Accueil > Bienvenue dans la bibliothèque usine !

Bienvenue dans la bibliothèque usine !

Publie le mercredi 3 février 2010 par Open-Publishing

DE L’AUTOMATISATION À LA TECHNOLOGISATION DES BIBLIOTHÈQUES
BIENVENUE DANS LA BIBLIOTHÈQUE-USINE

Les bibliothécaires seraient les premiers à s’en réjouir, paraît-il : nos
bibliothèques semblent enfin décidées à entrer dans l’ère de la
modernité. Exit les livres poussiéreux, les piles de revues à « bulletiner
 » et les vieux rayonnages ! Place aux abonnements numériques,
vidéos à la demande (VOD), aux puces RFID et aux bornes de prêt automatique
 ! La technologisation croissante des bibliothèques s’inscrit dans
la droite lignée de l’automatisation débutée dans les années 1970.
L’automatisation, entamée avec le développement des premiers catalogues
informatiques (rédiger des fiches catalographiques provoquait
des tendinites...) et le recours systématique aux ordinateurs, a toujours
pour alibi l’amélioration des services offerts aux usagers. C’est en réalité
l’introduction d’une logique rationaliste de « gestion des flux » au coeur
des bibliothèques. Cette logique provoque :

La parcellisation des tâches
Plus on introduit les derniers gadgets technologiques en vogue (puces
RFID, bornes automatiques, transport automatique des documents, etc.),
plus les tâches se trouvent parcellisées (le magasinier piste les ouvrages,
le bibliothécaire saisit les données, et le conservateur gère les budgets
et fait des statistiques). Cette taylorisation a permis de déposséder les
savoir-faire des personnels des bibliothèques pour les incorporer dans
les machines. Plus besoin de connaître son fonds, de discuter avec les
usagers ou d’ouvrir un ouvrage pour l’indexer : les ordinateurs s’en chargent
désormais. Il paraît que c’est un gain de temps remarquable : mais
pour combien d’heures passées à débloquer une machine, à attendre que
les informaticiens interviennent et à gérer le mécontentement des usagers
 ? Face à une machine, impossible de négocier. Ce sont désormais
les flux informatiques qui dictent le travail du personnel et structurent les
services.

La précarisation du personnel
L’informatisation s’est accompagnée d’une logique de libéralisation économique
 : externalisation, sous-traitance, marchés conclus avec de
grosses entreprises comme IBM. Aujourd’hui, l’introduction du numérique
permet de remplacer les magasiniers par des machines. Il est bien
naïf de croire qu’en ces temps de coupe budgétaire, l’utilisation massive
des réseaux numériques servira à dégager du « temps de service pour
accueillir le public ». Les récentes luttes des Biatoss* contre la loi LRU
l’ont montré : la suppression des concours de la filière bibliothèque et le
recours systématique à des vacataires et des intérimaires s’accommodent
très bien de l’informatisation des bibliothèques. Si la disparition des
catégories C** est déjà prévue, peut-on penser que les autres catégories
resteront indemnes ? Et il nous paraît difficile de lutter contre la libéralisation
économique sans dénoncer dans le même temps la technologisation
du travail et sa logique intrinsèque.

La dégradation des conditions de travail
Informatiser et moderniser, cela signifie très concrètement cantonner le
personnel à des tâches répétitives et mécaniques : biper des livres à longueur
de journée, passer des heures devant un écran, et surtout subir de
plein fouet la pollution numérique : ondes électro-magnétiques que
génèrent en permanence wifi et RFID, poussières d’aluminium liées au
transport automatique des livres, etc.
Mais surtout : quelle place est réservée aux personnels directement
concernés pour qu’ils donnent leur avis sur les modalités et les conséquence
de ces changements ? Dans le « service public » - qui est censé
devenir plus performant - a-t-on jamais prévu de demander l’avis des
usagers ? On est ici au coeur de la logique de spoliation des capacités de
décision au profit des machines et de ceux qui s’engraissent en imposant
leur construction et leur installation.

La technologie n’est jamais neutre
Elle porte en elle un projet de société, débarrassé de toute forme de
médiation humaine. Avec la dématérialisation des supports, c’en sera fini
de la bibliothèque comme lieu d’échange où l’on se rencontre physiquement
 : on nous promet en réalité la destruction d’un espace social, où les
usagers, usagères et bibliothécaires créent du lien social et font vivre la
culture.

Livres de papier

* BIATOSS : acronyme pour « Bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, techniciens,
ouvriers, de service et de santé ».
** Personnel administratif recruté sur concours de niveau brevet des collèges ou CAP/BEP
ou sans concours, rémunérés au SMIC ou légèrement au-dessus lors de leur embauche.

Contact : Livres de papier c/o Offensive 21ter, rue Voltaire - 75011 Paris