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ARAGON : Est-ce ainsi que les hommes vivent

Publie le samedi 13 novembre 2010 par Open-Publishing
4 commentaires

Est-ce ainsi que les hommes vivent
 
Tout est affaire de décor
Changer de lit changer de corps
À quoi bon puisque c’est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m’éparpille À Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j’ai cru trouver un pays.
Cœur léger cœur changeant cœur lourd
Le temps de rêver est bien court
 
Que faut-il faire de mes nuits
Que faut-il faire de mes jours
 
Je n’avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
Je m’endormais comme le bruit.
C’était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d’épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j’y tenais mal mon rôle
C’était de n’y comprendre rien
 
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
 
Dans le quartier Hohenzollern
Entre La Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne
Fleurissaient les seins de Lola
Elle avait un cœur d’hirondelle
Sur le canapé du bordel
Je venais m’allonger près d’elle
Dans les hoquets du pianola.
Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage
Au-dessus des maisons des quais
Je les voyais par la fenêtre
Leur chant triste entrait dans mon être
 
Et je croyais y reconnaître
Du Rainer Maria Rilke.
 
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.
Elle était brune elle était blanche
Ses cheveux tombaient sur ses hanches
Et la semaine et le dimanche
Elle ouvrait à tous ses bras nus
Elle avait des yeux de faÏence
Elle travaillait avec vaillance
Pour un artilleur de Mayence
Qui n’en est jamais revenu.
Il est d’autres soldats en ville
 
Et la nuit montent les civils
Remets du rimmel à tes cils
Lola qui t’en iras bientôt
Encore un verre de liqueur
Ce fut en avril à cinq heures
Au petit jour que dans ton cœur
Un dragon plongea son couteau
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent

Messages

    • Bonne surprise que cet article..

      Moi , avec celle de Ferré c’est quand même la version OGERET que je préfère..

      http://www.youtube.com/watch?v=6jN-Uu0ir_A

      J’ai toujours trouvé fascinant que "nous" associons souvent le titre de ce texte d’amour particulièrement sombre et pessimiste(surtout avec cette chute concernant la pauvre Lola) à nos luttes d’espoir , au Communisme.

      Certes c’est parce qu’ Aragon , comme Ferrat ne seraient pas des poètes connus du "peuple" .sans "nous" ,

      Nous nous sommes "renvoyés l’ascenceur."

      Intellectuels de classe.., au service de LA classe , la classe ouvrière se devait de faire en sorte que les textes de Louis A ne soient pas connus que des"beaux quartiers"...

      Sans "nous" , la bourgeoisie aurait fait en sorte qu’ils soient méconnus du plus grand nombre : tout le monde n’a pas l’intelligence et le respect d’un d’Ormesson pour "notre Louis"..

      Merci pour la mise sur le site de ce poème...

      Nous sommes ici souvent en polémique mais je suis certain qu’on partagera mon opinion :

      Tous les seins de toutes les Lolas seront plus doux à nos doigts quand le Capitalisme, lui, sera mort.

      AC


      Il ya une dizaine d’années , "Révolution" (ancêtre de"Regards" , .il ya de ces changements de titres..passons !) avait attiré l’attention des lecteurs sur ce bouquin de Ristat dont on connait les liens d’avec Aragon.. : "COMMENCEZ par me LIRE "

      Comment s’étonner que, né au cœur d’un invraisemblable roman familial -son père, préfet de police, se faisant passer pour son parrain, tandis que sa mère était présentée comme sa sœur -, Louis Aragon ait dès son enfance manifesté goût et talent pour l’écriture, qu’il ait très tôt abandonné ses études de médecine pour se consacrer à la littérature et qu’il soit devenu le grand poète et romancier qu’on sait ? Aucun déterminisme cependant ne devait le mener du surréalisme au communisme.
      C’est au gré de ses rencontres, avec Breton, Soupault, Max Ernst, Picasso et de leurs amitiés durables, avec Elsa Triolet aussi, qu’Aragon a fixé ses choix, ses engagements, qu’il appliquait sans dissimulation au travers de ses activités de journaliste, d’écrivain, de résistant ou d’homme politique. L’auteur des Beaux Quartiers, des Yeux d’Elsa, d’Aurélien, celui qui, dans La Diane française, avait affirmé " qu’il n’y a pas d’amour heureux " était toujours prêt à affronter la tourmente, aussi bien qu’à reconnaître ses erreurs. Jean Ristat, qui fut l’un des grands témoins des douze dernières années de sa vie, nous le découvre ici, le cite abondamment, fidèle à la consigne qu’Aragon lui-même donnait : " Commencez par me lire " !

  • Aragon, notre plus grand poète mais aussi mais aussi l’un de nos plus grands prosateurs (les beaux quatiers, Blanche où l’oubli, Le mentir-Vrai etc...) est ostracisé en raison de ses engagements et de sa fidélité critique à l’égard du PCF notamment lors du printemps de Prague.

    Au regard des faiseurs d’opinion, il eût été préférable qu’il ralliât les rénégats des ex-soixante-huitards.

    Mais Aragon était un homme d’exception, son oeuvre survivra à la médiocratisation culturelle du temps présent.

    Merci à Bellaciao d’exister pour que des hommages soient rendus à ceux que l’on voudrait enterrer définitivement.

    "Dieu le fracas que fait un poète que l’on tue"