Récrire le Moyen-Orient : Une Vision Humanitaire face aux Politiques Israéliennes

Alors que le cessez-le-feu de Gaza ouvre une...

Récrire le Moyen-Orient : Une Vision Humanitaire face aux Politiques Israéliennes
21 octobre 2025 Mounir Kilani

Signaler ce contenu.

Alors que le cessez-le-feu de Gaza ouvre une brève fenêtre d’espoir, une autre voie s’impose : bâtir une paix durable fondée sur les besoins essentiels des peuples - l’eau, la santé, la dignité - plutôt que sur les alliances militaires ou la domination israélienne. Une proposition pour replacer l’humain au cœur de la sécurité régionale.

Dans un Moyen-Orient déchiré par des crises humanitaires, climatiques et géopolitiques, une question émerge : et si l’on bâtissait une sécurité régionale sur les besoins essentiels des populations - l’eau, la nourriture, la paix - plutôt que sur les rivalités ou les agendas étrangers ?
Dans un monde multipolaire, une alliance inclusive et pragmatique, ancrée dans les réalités locales, pourrait transformer le chaos en opportunité. Mais cette vision est-elle réalisable face à l’intransigeance israélienne et aux ingérences externes ? C’est cette voie que propose d’explorer cet article à travers une analyse à la fois pragmatique et critique pour imaginer un Moyen-Orient stable, porté par les aspirations de ses peuples.
« La paix durable repose sur des solutions qui incluent toutes les voix, même les plus controversées. » - Dr. Ayman Khalil*

Un Moyen-Orient en Quête de Stabilité

Le Moyen-Orient, carrefour historique des civilisations, est le théâtre de crises multiples.
Le conflit israélo-palestinien, qui s’est intensifié depuis 2024 avec les déplacements massifs de population à Gaza et en Cisjordanie, est aggravé par le blocus israélien de la bande de Gaza, en place depuis 2007. Ce blocus restreint l’accès à l’eau, à la nourriture et aux soins médicaux, ce qui exacerbe la malnutrition et les crises humanitaires. À Gaza, une mère de famille doit parcourir des kilomètres pour accéder à un puits d’eau potable, souvent bloqué par des restrictions.

Les tensions régionales, notamment entre l’Iran et l’Arabie saoudite, combinées à des sécheresses récurrentes, amplifient cette instabilité.

Les solutions imposées de l’extérieur, comme le Middle East Strategic Alliance (MESA) - une « OTAN arabe » à visée anti-iranienne promue par Washington entre 2017 et 2019 - ont échoué. Minées par les divisions au sein du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), ces initiatives ont ignoré les besoins concrets des populations, tels que l’aide humanitaire à Gaza ou la sécurité alimentaire.

Pourtant, des lueurs d’espoir subsistent. Les dialogues entre Riyad et Téhéran, initiés en 2023 sous médiation chinoise, témoignent d’une volonté de désescalade. Le cessez-le-feu partiel observé à Gaza en octobre 2025 ouvre quant à lui une fenêtre pour des actions humanitaires. Dès lors, une alliance régionale intégrant États, ONG et acteurs influents comme le Hezbollah pourrait-elle poser les bases d’une paix durable, en dépit des obstacles israéliens ?
Ces crises multiples soulignent l’urgence de repenser les approches traditionnelles, en s’inspirant des échecs des initiatives passées.

Les Leçons des Échecs Passés

Les initiatives occidentales, telles que la MESA ou l’Initiative de Coopération d’Istanbul (ICI) de l’OTAN, ont négligé des acteurs clés comme l’Iran et la Turquie. Elles ont parallèlement ignoré des crises humanitaires pressantes, telles que la reconstruction de Gaza.

Ces échecs démontrent qu’une sécurité régionale viable doit impérativement répondre aux besoins des populations, et non aux seules priorités étrangères.

Comme le souligne Marwa Daoudy* : « La coopération sur les ressources transfrontalières peut devenir un outil de prévention des conflits et de partage de bénéfices.  »

Ces enseignements mettent en lumière la nécessité d’identifier et de surmonter les obstacles actuels pour construire une alternative crédible.

