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A la SNCF, la grève marque un tournant des relations sociales

Publie le mercredi 14 avril 2010 par Open-Publishing

de Bertrand Bissuel

Difficile d’y voir clair dans ce conflit social. Lancée le soir du 6 avril par la CGT et par Sud-Rail, la grève des salariés de la SNCF se poursuit, bien qu’elle soit loin de mobiliser autant que l’espéraient ces deux organisations. D’après la direction, un peu plus de 4 % des cheminots suivaient le mouvement, mardi 13 avril, tandis que la CGT, elle, avance des taux de participation importants - supérieurs, parfois, à 40 % - chez les contrôleurs et les conducteurs, notamment dans le sud du pays.

Au-delà de l’habituelle querelle sur les chiffres, le comportement de la CGT a suscité un vif étonnement au sein de l’entreprise publique. Plusieurs responsables de syndicats non grévistes trouvent que ses méthodes prêtent à confusion puisqu’elle a déposé sept préavis de grève (distincts de celui de Sud-Rail), dont quatre pour un arrêt de travail reconductible dans le fret, l’exploitation, chez les contrôleurs et les agents de conduite.

Rivalités syndicales

Surtout, ils ne comprennent pas que la CGT engage cette action, alors que les salariés avaient déjà débrayé le 3 février et le 23 mars. "Les grèves reconductibles, on sait quand on y entre, mais on ne sait pas quand on en sort", confie Jean-Daniel Bigarne, secrétaire général de l’UNSA-cheminots, pour qui il vaut mieux réserver ses forces pour la bataille à venir des retraites, même si "de vrais problèmes" existent à la SNCF.

Ce conflit intervient sur fond de rivalités syndicales. De fins connaisseurs de la société ferroviaire assurent que la CGT-cheminots a été critiquée par une partie de ses troupes car elle aurait mené des actions jugées trop molles. Certains de ses militants auraient même rejoint Sud-Rail. Pour éviter de se faire doubler sur sa gauche et maintenir sa position de syndicat-leader dans l’entreprise, la CGT se serait donc radicalisée.

Certains syndicalistes se demandent également si le patron de la CGT-cheminots, Didier Le Reste, ne cherche pas à livrer un dernier "baroud d’honneur" quelques mois avant son départ à la retraite. Celui-ci chercherait à soigner sa sortie dans la perspective d’une carrière politique - au Parti communiste, dont il est membre, ou dans un autre parti de gauche.

"Inepties", réagit M. Le Reste. "C’est désobligeant vis-à-vis des cheminots en grève", ajoute-t-il. Si la CGT a décidé de durcir le ton, c’est tout simplement parce qu’elle n’a pas obtenu satisfaction sur de nombreux dossiers : les réductions d’effectifs, la réorganisation du fret - synonyme de "démantèlement " -, les salaires, la montée des souffrances au travail notamment pour les centaines de salariés dont le poste a été supprimé et qui sont "en attente d’une reconversion", etc. M. Le Reste dénonce aussi les "coups de canif" de la direction au détriment du dialogue social. "On nous dénie le droit de discuter de l’avenir du fret", tempête-t-il.

Le directeur des ressources humaines, François Nogué, rétorque que la SNCF a rencontré les syndicats plusieurs fois durant le premier trimestre, en particulier sur le fret, les rémunérations et les conditions de travail. En 2010, ajoute-t-il, le salaire des cheminots va augmenter en moyenne de 3,6 % - un chiffre contesté par la CGT. De nouvelles créations d’emplois ont été annoncées, début avril, qui s’ajoutent à celles déjà prises à la fin 2009.

Compte tenu des efforts de l’entreprise, l’attitude de la CGT relève de la désinvolture, considère M. Nogué. Durant des années, la SNCF a vécu dans "la culture du rapport de forces", rappelle-t-il. Aujourd’hui, la direction entend mettre fin "à l’abus de la grève" et "privilégier le compromis".

L’ère de la "cogestion" entre la direction et la CGT est révolue, commente Bernard Aubin, secrétaire général de la CFTC-cheminots. D’où les crispations de l’organisation emmenée par M. Le Reste. Crispations sans doute aiguisées par le fait que la SNCF n’est plus le "ministère des chemins de fer", selon la formule d’un salarié. L’entreprise dépend, en effet, de plus en plus de décisions prises par d’autres acteurs (l’Union européenne, par exemple).

http://www.lemonde.fr/economie/article/2010/04/14/a-la-sncf-la-greve-marque-un-tournant-des-relations-sociales_1333424_3234.html