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Alla, Mohamed, Ahmed, Taher, Sabreen ... Enfants de Palestine
Publie le dimanche 18 juillet 2004 par Open-Publishing" La mixité du camp ? Dans notre village, on a une cage pour les garçons, une autre pour les filles. Je préfèrerais une seule cage, démocratique. C’est quoi la démocratie ? C’est la liberté, la vie normale, sans occupation. "
( Sabreen, 12 ans )
Alla, Mohamed, Ahmed, Taher, Sabreen ...
Enfants de Palestine
Ils ont entre 11 et 15 ans et vivent à Gaza, Jénine, Ramallah, Naplouse ou Hébron. Du Maroc où ils sont en vacances, ils évoquent leur quotidien.
Avez-vous jamais croisé le regard d’un enfant Palestinien autrement que confortablement installé devant votre écran de TV ? Sûr que vous vous en souviendriez, si tel avait été le cas. D’emblée, vous vous perdez dans la tristesse infinie de ces regards quand ce n’est pas l’absence totale d’expression qui vous saisit. Leurs cernes, noires, profondes, leur donnent un âge qui n’est pas le leur. Les visages sont fermés, les langues ont du mal à se délier, à évoquer une vie bornée de toutes parts par la violence, l’amertume, l’injustice. Et puis, d’un coup d’un seul, surpris par l’ébranlement d’un manège, s’amusant de s’ébattre en toute quiétude dans les eaux bleues d’une mer calme, ces adultes miniatures se transforment, le temps d’un camp de vacances, en enfants qu’ils n’ont jamais été. D’un coup d’un seul, les rires s’élèvent, les visages s’éclairent, les voix, claires, s’époumonent….
C’est la première fois que nos 22 jeunes Palestiniens quittent leur pays et avec lui le stress, l’angoisse, la mort, les blessés, les destructions de maisons, les attentes interminables aux check points. Hantés par l’insécurité, ils s’émerveillent de ce Maroc où les gens vont et viennent librement. Habitués au mépris des Israéliens, ils sont bouleversés par les marques d’affection qu’ils reçoivent dans ce "pays frère". Peu familiers des sommeils réparateurs, ils évoquent les nuits tranquilles à Bouznika. Certains ont du mal à gérer ce trop plein d’émotions (fièvre, fatigue…), d’autres prennent tout ce qu’il y a à prendre. Trop conscients que demain est un autre jour. Pour ce qui est d’aujourd’hui, ils en sont sûrs, ces vacances, ces trois semaines de "vie normale" sont ce qui leur est arrivé de mieux jusqu’à présent.
Un répit rendu possible grâce à deux associations : l’une marocaine, le Collectif blouses blanches pour la Palestine, l’autre palestinienne, Union of palestinian medical relief committees, Jerusalem. Si la première, composée de sociétés médicales, d’associations de médecins, de pharmaciens et de dentistes, a pris en charge le financement, la seconde, forte de ces 3500 volontaires secouristes, a sélectionné les 22 bénéficiaires du projet et leur 4 encadrants. Précisons que la noblesse du projet n’a réussi à entamer ni la mauvaise foi des autorités israéliennes - qui, prévenues, n’ont rien fait pour éviter un voyage éprouvant aux enfants -, ni les préoccupations mercantiles des compagnies aériennes marocaine et jordanienne, celles de bus, d’assurances… Il faudra, en fin de compte, toute la persévérance et le dévouement de Siham Bencheckroun, véritable cheville ouvrière de l’opération "Des vacances pour les enfants de Palestine" pour obtenir quelques rabais.
Les enfants l’en remercient.
Alla T., 15 ans, habite un camp de réfugiés à Jénine
La vie quotidienne au camp ? Tous les jours, tu vois des morts, des maisons détruites ou des gens arrêtés. Les militaires israéliens sont toujours présents. Oui, il y a des groupes combattants chez nous qui les affrontent, surtout la nuit et presque tous les jours. Au début de l’Intifada, j’avais très peur. Aujourd’hui, je trouve ça normal. On est en colère, mais c’est comme ça. On n’aime pas les voir.
J’ai 6 sœurs et 2 frères. Enfin, je n’en ai plus qu’un. L’autre a été tué l’an dernier. Il avait 20 ans. J’étais très proche de lui, car nous n’étions que 3 à la maison (lui, une sœur et moi, les autres sont toutes mariées). Depuis, je suis toujours triste, je n’arrête pas de penser à lui.
Mes copines, je ne peux les voir qu’à la maison car m’a mère a trop peur que je sorte. De temps en temps, on se dispute, mais je n’insiste pas à cause de l’insécurité.
Le Maroc ? C’est très spécial par rapport à Jénine. Ici, on joue, on danse, on sort, tout ça est nouveau. Ça me redonne espoir dans une vie meilleure, ça me donne de la force. Je rêve de cette vie. J’ai de très bonnes relations avec les garçons, ils sont comme mes frères. Ça aussi c’est nouveau, parce qu’à Jénine, on n’a pas de relations entre nous. Mais il faut dire qu’on n’a pas une vie normale non plus.
Alla A., 11 ans, camp Askar à Naplouse
J’ai été très heureuse quand j’ai su que je venais, j’ai sauté partout. Je suis partie la veille du départ avec ma mère jusqu’à Jéricho. On a dormi ensemble à la frontière. L’an dernier, on avait été refoulés au check point avant Amman, à cause de mon père ; il était recherché par les Israéliens. J’avais peur qu’il nous arrive la même chose cette année. Au camp, on ne voit que des maisons détruites, des morts… J’ai une seule amie, ma voisine. A part l’école, il n’y a rien dans le camp. J’aime y aller, car c’est plus sûr qu’à l’extérieur et surtout, parce que l’éducation est notre seule arme.
