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A Washington on décide qui gouvernera au Caire (Il Manifesto)

Publie le vendredi 11 février 2011 par Open-Publishing
12 commentaires

Par Manlio Dinucci

Après plus de trente ans de service honorable pour les Usa (durant lesquels il a accumulé une richesse personnelle estimée à plus de 30 milliards de dollars), le moment est venu pour Moubarak de céder le bâton de commandement : c’est ce qu’on a décidé à Washington. Le temps presse. La marée montante du soulèvement populaire risque d’emporter non seulement le dictateur mais l’appareil de pouvoir que les USA ont construit en Egypte. Le président Obama fait donc pression pour une « transition ordonnée et pacifique » qui, sur la base de « réformes constitutionnelles » guère mieux précisées, efface la figure désormais insoutenable du dictateur, mais laisse intacts les piliers de la domination états-unienne sur le pays, d’importance stratégique pour Washington sur l’échiquier moyen-oriental et africain.

A Washington on décide qui gouvernera au Caire

Pour Washington, il est fondamental de maintenir le contrôle de la structure portante des forces armées égyptiennes, que les Etats-Unis ont financées, équipées et entraînées (voir il manifesto du 3 février). Les instructions sur les mesures d’urgence ont été données par le secrétaire d’Etat USA à la défense, Robert Gates, au chef d’état-major égyptien, général Sami Enan ; celui-ci a été convoqué à la fin du mois de janvier au Pentagone, avec qui il s’est ensuite tenu en contact étroit. Le président Obama a ainsi fait les louanges des forces armées égyptiennes pour « leur professionnalisme et leur patriotisme  », en les désignant comme garantes de la « transition pacifique et ordonnée  ».

Selon le plan de Washington, cette transition devrait débuter avec un gouvernement « transitoire  » soutenu par les forces armées, et si possible chapeautée par Omar Souleiman, vice-président tout récemment nommé, à qui la charge a été confiée le 29 janvier. Un homme fort qui jouit de la plus grande estime à Washington : auparavant directeur des services secrets militaires, chef des services secrets égyptiens depuis 1993, il a organisé avec la Cia l’enlèvement d’Abou Omar en 2003 à Milan, et son transport en Egypte. Plusieurs autres personnes « suspectées terroristes » ont été transportés secrètement en Egypte, dans le cadre du programme « Rendition  » de la Cia, et y ont été torturées par Souleiman et ses agents. Un des prisonniers, al-Libi, fut contraint sous la torture de « révéler » une connexion (inexistante) entre Saddam Hussein et al Qaeda, argument utilisé par Washington pour justifier l’invasion de l’Irak en 2003. Avec Souleiman comme garant de la transition « démocratique », le « nouveau visage  » pour la présidence pourrait être l’actuel secrétaire de la Ligue arabe, Amre Moussa, ex-ministre des affaires étrangères de Moubarak en 1991-2001.

La structure militaire constitue le principal instrument de l’influence états-unienne en Egypte. Mais ce n’est pas le seul. Depuis plusieurs années, tout en continuant à appuyer Moubarak, Washington appuie aussi une partie de ses opposants dans la société civile (cf. Le mouvement de protestation en Égypte : Les « dictateurs » ne dictent pas, ils obéissent aux ordres, par Michel Chossudovsky, Mondialisation, 4 février 2011).

Les principaux instruments de cette opération sont la National Endowment for Democracy (Ned) et la Freedom House, deux organisations « non-gouvernementales » engagées dans l’ « expansion de la démocratie et de la liberté dans le monde entier  ». Celles-ci sont en réalité des émanations du Département d’Etat, du Pentagone et de la Cia, qui les financent et en pilotent l’activité dans les zones critiques pour les intérêts états-uniens. La Ned, qui finance chaque année plus de 1.000 projets d’organisations non-gouvernementales dans plus de 90 pays, soutient économiquement en Egypte 33 organisations non-gouvernementales : elle fournit à chacune d’elles chaque année des financements de l’ordre de dizaines ou centaines de milliers de dollars.

