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Ambiance dans les ruines de L’Aquila à un mois du G8

Publie le mardi 9 juin 2009 par Open-Publishing

de antonius

C’est dans cette ville de 70 000 habitants, anéantie par un tremblement de terre qui a fait 300 morts en avril, que Berlusconi a décidé qu’aurait lieu le G8 (initialement prévu sur l’île de La Maddalena) du 8 au 10 juillet 2009.

La population, interdite d’accès au centre-ville, est reléguée dans des
campements en périphérie sous étroite surveillance militaire et policière. Malgré les interdictions, des assemblées y ont vu le jour pour organiser le quotidien et se ré-approprier la ville.

Les habitants de L’Aquila tentent d’empêcher l’Etat de profiter de la
catastrophe pour procéder à des privatisations et à des expropriations
massives. La population craint que la construction d’habitations "temporaires" en périphérie de la ville ne permette à l’Etat et aux
grandes entreprises d’exploiter pour leur compte les quartiers convoités du centre. L’une des raisons de sa colère est de constater que rien n’est fait pour étayer les bâtiments écroulés du centre (hormis les églises et les édifices culturels), ce qui laisse suggérer que les dirigeants ont déjà décidé que les habitants ne réinvestiraient pas leurs anciens quartiers.

La stratégie mise en oeuvre à L’Aquila ressemble donc beaucoup au
capitalisme du désastre décrit par Naomi Klein. Sous couvert d’Etat
d’exception, elle avait déjà permis de faire fleurir un maximum de profits
privés dans les décombres de l’ouragan de La Nouvelle Orléans et du
tsunami asiatique.

La tenue d’un G8 à L’Aquila accélère ce processus d’expropriation et d’annexion par les grandes firmes, sans parler même du double quadrillage militaire. Déjà, alors que les habitants sont parqués sous des tentes, un million d’euros a été investi pour transformer en aéroport le petit aéro-club des environs, afin d’accueillir dignement les grands de ce monde.

Après l’état de choc, la population s’organise pour réinvestir le
centre-ville par la force. D’après cet article du Manifesto, elle aurait
fait alliance avec les pompiers (dont le statut est très différent en
Italie qu’en France) pour en expulser la police.


L’Aquila se révolte

Il Manifesto, 31 mai 2009

de Marco Boccitto

(traduit et adapté ; les coupes sont indiquées).

« Qu’ils se mettent bien dans la tête que si nos demandes ne sont pas prises en compte, le
mouvement s’en prendra inévitablement au G8. Et ce ne sera pas le fait de quelques extrémistes,
mais de tous ceux qui ont subi le tremblement de terre ». Voilà ce que balance Ettore au milieu de
l’assemblée des habitants, hébergée cet après-midi sous les tentes blanches du comité 3e32. Et
Berlusconi lui répond de loin, dans un duel mené à armes inégales puisque lui, comme d’habitude,
passe à la télévision : « Un tel acte, dans ce qui est devenu la capitale de la souffrance, serait
inqualifiable. » Le premier ministre misait sur cette souffrance infinie pour passer un G8 tranquille.

Mais évidemment, c’était sans compter avec la colère qui, après deux mois de fausses promesses
destinées à endormir les habitants de L’Aquila, s’installe inexorablement sous les tentes des
campements. « Forts et gentils, oui, naïfs, non », résumait dans la matinée l’une des banderoles du
cortège parti à l’assaut de la zone rouge, le centre historique de L’Aquila, aussi vide et fantomatique
qu’une citrouille de Halloween. Vide, mais bien quadrillé. A cette manifestation, organisée par
l’association « Sauvons le centre ville de L’Aquila », participent nombre de travailleurs dont les
bureaux sont toujours sont les décombres, dans la zone rouge, mais aussi tous les comités de base
qui se sont formés spontanément après le tremblement de terre. Le but est de reprendre - pour
l’instant de façon symbolique - le coeur de la ville.

« Nous voulons entrer ». Simple et directe, la revendication des manifestants vient se briser
contre les cordons de police qui empêchent l’accès au cours Vittorio Emanuele. Sur la place Fontana
Luminosa, un millier de personnes, toutes vêtues de casques de chantier jaunes, se massent à
l’entrée de ce qui fut l’artère principale de la ville, la rue des bains de foule, des bars et des
rencontres. La population exige que ce soient les pompiers qui aient la charge de la sécurité
publique, non seulement par manque de confiance envers les autres , mais
aussi en raison de l’estime inconditionnelle que les habitants vouent depuis quelque temps aux
sapeurs. En particulier, depuis qu’à la lutte des comités d’habitants s’est ajoutée la leur, celle de ceux
qui ont tout donné et qui continuent d’aider la population en prenant leurs distances avec cette
logique militaire qui semble désormais régler l’existence de chacun. (...)