Les Défis à Relever

Face à ces obstacles structurels, une approche novatrice, centrée sur la coopération pratique et l’inclusion, peut ouvrir la voie à une stabilité régionale durable.

Le conflit israélo-palestinien en est la pierre d’achoppement. Intégrer Israël sans une reconnaissance formelle de l’État palestinien est un défi politique complexe. Les restrictions israéliennes persistantes sur l’aide humanitaire à Gaza entravent toute initiative sur le terrain. Surtout, l’approche israélienne, fondée sur une doctrine de domination sécuritaire et la fragmentation territoriale palestinienne, sape les fondements mêmes d’une architecture régionale bâtie sur la confiance.
Les rivalités régionales et l’ingérence étrangère constituent un second écueil. Les tensions persistantes entre l’Iran et l’Arabie saoudite, ou entre la Turquie et les monarchies du Golfe, combinées aux agendas des puissances externes, exigent l’intervention de médiateurs crédibles et impartiaux.
Enfin, la question des acteurs non-étatiques comme le Hezbollah est épineuse : si leur inclusion dans des missions humanitaires pourrait apaiser certaines tensions locales, leur influence sécuritaire et militaire reste une source de préoccupation majeure. Comme le souligne Fatemeh Shayan*, « Une coopération régionale réussie exige de transcender les rivalités pour se concentrer sur des projets concrets qui profitent à toutes les parties.  »

Une alliance régionale fondée sur quatre principes critiques

C’est précisément pour contourner ces obstacles structurels que nous proposons la création d’une alliance régionale, non plus fondée sur des alliances militaires, mais structurée autour de quatre principes fondamentaux axés sur l’action concrète.

1. Coopération pratique sur les besoins vitaux
L’alliance doit se concentrer sur des projets concrets, à l’instar d’une Agence régionale de l’eau. Inspirée des travaux d’EcoPeace (2024), celle-ci réunirait Israël, la Jordanie et les Palestiniens pour une gestion partagée du bassin du Jourdain, avec pour objectif d’augmenter de 15 % l’accès à l’eau dans les villages concernés d’ici 2027.
L’exemple de Gaza est éloquent : la réhabilitation de puits a permis de venir en aide à 100 000 personnes en 2025, en dépit des restrictions israéliennes sur l’importation d’équipements. En Cisjordanie, ces mêmes restrictions entravent la protection des récoltes contre les sécheresses. Si Israël a tout à gagner d’une stabilité régionale, il lui faut pour cela assouplir ses politiques de contrôle.

2. Dialogues inclusifs et médiation pragmatique
Des réunions trimestrielles, facilitées par des médiateurs neutres (ONU, Inde, Irak), réuniraient l’Iran, l’Arabie saoudite, la Turquie ainsi que des acteurs non-étatiques comme le Hezbollah. Sur le modèle du Forum de Bagdad (2021-2025), ces discussions seraient cantonnées à des sujets techniques précis : cyber-sécurité, lutte anti-terroriste.
L’opposition systématique d’Israël à la participation de l’Iran ou du Hezbollah constitue un frein majeur aux progrès sur des enjeux pourtant essentiels, comme la gestion de l’eau.

3. Une gouvernance équilibrée
Un Conseil régional, composé d’un représentant par État membre et doté d’une présidence tournante, travaillerait en synergie avec un Comité des citoyens. Ce dernier intégrerait des ONG spécialisées et des experts de renom, tels que l’Iranien Dr. Mohammad Reza Farzanegan*, qui affirme que « la coopération sur des ressources comme l’eau peut apaiser les tensions, à condition que les citoyens soient pleinement impliqués ».

4. Financement indépendant et partenariats encadrés
Un fonds autonome, abondé par une taxe de 0,5 % sur les exportations pétrolières (soit environ 4 milliards USD/an, source OPEP 2024), financerait des projets prioritaires : fermes solaires en Jordanie, cliniques à Gaza. Les contributions externes (Chine, UE, Russie) seraient strictement encadrées par une charte de non-ingérence. Comme le souligne Abdulaziz Sager,* « une approche régionale autonome, centrée sur les priorités locales, est la meilleure parade aux pressions externes et un gage de stabilité durable ».
Pour concrétiser ces principes, une mise en œuvre progressive et structurée est essentielle, à travers une feuille de route claire et pragmatique.

