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La passion militante de Maitan

Publie le mardi 21 septembre 2004 par Open-Publishing
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de ANTONIO MOSCATO

Livio Maitan a terminé jeudi sa longue bataille à contre-courant. Il l’avait
commencée pendant la Résistance, puis toujours à l’intérieur du mouvement ouvrier
mais en nette opposition avec les directions bureaucratiques. Il
s’était lié très jeune à la Quatrième Internationale, presque en même temps
qu’Ernest Mandel, avec qui il collabora pendant des décennies. Son activité de
dirigeant le conduisit souvent dans d’autres continents, de la Bolivie à l’Argentine, à l’Indonésie
 ; il avait été parmi les premiers à analyser et à présenter la révolution algérienne,
et à étudier les contradictions du nationalisme arabe représenté par Nasser. La richesse de son analyse,
l’attention à la complexité des argumentations de ses propres adversaires,
l’avaient fait apprécier de gens très différents de lui, qui furent ses amis,
de Enrico Berlinguer à Paolo Sylos-Labini (qui publia une postface à l’essai
de Maitan sur les classes sociales, pourtant polémique avec ses
propres thèses).

Livio Maitan a été très important pour des générations de communistes, pas
seulement par ses livres sur Trotski, Gramsci ou la révolution culturelle en
Chine (extrêmement documenté et à ce titre très impopulaire chez les
nombreux adeptes du mythe : seul Aldo Natoli accepta d’en discuter avec
lui), mais aussi et surtout pour son exemple. Il savait écouter patiemment
les débats, très attentif surtout aux ouvriers : beaucoup se souviennent de
lui dans les assemblées d’usine et devant les grilles (de Mirafiori, de la
Fatme à Rome), pour comprendre, jamais pour juger sommairement ou pour
octroyer d’en haut des solutions bien ficelées. Et certains intellectuels
connus qui peu après 68 étaient venus au siège romain de la Quatrième
Internationale, rue Candia, pour parler avec lui, me demandant quand il
allait arriver, furent abasourdis de découvrir qu’il était déjà là et que
c’était celui qui, en attendant le début de la réunion, était en train de
nettoyer le cabinet dans la cour.

Il suivit attentivement le débat des autres formations de la nouvelle
gauche, Manifesto, Lotta Continua dont il observa de près la crise finale
en participant au congrès de dissolution : il écrivit à ce propos des pages
très belles et troublées par la dissolution d’une force originale qui avait
marqué toute une période.

Ces dernières années il savait qu’il n’avait plus beaucoup de temps à sa
disposition. En 1992 il avait subi une opération du c¦ur, faisant le choix
d’une valve animale qui lui assurait une liberté de mouvement (comprise la
possibilité de jouer au foot, comme il a continué à faire jusqu’à 75 ans)
plutôt qu’une valve synthétique, pratiquement éternelle mais fragile, qui
l’aurait contraint à une vie tranquille et sédentaire.

Il s’était entre-temps engagé à fond dans la rédaction de ses mémoires et,
après la publication du premier tome dédié au mouvement ouvrier italien, il
était allé le présenter dans des centaines de villes, grandes et petites,
toujours à la recherche de quelque chose de nouveau chez ses lecteurs.

Pendant ces années la course contre le temps était devenue plus dramatique,
son c¦ur avait recommencé à créer des problèmes : le deuxième et le
troisième tome des mémoires, dédiés à sa longue expérience internationale,
requéraient des efforts supplémentaires pour documenter chaque page, et il
commençait à avoir peur de ne pas arriver à finir. Il ne voulait pas d’une
autre opération pour continuer non pas à vivre mais à végéter. Mais il a
réussi. Il y a trois jours, il a téléphoné à plusieurs d’entre nous pour
nous donner des instructions minutieuses sur ses papiers et même pour la
cérémonie : nous avons cru que c’était l’effet d’un alarmisme infondé. Il
avait compris, au contraire, qu’il avait fini son existence et il essayait
de nous transmettre sa sérénité.

La chambre ardente sera installée dimanche de 10 heures à 21 heures au siège
du Prc, dont Livio Maitan a été l’un des fondateurs, viale del Policlinico.
Les funérailles auront lieu lundi à 11 heures et seront précédés d’une
cérémonie piazzale del Verano.

http://www.ilmanifesto.it/Quotidian...

Traduit de l’italien par m-a patrizio


Hommage à Livio Maitan

La victoire de Chavez au Vénézuela, la coupe du monde de football, les
nouveaux patrons en Chine, Livio s’interessait à tout.