Des groupes d’opposants à Moubarak (généralement composés de jeunes intellectuels et professions libérales) ont été invités, par l’intermédiaire de la Freedom House, aux Etats-Unis où ils ont fréquenté des cours bimestriels de « défense de la démocratie  ». Ils ont aussi été reçus officiellement au Département d’Etat : en mai 2008 par Condoleeza Rice, en mai 2009 par Hillary Clinton. Lors de la rencontre, la secrétaire d’Etat a déclaré que « c’est l’intérêt de l’Egypte d’aller vers la démocratie et de montrer plus de respect pour le droits humains ». Comme si les Etats-Unis, qui ont construit et financé l’appareil répressif de Moubarak, n’avaient rien à voir avec la violation des droits humains en Egypte.

Washington est donc en train d’élever une nouvelle classe dirigeante égyptienne, destinée à donner un visage « démocratique » à un pays où le pouvoir continue à prendre appui sur les forces armées et dans lequel, surtout, l’influence états-unienne demeure dominante. Il reste cependant à vaincre la résistance de la vieille classe dirigeante qui s’était formée autour de Moubarak -officiers de l’armée, agents des services secrets, managers de l‘industrie de guerre, entrepreneurs- qui craint de perdre les privilèges qu’elle a acquis ou de devoir les partager. Il y a surtout le soulèvement populaire pas facile à mettre sur les rails, tracés par Obama, de la « transition ordonnée et pacifique  ».


Source : Il Manifesto

Traduction : Marie-Ange Patrizio

http://www.ism-france.org/analyses/A-Washington-on-decide-qui-gouvernera-au-Caire-article-15027

Messages

  • Que faut-il comprendre de cet article mais aussi de beaucoup d’autres ?

    Que Moubarak s’accroche au pouvoir, certes, contre le peuple égyptien, mais aussi contre Obama, autant dire les USA et l’UE.

    Toute la question est donc de savoir : l’impérialisme lâche les dictateurs pour mettre en place des gouvernements dits démocratiques, en "récupérant" politiquement les événements en cours ou en les ayant provoqués ?

    Si l’Occident ne fait qu’exploiter les colères de la rue, ça signifie qu’il est dans la réaction et que, dépassé, il s’adapte au mouvement populaire. En revanche, si c’est lui qui a tout bonnement déclenché ce mouvement, c’est qu’il a une stratégie. Une stratégie de recomposition politique au Moyen Orient. Toucher au régime politique égyptien est risqué par rapport à Israël mais aussi à l’ensemble des pays arabes. Ca signifierait que l’impérialisme se sent sûr de lui au point de prendre de gros risques relativement à ses intérêts.

    Mais surtout ça oblige à nous interroger : quelles sont les intentions de Washington ? Quelles seront les prochaines étapes de cette "démocratisation" ?
    Toucher à l’Egypte revient à impliquer Israël et la Palestine car, désormais, plus rien ne sera pareil. Est-ce à dire que Washington entend contraindre Israël à enfin négocier l’existence officielle de l’Etat palestinien ?

    Les capitales arabes sont confrontées de fait à une situation inédite et soudaine. L’air de rien, tout va se "jouer" à partir de la démocratisation de l’Egypte : depuis Bagdad et Kaboul jusque dans d’autres capitales, Damas et Tripoli.

    L’impérialisme lance une nouvelle offensive mettant un terme au Choc des civilisations, à la guerre au terrorisme sous la forme actuelle. Mais cependant, n’attendons rien de bon de ses initiatives. Il agit en terres arabes comme il le fit en pays dits communistes : normaliser des sociétés afin de les rendre conformes au capitalisme mondialisé sous domination impérialiste. Et il se pourrait bien que les peuples en soient à devoir expérimenter une démocratie pire que la dictature. Je sais, ça semble impossible, mais des sondages réalisés dans les pays de l’Est montrent que les habitants regrettent l’ancien régime.

