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APRES LA CANICULE, L’ORAGE ?

Publie le mardi 10 août 2004 par Open-Publishing


de François DEVOUCOUX DU BUYSSON

Un an après, tous les observateurs s’accordent à voir dans la canicule de l’été 2003
la crise la plus grave qu’ait connue le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin.
Il en est même qui considèrent qu’il ne s’en est jamais vraiment remis.

Comment un événement climatique, aussi inédit soit-il, a-t-il pu gripper à ce
point la machine gouvernementale dans un pays démocratique moderne et dont l’organisation
administrative séculaire, qui a résisté à bien des tourmentes, fait l’admiration
de nombre de ses voisins ?

Peut-être justement parce que la canicule a marqué un fantastique retour du réel dans une France qui s’en était singulièrement détourné à coups de slogans et d’incantations. Car le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin avait jailli d’un slogan. En effet, c’est sous le signe de « la République de proximité » qu’il avait placé son action, confiant dans cette formule magique qui, depuis sa victoire inattendue aux municipales de 2001, apparaissait comme le sésame ayant permis à la droite de reconquérir le pouvoir au cours du printemps victorieux de 2002. On avait presque fini par y croire à ce retour aux sources, à la valeur des hommes de terrain, à leur meilleure compréhension des problèmes de leurs concitoyens. A la proximité d’une nouvelle génération de responsables politiques mieux à même de satisfaire les attentes concrètes de la fameuse « France d’en bas ».

L’épisode tragique de la canicule n’a fait qu’apporter un cruel démenti à cette idée à laquelle la gauche n’avait pas tardé à se rallier. Ces quelques jours de chaleur suffocante ont suffi à faire apparaître cette réalité paradoxale : les élus n’ont jamais semblé si loin des préoccupations des électeurs et de leurs problèmes quotidiens que depuis qu’ils invoquent à tout bout de champ la proximité. En effet, alors qu’une vague de chaleur sans précédent s’abat sur la France et que les plus fragiles -les anciens et les personnes seules- tombent comme des mouches, les responsables politiques sous-estiment l’urgence de la situation et tardent à prendre des mesures appropriées.

Que s’est-il passé ? Comment les apôtres de la proximité ont-ils pu se montrer aussi défaillants ?

L’explication est assez simple. Au mois d’août, les ministres, les parlementaires, les maires de grande ville sont en vacances. La lecture de la presse people, auprès de laquelle ils se répandent, nous apprend qu’ils sont au Maroc, en Turquie, en Grèce, dans les fjords scandinaves ou en safari. Ailleurs. Loin. Une transhumance qui contraste singulièrement avec la situation des dix millions de Français qui ne partent pas en vacances… Certes, tous les hommes politiques ne quittent pas le pays pendant l’été. Ils sont tout de même quelques-uns à passer leurs vacances en France, dans quelque villégiature qu’ils possèdent à la campagne ou en Corse. Toujours est-il que, si la classe politique n’a pas su évaluer le drame de la canicule à sa juste dimension, c’est parce qu’elle ne l’a pas vécu. Elle n’était pas là. Elle ne l’a saisi que par ouï-dire, en lisant la presse, en regardant TV5 depuis quelque resort exotique ou le journal de 20 heures dans la fraîcheur du salon d’une maison de campagne et à travers les rapports édulcorés de leurs collaborateurs restés de permanence. Un décalage qu’a illustré à son insu le pauvre Jean-François Mattéi lorsqu’il est apparu benoîtement au journal télévisé, en polo et l’air détendu, depuis son jardin parcouru par une petite brise rafraîchissante, pour dire aux Français écrasés de chaleur que tout allait bien. Jamais sans doute la fracture entre la France d’en bas et la France d’en haut -son pendant jusqu’ici occulté- n’a semblé si profonde qu’à l’occasion de la canicule de l’été 2003…

Les Français savent désormais ce que vaut cette fameuse proximité que leur servent les élus dans leurs discours. Ils ont vu à cette occasion que leurs représentants étaient capables de cumuler l’incompétence et l’indécence au point de leur reprocher de ne pas assez s’occuper de leurs anciens, comme l’a fait Jacques Chirac à son retour du Canada, et de leur attribuer la responsabilité collective d’une catastrophe sanitaire qui a surtout révélé la carence des pouvoirs publics et la déshérence des hôpitaux. Un comble !

Sur la plan politique, l’erreur du gouvernement, à qui l’on ne peut reprocher un bouleversement climatique aussi imprévisible que considérable, fut de ne voir dans la canicule qu’un épisode fâcheux, un manque de bol interrompant brutalement l’état de grâce qui, jusque-là, avait semblé durer. Avec ses quinze mille morts, la canicule de 2003 est au contraire un traumatisme durable. En à peine une semaine de coup de chaud, son bilan humain est comparable à celui de la Terreur légale de l’an II (17.000 exécutions) à la répression sanglante de la Commune de Paris (10.000 à 20.000 fusillés) ou à l’épuration sauvage de 1944-45 (10.000 exécutions sommaires). Plus encore que l’efficacité des services d’urgence et la mobilisation des administrations locales, ce qui a manqué aux Français pendant la canicule, c’est la compassion que les hommes politiques savent si bien exprimer en d’autres circonstances, la présence rassurante de leurs représentants qui, à défaut d’apporter des solutions, sont tenus de prendre la mesure des problèmes qui affectent la population.

Bien sûr, la défaillance manifestée lors de la canicule par la classe politique -qui a rarement si bien illustré ce vocable de « classe »- tenait plus de l’inconscience que du mépris ou de la lâcheté. Elle a cependant validé a posteriori le constat d’un fossé entre le peuple et ses élites qui avait conduit de nombreux électeurs au vote sanction du 21 avril.

C’est pourquoi on n’a sans doute pas fini de mesurer les conséquences politiques de la canicule. Ceux qui gouvernent la France devraient se souvenir que la France avait déjà connu une canicule. C’était en 1788…

François DEVOUCOUX DU BUYSSON
Essayiste (dernier ouvrage paru : Les Khmers roses, Editions Blanche)