Et c’est difficile
d’imaginer qu’on ne verra plus ce militant à la fois cultivé, plein d’humour
et chaleureux. A l’opposé de la caricature que certains peuvent avoir du
« dirigeant trotskyste », Livio était un ancien-moderne. Porteur de la
continuité du combat des marxistes révolutionnaires, il était aussi à la
pointe de l’ouverture pour aider à recomposer une alternative
anticapitaliste.

La continuité, il l’ a assuré à la direction de la IVe
Internationale avec Ernest Mandel et Pierre Frank. Contre vents et marées,
attaqués par la droite qui les traitait de « gauchistes », calomniés par les
staliniens qui les traitaient de flics, Livio et ses camarades ont tenu
ferme, permettant aujourd’hui à des générations de pouvoir se réclamer du
communisme sans avoir honte.

Mais en même temps, Livio avait compris la
necessité de construire avec d’autres, une alternative anticapitaliste face
aux capitulations sociale-démocrates et au drame stalinien. Et c’est ainsi
qu’il concevait sa participation à la construction du PRC en Italie. Loin
des sunlight des médias, Livio a continué jusqu’au bout à pratiquer ses deux
passions : la révolution et le football... Il a fini par poser ses crampons
et nous on continue ; un peu grace à lui. Salut Livio.

Alain Krivine


BIOGRAPHIE :

« On ne peut pas séparer mon bilan autobiographique du bilan du courant
politique et culturel, national et international que j’ai rejoint en 1947 et
dont j’ai été un militant actif depuis cette date »

Livio Maitan est né à Venise en avril 1923. Il était diplômé en lettres
classiques de l’université de Padoue.

Il s’est engagé activement dans le combat politique pendant la période de
l’occupation de l’Italie par les nazis lorsqu’il est devenu l’un des
dirigeants des Jeunesses Socialistes Italiennes. En 1947, il a rejoint le
mouvement trotskiste italien dont il est resté un dirigeant tout au long de
sa vie. En 1948, il faisait partie de la direction du Front Démocratique
Populaire.

Il fut l’un des membres de ce petit groupe de camarades qui dirigea la
Quatrième Internationale dans la période difficile, celle des années
cinquante et soixante. Elu pour la première fois en 1951, réélu à chaque
congrès, il est resté membre de la direction de l’Internationale jusqu’à sa
mort. Ainsi, après le départ de Pablo, les opposants à la Quatrième
Internationale parlaient de la direction « Mandel - Franck - Maitan ».

Sa génération fut celle qui a permis que soit transmis le programme du
marxisme révolutionnaire à travers les années difficiles de l’après-guerre
et qui a été progressivement capable de se lier à une couche plus large de
jeunes militants, au milieu des années soixante.

Livio fut activement impliqué dans l’énorme soulèvement des étudiants et des
travailleurs en Italie entre 1969 et 1976. Il était universellement
considéré comme quelqu’un qui avait joué un rôle décisif dans la formation
de nombreux dirigeants de la gauche révolutionnaire italienne, aussi bien
dans le cadre de la Quatrième Internationale qu’à l’extérieur. Dans les
années soixante-dix, il faisait aussi des conférences sur l’économie du
sous-développement, dans le cadre de l’unité de sociologie de l’Université
de Rome. Il fut le traducteur et le préfacier de la plupart des éditions des
écrits de Trotsky en italien.

En 1989, les militants italiens de la Quatrième Internationale, regroupés
autour de la revue Bandiera Rossa, rejoignirent DP - Democrazia Proletaria -
et, avec DP, participèrent à la fondation du Parti de la Refondation
Communiste (PRC). A chaque congrès, de 1991 à 2002, Livio fut élu à la
direction de Refondation.

Jusqu’à très récemment, malgré l’âge et la maladie, il participait
activement aux instances dirigeantes de la Quatrième Internationale.
Footballeur fanatique, il avait continué à pratiquer chaque semaine, jusqu’à
l’âge de soixante-dix ans.

Dans un ouvrage récent - « La Strada Percosa » - Livio Maitan polémiquait
avec vigueur contre la thèse selon laquelle les défaites du socialisme au
cours du vingtième siècle étaient inévitables. Avec la même vigueur, il
défendait sa conviction : la possibilité du socialisme reste ouverte.

De nombreux ouvrages de Livio ont été publiés en italien. Mais certains ont
été traduits comme son ouvrage de 1976 sur la Révolution culturelle chinoise
ou un long document sur l’histoire du Parti Communiste Italien, publié en
anglais et en français par l’IIRE (International Institute for Research and
Education). Il collaborait également aux publications des militants italiens
de la Quatrième Internationale (d’abord Bandiera Rossa et, ensuite, ERRE),
de Refondation (Liberazione) et de la Quatrième Internationale (Inprecor et
International Viewpoint).

Livio Maitan est mort le 16 septembre 2004 à Rome.