    • La comparaison avec les ex pays socialistes est nulle. La bas il s’agissait d’une contre révolution consumériste bâtie sur une révolution largement dévoyée, ici d’un mouvement de fond en recherche de la "démocratie" qui, fatalement, va déboucher sur des conflits sociaux à consonance anti-impérialiste. C’est précisément cette dimension que les manoeuvres de l’Empire cherchent à éviter !

    • L’air de rien, tout va se "jouer" à partir de la démocratisation de l’Egypte
       : depuis Bagdad et Kaboul jusque dans d’autres capitales, Damas et Tripoli.je cite

      mais Bagdad je croyais que l’on avait démocratisé l’Irak à coups de bombes Pour leur faire entrer la démocratie dans le crâne aux irakiens ???
      ET

      Selon le Times de Londres le monarque saoudien aurait fait état de son "irritation" dans une précédente conversation téléphonique avec le président américain, Barack Obama le 29 janvier menaçant de financer le régime égyptien si les Etats-Unis retiraient leur aide au pays.

      Le roi a également averti Washington de ne pas humilier le président Moubarak, au pouvoir depuis près de 30 ans, estimant qu\’il devrait être autorisé à superviser la transition dans le pays, a ajouté le Times citant une source haut placée à Ryad confirmée par deux autres sources
      ET là plus islamiste et rétrograde à part l’Afghanistan on meurt et curieusement on ne parle jamais de l’Arabie saoudite , la syrie , l’iran oui mais l’arabie saoudite non, !!!! les droits de la femme , la charia tout passe , ne pas conduire devoir s’habiller en belphegor , cela ne choque personne mais damas, l’axe du mal !!!

      la charia version ryad , les exécutions en place publique en guise de distractions du vendredi ah non motus !!! on va agiter les frères musulmans comme épouvantails et si un jour il y a des remous dans le royaume, sans crainte du ridicule on finira par accuser les frères musulmans qui même en cherchant bien ne pourront pas enlever de libertés aux saoudiens i

    • et pas seulement au Caire
      L’ambassadrice des États-Unis, Maura Connelly, a évoqué mercredi avec le président du conseil exécutif des Forces libanaises, Samir Geagea,(un criminel notoire) les derniers développements au Moyen-Orient, notamment en Tunisie et en Égypte, ainsi que la situation au Liban et le processus de formation du nouveau cabinet.
      « L’ambassadrice Connelly a réaffirmé que les États-Unis considèrent la formation d’un nouveau gouvernement libanais comme un processus exclusivement libanais, qui doit rester libre de toute ingérence extérieure », a indiqué l’ambassade dans un communiqué publié après la rencontre.
      « Mme Connelly a souligné que les États-Unis devront se pencher sur la composition du nouveau gouvernement, sa déclaration ministérielle et son comportement avant de prendre toute décision relative aux relations bilatérales », poursuit le communiqué.

      bon sévère mise en garde d’un ambassadeur qui n’a pas hésité à faire du porte à porte pour intimider des hommes politiques !

    • quand on est a ce point incapable de comprendre ce qui se passe devant ses yeux et de prendre la mesure de ce formidable elan des peuples qui refusent l’ordre mondial.c’est grave .les manoeuvres de l’iperialisme americain et de l’ue qui cherchent a tout prix a sauver les etats meme en sacrifiant leurs anciens amis ne changent pas la nature des mouvements en cours cela s’appelle la contre revolution .

    • Certes ! Les exigences du peuple sont légitimes et le sacrifice des manifestants n’en est pas moins louable.