La paix ? Non, je n’y crois pas. Après nos milliers de morts, il ne peut y avoir la paix. D’ailleurs, je ne la veux pas. Je ressemble peut-être à un ange, mais je ne le suis pas.
Mohamed, 14 ans, habite un village à 25 kms à l’ouest de Ramallah
Notre village vit essentiellement de l’agriculture, car il n’y a pas d’autre solution. Il n’y a qu’une école primaire. Pour aller au collège et au lycée, on est obligé d’aller dans un autre village. Le problème, c’est qu’il y a un check point entre les deux. Du coup, c’est pas facile d’aller à l’école tous les jours. Jusqu’à aujourd’hui, la route normale est coupée, on est obligé d’emprunter un autre itinéraire, mais il est beaucoup plus long. Pour moi, aller à l’école est la chose la plus importante. Je voudrais être ingénieur informatique.
J’ai des amis filles et garçons, puisque je vais dans une école mixte ; on n’a pas les moyens d’en avoir une pour chacun. Mais je suis très content comme ça. On essaie de se voir après les cours, souvent dans la rue, car on n’a pas d’autres endroits où aller.
Il y a deux ans, les soldats ont fermé le terrain de foot pour le donner aux colons. On était en colère, on leur a jeté des pierres. J’ai été arrêté avec 2 copains, j’ai passé 2 jours en prison. Les autres enfants avaient prévenu mes parents, mais pas les soldats. J’étais effrayé, j’avais peur qu’ils me frappent mais ils ne l’ont pas fait. En revanche, ils n’ont pas arrêté de me poser des questions sur ceux avec qui j’étais, ce qu’ils font ?
Dans le futur, je suis sûr qu’il y aura la paix et que la Palestine sera libre. Le problème, c’est que les Israéliens n’ont pas de parole.
Ahmed, 11 ans, camp de Jabaliah à Gaza
Il y a 4 ans, au début de l’Intifada, j’ai été blessé par une balle à l’œil. J’ai du être transporté au Maroc pour me faire opérer. En fait, il y avait une administration civile pour les enfants, les soldats israéliens l’ont attaquée et j’ai été blessé dans l’attaque. Depuis, j’ai toujours peur, je ne dors pas. J’ai 4 frères et 1 sœur, tous plus petits que moi et je suis très triste d’être au Maroc sans eux. Mais je suis quand même heureux d’être là, je me sens en sécurité, ça fait du bien.
Taher A., 15 ans, Gaza
Mon père a été blessé pendant l’Intifada, il a reçu une balle dans la jambe. Depuis, il est handicapé. Comme il était chauffeur de taxi, il ne peut plus travailler aujourd’hui. Je ne peux évoluer comme je voudrais à l’école à cause des problèmes de déplacement. J’ai peur d’être obligée de rester chez moi pour travailler seule.
Je me souviens quand Sharon est entré dans la mosquée et que les Palestiniens n’ont pas supporté. Je suis de cette région, c’est là où il y a le plus de démolitions. Comme nous vivons dans une région frontalière, les Israéliens utilisent nos maisons comme postes d’observation. Les arbres sont déracinés, les terres agricoles traversées par les tanks...
Ce qui m’a le plus touchée au Maroc ? La tendresse, l’amitié entre les enfants et surtout, je me sens en sécurité. Je voudrais vivre comme vous.
Sabreen, 12 ans, habite un petit village à quelques kilomètres d’Hébron
J’ai 5 sœurs et 2 frères. Mes amies sont toutes de ma famille car comme dans chaque village, seules 2 ou 3 familles vivent entre elles. Dans mon village, les gens n’ont pas de travail, c’est très dur. J’habite près des colons et que parfois, ils nous attaquent. Nous, on leur jette des cailloux. Mais je constate que la colonie devient de plus en plus grande. Aujourd’hui, c’est presqu’une ville. Pour aller à l’école, je suis obligée de passer par un check point. Parfois, quand la route est barrée, je dois faire un long détour. Je ne me sens pas vraiment en sécurité sauf quand les soldats sont à l’extérieur. Mais ils viennent souvent pour arrêter les gens, détruire les maisons. Cette année, ils en ont détruit 2 près de chez moi. Avant que les familles ne partent dans un autre camp, elles m’ont raconté que les soldats israéliens les avaient prévenues que leur maison serait détruite et qu’ils devaient donc tout vider. En fait, les militaires sont venus un mois après et 2 garçons qui étaient dedans sont morts (17 et 21 ans).
Je veux être journaliste pour écrire sur la Palestine, car il y a un vrai gap entre ce que je vis et ce que je lis.
Le Maroc est un pays extraordinaire. C’est la première fois que je vis une vie normale. Je suis très surprise par la liberté de mouvement, je n’avais jamais imaginé que ça existait.
La mixité du camp ? Dans notre village, on a une cage pour les garçons, une autre pour les filles. Je préfèrerais une seule cage, démocratique. C’est quoi la démocratie ? C’est la liberté, la vie normale, sans occupation. Est-ce que ça va arriver ? Inch Allah ! Non, en fait je suis sûre que ça va arriver. J’aimerais être amie avec des enfants israéliens mais je ne pense pas que leurs parents accepteraient. D’un autre côté, je ne sais pas si les miens le voudraient.