Accueil > A Bobigny, une AG de juges « désespérés »

A Bobigny, une AG de juges « désespérés »

Publie le vendredi 8 décembre 2006 par Open-Publishing

Jean-Louis Nadal, procureur général près la Cour de cassation, a assuré les magistrats de son soutien.
Par Dominique SIMONNOT
Vendredi 22 septembre 2006 -

La nouvelle est arrivée hier vers 15 heures et a fait, à toute blinde, le tour du tribunal. Etait convoquée, en urgence, une AG des magistrats de Bobigny pour 16 heures. Un fait tellement extraordinaire, qu’au début, chacun a pensé à un appel du simple procureur général de Paris. Mais c’était plus incroyable encore. Car, à l’heure dite, c’est Jean-Louis Nadal, procureur général près la Cour de cassation, qui s’est pointé. Pendant une demi-heure, enfermé avec ses collègues dans la salle de la cour d’assises, il leur a dit son soutien et son admiration pour leur « mobilisation » et leur « professionnalisme ». Assommés, « désespérés », « dégoûtés » tant par la méchanceté des critiques de Nicolas Sarkozy, que par le « silence assourdissant » du garde des Sceaux face à ces mêmes critiques, les magistrats ont été sensibles à cette première dans le monde judiciaire. Et c’est peu dire.

« D’autant que, autre première, elle se double d’un communiqué indigné du premier président de la Cour de cassation (lire page 4). « C’est vraiment bien que la hiérarchie judiciaire se mobilise, cela ne rend que plus étrange l’atonie de Pascal Clément », se réjouit un juge. « Une chose pareille n’est jamais arrivée dans l’histoire de la justice, mais il faut dire que rarement un ministre de l’Intérieur s’est permis une telle virulence dans les attaques contre nous ! » note un autre. Jean-Louis Nadal a même donné un point presse, entouré du président du tribunal, Philippe Jeannin et de François Molins, le procureur. « Je suis le premier magistrat du parquet de ce pays », a-t-il commencé, pour bien montrer la solennité du moment. Ce tribunal, vilipendé par le ministre de l’Intérieur, Nadal le connaît bien, puisqu’il a été procureur général de Paris : « J’ai mesuré à quel point, dans ce département, le plus dur de tous, les magistrats font preuve d’un engagement sans faille ! Bobigny est un laboratoire d’exemplarité dans la lutte contre la délinquance ! »
« Union sacrée ». Pour ceux qui connaissent sa faconde et sa jovialité, parfois moquées, la venue de Nadal et la fermeté de ses propos montraient en fait sa colère envers le ministre de l’Intérieur. Il n’a jamais cité son nom, sa désapprobation s’entendait en creux : « La lutte contre la délinquance exige une union sacrée et une concertation sans faille. » Ou encore : « La justice exige discernement, mesure, juste distance, dans l’écoute de tous, dans la tolérance et le respect des différences. La justice n’est pas dans la réactivité. » Et, pressé de questions sur l’atteinte à l’indépendance de la justice commise par le ministre de l’Intérieur, il a, par trois fois, répondu : « Je ne suis pas le garde des Sceaux. » Manière aussi de renvoyer au pâle service plus que minimal de Pascal Clément. Tant et si bien qu’à la sortie, tout le monde s’est félicité : « Il a été bien, vraiment bien ! » Tant, dans ce tribunal chaque fois et toujours ciblé par Sarkozy, les magistrats commencent à en avoir vraiment marre : « On s’investit beaucoup et on se fait cracher dessus ! »
« Priorité ». Il y a des manques. Toujours pas de toilettes pour les justiciables, et l’on n’y prend l’ascenseur qu’avec une certaine appréhension depuis des accidents. Cependant « les choses se sont améliorées depuis l’arrivée du président », souligne Alain Vogelweith. Il est juge des enfants, et à ce titre particulièrement visé par Sarkozy, qui voue à ces juges une surprenante détestation. Avec quatorze juges pour mineurs, « notre charge de travail est gérable, assure le magistrat, on sent bien que Bobigny est une priorité ». Restent les problèmes de partout ailleurs et qui, dans une Seine-Saint-Denis frappée plus que tout autre département par la pauvreté et la violence, prennent d’inquiétantes proportions. Ainsi, le manque de greffiers. Ses jugements, rapporte-t-il, ne sont pas tapés « depuis mars ». Donc pas signifiés, donc pas exécutés. Dans certains secteurs, le manque d’éducateurs laisse ses décisions de prise en charge sans suite pendant des mois. « Voilà où se trouve le vrai sentiment d’impunité ! » analyse Vogelweith.
Et, critique pour critique, les juges des enfants rappellent que voici un an, ils ont proposé que s’engage un travail sur les relations familles-police. Plutôt intéressant dans un département qui croule sous les procédures pour outrages et rébellion. Mais ils n’ont à ce jour pas de réponse. Comme pour leur donner raison, assise sur le rebord en brique entourant les palmiers qui décorent le tribunal, une jeune femme enrage auprès de son avocat : « La BAC de Seine-Saint-Denis, c’est des pourris ! D’accord, il ne faut pas que les jeunes magouillent, mais, moi, pour une embrouille, ils m’ont coursée, menottée ! Ils m’ont battue ! Et ma plainte à l’IGS, elle en est où ? Nulle part ! »