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JULES ROY VU PAR EL WATAN

Publie le dimanche 16 août 2009 par Open-Publishing

Jules Roy. Centenaire de sa naissance.
Un immense personnage

Successivement poète, romancier, dramaturge, essayiste, mémorialiste, épistolier, Jules Roy est un auteur paradoxal. De tous les écrivains d’Algérie regroupés autour d’Albert Camus et d’une mythique Ecole d’Alger, il a été le plus engagé dans la décolonisation de son pays natal.

De son œuvre prolifique (près de 60 titres), la fortune littéraire ne retient essentiellement que son volet « algérien », par ailleurs fort mince. Révolté contre les siens, il a fait aussi quelques déclarations fulgurantes, du type « Bugeaud est un salaud et ignoble assassin » ou « Si j’étais musulman, je serai au maquis ». Il a été tellement dur envers les militaires et surtout les pieds-noirs qu’il est devenu Etranger pour [ses] frères (essai, 1982). Séminariste ayant abandonné tardivement le sacerdoce, il choisit Le Métier des armes, un récit (1948) où il décrit sans panache les grandeurs et servitudes de sa vocation militaire. Eu égard à ces deux impératifs de droite (l’église et l’armée) alternant ses écrits n’occultant pas un moi hypertrophié, Jules Roy s’est voulu un témoin de l’homme, doublé d’un lucide chroniqueur… plutôt de gauche. D’un héroïsme cornélien pour une sensibilité racinienne, Roy souligne la peur qui le saisit en tant que bombardier de la RAF (NDLR : Royal Air Force, aviation militaire anglaise) ayant effectué en 1944-1945 de nombreux raids aériens au dessus de la Ruhr, La Vallée heureuse (Prix Renaudot 1946) selon l’humour des services secrets britanniques. A Sétif, en mai 1945, il est écœuré par les massacres car il « aime la vérité d’un visage arabe ». En avril 1953, avec le grade de lieutenant-colonel et après 15 jours de prison, il démissionne avec fracas de l’armée française, déjà embourbée en Indochine. Il y ramène un curieux récit-reportage, La Bataille dans la rizière (1953) suivi, dix ans plus tard, d’un récit d’une netteté sans lyrisme, La Bataille de Dien-Bien-Phu (1963). Mais en ces années 1950 la lutte contre le colonialisme, cette « bête immonde à abattre », selon le mot célèbre de Jean-Paul Sartre, n’est pas encore arrivée à maturité. Sous la chape de son maître à penser Albert Camus, et bien qu’ayant ouvert l’esprit aux âpres réalités coloniales grâce à son premier mentor Jean Amrouche (lequel préfaça son premier recueil de poèmes, Trois Prières pour les pilotes, 1942), Roy n’est guère prolixe pendant la guerre d’Algérie jusqu’au décès du Prix Nobel en janvier 1960. Avec un sauf-conduit du Général de Gaulle, il part en avril 1960 inspecter une « Algérie de papa » travaillée par la dégénérescence. Au retour de ce périple, la conscience que l’on ne peut rejoindre l’Histoire en train de se faire que par le parti de l’indépendance détermine la publication de La Guerre d’Algérie (septembre 1960), un récit très remarqué dont le titre devient vite célèbre. Dans ce sillage, Roy publie Autour du drame (1961), un recueil d’articles publiés dans L’Express, ce quotidien devenu hebdomadaire ayant soutenu — époque héroïque — la décolonisation des peuples et des esprits. En 1972, il revient à la guerre d’Algérie avec J’accuse le général Massu, un réquisitoire sans appel contre les exactions de cette personne durant la bataille d’Alger et de son épouse s’occupant du dévoilement des femmes et des « mesquines ». La double quête de vérité et de soi, Roy la renoue en élaborant Les Chevaux du soleil (1967-1975, 6 tomes), une monumentale histoire romanesque de l’Algérie coloniale, vue du côté français, de l’aube du 14 juin 1830 — le débarquement — jusqu’à l’aube du 3 juillet 1962 — l’indépendance. Aux fortes réminiscences autobiographiques, comme le révèle en 2000 le posthume Journal des Chevaux du soleil (1965-1975) (un document précieux sur la genèse de l’écriture et amer sur l’Algérie de Boumediène, lequel a pourtant aidé l’écrivain lors de ses nombreux séjours en Algérie), cette nouvelle Guerre et Paix garde les cicatrices souvent contradictoires d’un écrivain tourmenté. En définitive, au-delà d’une œuvre dense et pourtant multiple, Roy reste une figure exemplaire de l’écrivain d’Algérie, dominée par un moraliste inquiet remettant sans cesse en cause ses conceptions de l’homme et de la patrie.

Par Hamid Nacer-Khodja
EL WATAN