      Mais ce n’est pas du tout ce dont je parle. Je m’attache à raisonner à partir d’une hypothèse, laquelle consiste à penser que Washington ne récupère pas mais déclenche. Et que donc les mouvements en cours sont provoqués. Et même, dirais-je, artificiellement provoqués. Qu’ils entrent dans un vaste plan de démocratisation de l’Egypte pour, ensuite, modifier la nature des régimes de la région.

      Ce qui veut dire que la colère des Egyptiens est bien réelle mais qu’elle a bénéficié d’un coup de pouce étranger afin qu’elle éclate. Qu’elle est totalement instrumentalisée, que le peuple est manipulé, réduit à l’état de marionnette.

      J’ai posté une déclaration du Parti Communiste Algérien (PADS) : ça permet de mieux comprendre les événements en cours.

    • Certes, mais ce sur quoi je mets l’accent, c’est sur le rôle joué par l’Ouest quand il y a des crises, sinon c’est bien vrai que les situations sont différentes ainsi que les motivations.

      Le seul point commun qu’on retrouve, c’est la présence US. C’est la même démarche et le même but à atteindre : déstabiliser, renverser, remplacer les pouvoirs en place.

    • La chute du mur c’est une contre révolution ...c’est beau comme du Honecker.

    • quand on est a ce point incapable de comprendre ce qui se passe devant ses yeux

      J’ai eu à peu près le même style de commentaire en réponse quand j’ai dis un jour, lors d’une soirée de liesse universelle sur BC ,et ailleurs, qu’Obama c’était "G.W. Bush repeint en noir".

      Depuis, et quelques guerres et trahisons plus loin, je ne connaîs pas les position de ceux qui m’ont répondu ainsi.

      Ou plutôt, si : Certains des mêmes m’ont juré qu’ils "savaient" mais qu’ils ne voulaient pas le croire.

      Mais on a pu juger du résultat. Quelques millions de morts, blessés, torturés, et cocus après.

      Donc... Acte.

      On en reparle dans deux ans, ou même avant, s’il y a des velleïtés d’aller plus loin que le départ de Mubarak chez ceux qui se battent là-bas.

      Parce que Suleiman, les godasses qu’on lui montre ostentatoirement, ça lui fait une belle jambe, comme dirait un unijambiste.

      Ces mecs là ça ne craint que ceux qui ont un plus gros bâton que lui. Et ceux qui le commanditent encore plus.

      Suleiman, il a les chars, l’armée, et les USA et Israël derière lui.

      Les "contestataires", (Je dis pas "révolutionnaires", même s’il y en a des vrais parmi eux, et que ce sont ceux qui vont morfler ne premier), ils n’ont même pas une idéologie commune, ne parlons pas d’une stratégie révolutionnaire inexistante, et ils n’ont même pas un objectif ou modèle social, religieux, ou politique, commun.

      Enfin, ils en avaient un, d’objectif : Le départ de Mubarak.

      Ben ça y est ils ne l’ont plus.

      Et maintenant ???

      G.L.

    • Honeker a passé 12 ans à Buchenwald, enfermé par les nazis, tu as sans doute fait plus toi ?

    • En Egypte, comme en Tunisie, c’est pas la Révolution d’Octobre, pas encore, on est en février, mais personne ne peut dire où ils en seront en octobre !.....

    • Exact... Totalement...

      Ca s’appelle le "Principe d’Incertitude" et Eisenberg a brillamment communiqué sur le sujet.

      Mais pas plus de "chances" que quand je prend un billet de Keno, (Un exemple pour dire... Je prends JAMAIS de billet de rien, on me tond assez comme ça et je suis trop rationnel pour ça), je ne peux dire si au tirage je serai millionnaire en Euros...

      ((- :

      Mais bon, le taux de probabilités ???

      Mais aussi se souvenir que la "Révolution d’Octobre", en réalité elle a eu lieu en novembre, selon le Calendrier orthodoxe...

      Comme quoi quand on analyse faut intégrer TOUTES les données. Et exactes en plus... Sinon ???

      G.L.