à Israël, les institutions juives de France se sont désignées comme
des alliés objectifs de la police française qui pourchasse les jeunes des banlieues. C’est sans
doute un raisonnement simpliste, mais comment parler de cohérence avec une génération d’enfants
d’immigrés à qui la société française ne cesse d’indiquer la porte de sortie.

Bien sûr, il faut calmer le jeu, et avant tout combattre ce racisme,
d’où qu’il vienne. En quelques jours, les dégâts se sont avérés gravissimes car la haine crée
des fossés rapidement infranchissables. Ceux qui participent à la logique du rejet de l’autre
ne doivent pas s’étonner des dérives qui peuvent s’en suivre...

Maurice Rajsfus - Publié dans le mensuel No Pasaran ! -
Novembre 2000.