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IRAN : Le poids obsédant de l’histoire

Publie le lundi 15 juin 2009 par Open-Publishing

Paru en 2007 dans le numéro spécial du magazine du monde diplomatique "Manières de voir" sur l’Iran...A lire absolument intégralement si on veut comprendre un peu l’Iran et les Iraniens.

de Alain Gresh

"Il est difficile d’imaginer qu’un événement survenu il y a si longtemps pèse encore sur les mémoires. Pourtant, le coup d’Etat organisé par la CIA contre le régime de Mohammad Mossadegh en Iran en 1953, et qui mit fin à ses tentatives de contrôler les ressources pétrolières, a profondément ébranlé le pays, a marqué au fer rouge ses habitants et, surtout, a changé le cours de l’histoire en bloquant toute évolution graduelle et démocratique. Il s’inscrivait dans la lignée d’une longue série d’ingérences étrangères — ingérences qui aiguisèrent un nationalisme bafoué, lequel plongeait ses racines dans un passé glorieux.

Le régime du chah, remis sur pied par Londres et par Washington, lança le pays dans une occidentalisation en trompe-l’œil, dans un développement capitaliste non maîtrisé, fondé avant tout sur la manne pétrolière, marqué par la corruption et la gabegie et par une indifférence aveugle aux aspirations de la société.

Ce « développement » s’accompagna de l’écrasement de la moindre forme de contestation et d’une toute-puissance de la police politique.

D’autre part, le chah prétendit restaurer la grandeur de l’Empire perse en s’appuyant sur trente mille conseillers américains dont la présence constituait une insulte aux sentiments nationaux.

L’Iran tenta, sur le plan régional, de jouer le rôle de « gendarme du Golfe » en remplacement du Royaume-Uni, qui, au début des années 1970, s’était retiré de toutes ses bases situées à l’est de Suez.

Mais, sous l’apparente normalité, la crise couvait. Alors que l’opposition laïque, marxiste et de gauche, très puissante dans les années 1950, était marginalisée, des religieux réussirent, à travers les mosquées et les réseaux de solidarité chiites, à incarner la résistance à l’oppression du chah et à la domination étrangère.

Ils élaborèrent une nouvelle lecture de la doctrine chiite pour lui donner un contenu politique plus engagé.

La révolte grondait, alimentée par les souvenirs du gouvernement de Mossadegh, mais aussi par les contestations régionales qui avaient vu, en 1946, la constitution de Républiques autonomes dans l’Azerbaïdjan et le Kurdistan iraniens.


II. Une révolution à nulle autre pareille

De nombreuses révolutions ont marqué le XXe siècle, de la révolution bolchevique en Russie à la révolution cubaine, en passant par la révolution mexicaine. Pourtant, la vague populaire qui balaya le régime du chah en 1978-1979, qualifiée de « révolution islamique », se distingua non seulement par une participation populaire exceptionnelle, mais aussi par un discours religieux qui surprit tous les observateurs et semblait ne rien devoir aux doctrines qui avaient marqué les révoltes à travers le monde.

Le chiisme, religion officielle du pays, fut l’objet d’une interprétation nouvelle, notamment par l’ayatollah Ruhollah Khomeiny. Les manifestants opposés au chah découvrirent de quoi nourrir leur ressentiment contre la dictature, mais aussi un langage pour formuler leurs aspirations à une société différente, fondée sur la tradition et l’histoire nationale.

Le clergé, ou au moins la fraction dominante, y trouvera une justification pour l’instauration d’un pouvoir autoritaire et pour l’écrasement de toute opposition, écrasement rendu plus facile par la sanglante guerre contre l’Irak de Saddam Hussein (1980-1988) qui allait alimenter le nationalisme iranien.

La République islamique a transformé le pays de fond en comble. De nouvelles aspirations se sont exprimées, loin du discours officiel. Les femmes et les jeunes en particulier se sont montrés actifs dans la société civile, mais aussi sur le plan politique.

C’est à eux que l’on doit l’élection-surprise, en 1997, du réformateur Mohammad Khatami à la présidence de la République. Ce scrutin exprimait d’ailleurs bien les contradictions au sein même du régime et les difficultés de celui-ci à maintenir un contrôle de la société, celle-ci s’exprimant par mille et une voix, des magazines féminins au cinéma, en passant par les matchs de football.

III. A l’ombre du nucléaire

L’élection de M. Mahmoud Ahmadinejad à la présidence de la République a marqué l’échec de la tentative réformiste de M. Mohammad Khatami.

Elle a confirmé l’aspiration des Iraniens à plus de justice sociale dans un pays à l’économie ravagée et où la corruption frappe les plus hauts dignitaires du régime. Elle n’exprime pourtant aucune volonté populaire de retour en arrière, notamment dans le domaine des libertés individuelles.

Incapable d’honorer ses promesses électorales, le président a fait du dossier nucléaire un élément essentiel de sa politique, jouant sur la corde du nationalisme et de l’opposition à l’Occident. Il a trouvé, en M. George W. Bush, un partenaire idéal : en diabolisant l’Iran, en l’inscrivant dans la courte liste des pays de l’« axe du Mal », en n’écartant pas une option militaire contre le programme nucléaire, le président américain renforce les courants les plus durs à Téhéran.

En agitant la menace d’un prétendu « croissant chiite » qui, de l’Irak au Liban, menacerait la stabilité de la région, le président américain introduit les ingrédients d’une guerre confessionnelle aux conséquences incalculables.

L’enjeu de la non-prolifération nucléaire est certes important.

Mais il semble n’être, dans ce cas, qu’un prétexte à une politique américaine agressive qui a recueilli le soutien de l’Europe et, de manière beaucoup plus ambiguë, de la Russie et de la Chine.

Si Washington peut s’entendre avec la Corée du Nord, pourquoi un accord serait-il impossible avec Téhéran ?

Pourtant, la société iranienne reste traversée par des courants divers, par ses contradictions. Les plus hauts échelons de l’Etat sont divisés, et une seule chose peut les unir et bloquer les évolutions du pays : une attaque américaine.

"

http://www.monde-diplomatique.fr/mav/93/

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