Ils pensaient qu’une telle
situation d’urgence leur permettrait d’obtenir ce qu’ils demandent depuis longtemps, plus de moyens
et plus d’hommes, plus de sécurité pour eux-mêmes et pour les autres. Mais non, rien. Sur les
échelles des vieux camions qui continuent de faire la navette pour permettre aux habitants de
récupérer leurs affaires personnelles dans les maisons, une affiche expose sobrement les doléances
des pompiers. Elle annonce le mouvement en cours et répète que le service continuera d’être assuré
« malgré tout et en toutes circonstances ». (...)

La tension monte. Si tous ne sont pas prêts à forcer le barrage, personne n’est pour autant
disposé à accepter le parcours alternatif imposé par les autorités, qui en plus d’obliger le cortège à se
contenter de longer l’enceinte de la vieille ville, permettra de refouler facilement les manifestants
vers la périphérie. « On y passe tous les jours en voiture, là-bas, ce n’est pas pour ça qu’on est
venus ». Arrivée du maire Massimo Cialente et de la présidente de la province Stefania Pezzopane
qui, à défaut de ramener le calme, orientent les négociations sur un terrain plus pragmatique.

« Les
raisons de sécurité sont fondées, dit le maire. Après la secousse de ce matin <qui a réveillé tout le
monde à 4h55, n.d.r.>, c’est encore plus dangereux, le risque de nouveaux éboulements est vraiment
énorme. Ce matin quelqu’un est même venu avec ses enfants...Non mais vous vous rendez
compte ? » Quelques sifflets, un battement de mains pour rythmer les voix : « Etayez les
bâtiments ! Etayez les bâtiments ! ». Sur une autre banderole : « Promesses, mensonges, télévision,
mais où est l’argent de la reconstruction ? »
Sur la place, la population ne lâche rien : « Nous entrerons et nous irons jusqu’à la piazza
Duomo ! » (...)

A hauteur de la place Regina Margherita le cortège bifurque vers la gauche et
retourne « à l’abri », dans le parc del Castello, où la manifestation se transforme en sit-in. (...)
Riecco Cialente annonce que les pompiers ont été nommés membres honoraires de la ville de
L’Aquila, et décrit les quelques opérations d’étayage des bâtiments comme « un chef-d’oeuvre ».
Applaudissements. Puis, il s’échauffe : « Je refuse que mon centre-ville finisse aux mains de la
Fintecna  ».

Et d’inviter l’assemblée
à la manifestation organisée par les syndicats mercredi prochain à 16 heures, dans la maison de la
commune. Sur une pancarte, une dame a écrit la célèbre phrase de Lincoln : « Vous pouvez tromper
tout le monde un certain temps. Mais vous ne pouvez tromper tout le monde tout le temps. »
Quelques heures plus tard, pendant l’assemblée qui se tient tous les samedis sous les tentes
du comité 3e32, on se demande comment faire connaître les innombrables coups fourrés orchestrés
par le gouvernement. Leda explique qu’ils ont été pris de court par la situation d’urgence, mais qu’à
présent tout le monde refuse que la gestion de la reconstruction soit confiée à des organismes
directement désignés par le pouvoir : « C’est à ceux qui ont été élus démocratiquement par les
habitants de la ville de se ré-approprier la direction des opérations ».

On discute de tout, des
initiatives déjà lancées et de celles qu’il faut encore mettre en oeuvre. Il y a la campagne 100%, qui
exige 100% de reconstruction et de transparence mais surtout, 100% de participation au processus.
La lutte concerne tout le monde, et l’issue ne sera favorable que si chacun s’y met. Malgré mille
difficultés – une répression féroce, toujours imposée sous des prétextes de sécurité – ces assemblées
s’étendent aux différents campements. Sara insiste sur une mobilisation permanente et exige que
l’on rappelle les administrateurs publics à leurs devoirs : « Qu’ils viennent d’abord discuter avec les
gens des campements, ensuite seulement ils iront négocier avec Bertolaso et Berlusconi ». Les new
village qui se profilent à l’horizon inquiètent : ils semblent encore pires que le projet de new town et
– c’est maintenant confirmé – autrement plus définitifs. Roberto, physicien au laboratoire du Gran
Sasso, a surtout à coeur le sort de l’université et des étudiants : « Il est de droite, ce tremblement de
terre. Il a détruit la culture et servira à remplir les poches des boîtes de BTP. »

L’actualité de L’Aquila en italien sur http://www.epicentrosolidale.org/
et http://www.3e32.com/

Article traduit en pj