Feuille de route : un cheminement en quatre étapes

La mise en œuvre de cette alliance suivrait une progression méthodique :
Étape 1 : Bâtir la confiance
Relance des canaux diplomatiques via des discussions bilatérales (Arabie saoudite-Iran, Égypte-Turquie) et des ateliers techniques associant les ONG locales. Le Hezbollah pourrait y être associé dans un cadre strictement humanitaire.
Étape 2 : Lancer des projets concrets
Déploiement d’une coalition navale mixte (Iran, Turquie) pour sécuriser la Mer Rouge. En parallèle, l’Égypte et la Jordanie achemineraient des convois humanitaires à Gaza, visant une réduction de 30 % de la malnutrition d’ici 2027, malgré les contrôles israéliens.
Étape 3 : Créer les institutions pérennes
Établissement d’un secrétariat permanent au Caire, chargé de veiller au respect de la charte de non-ingérence. Le fonds régional deviendrait opérationnel pour financer cliniques à Gaza et programmes agricoles en Cisjordanie.
Étape 4 : Consolider une alliance solide
L’alliance, pleinement opérationnelle, se muerait en mécanisme de prévention des crises via des médiations rapides, s’appuyant notamment sur le Forum de Bagdad et la diplomatie irakienne.
Cette feuille de route, bien que méthodique, doit s’inscrire dans un contexte d’urgence pour saisir les opportunités actuelles.

Pourquoi Agir Maintenant ?

Le contexte actuel est crucial. Le cessez-le-feu à Gaza (octobre 2025) et la reprise des dialogues entre Riyad et Téhéran créent une fenêtre d’opportunité unique. Parallèlement, l’aggravation des crises humanitaires, climatiques et énergétiques exige des solutions urgentes et coordonnées. En 2025, les sécheresses ont réduit de 20 % les rendements agricoles en Jordanie, rendant urgente une coopération régionale. Enfin, la mobilisation citoyenne mondiale, symbolisée par des campagnes comme #PalestineWillBeFree, amplifie la pression en faveur de la justice humanitaire.

Un Pari Nécessaire pour les Peuples

Cette alliance ne prétend pas être une solution miracle. Les rivalités historiques, les pressions externes et l’intransigeance israélienne, renforcée par son alignement stratégique avec les États-Unis, constituent des obstacles immenses.

La paix ne sera qu’une façade tant qu’Israël continuera de considérer la sécurité comme un monopole exclusif plutôt que comme un bien commun à partager.

Cependant, en misant résolument sur des projets pratiques (eau, santé), une gouvernance équilibrée et des partenariats encadrés, cette alliance peut apporter des bénéfices tangibles : une aide durable à Gaza, une gestion partagée des ressources pour lutter contre les sécheresses, et la sécurisation des routes commerciales.

Les droits des Palestiniens y gagneraient un environnement plus propice à des négociations futures et équitables. Cet article propose une vision humanitaire pour le Moyen-Orient, explorant une alliance régionale inclusive sans prétendre offrir une solution définitive, mais en s’appuyant sur les aspirations des peuples.

En définitive, le Moyen-Orient n’attend pas un nouveau maître, mais un pacte forgé par ses peuples, un pont entre les blessures du passé et l’horizon d’une paix juste. L’heure est venue d’agir pour que la dignité l’emporte sur la domination.

Cet article est une collaboration entre Mounir Kilani et Selim Kilani


Ayman Khalil : Fondateur de l’Institute for Middle East Studies.
Mohammad Reza Farzanegan : Économiste politique à l’Université de Marburg.
Marwa Daoudy : Spécialiste de la sécurité hydrique au Moyen-Orient, "The Origins of the Syrian Conflict".
Abdulaziz Sager : Président du Gulf Research
Fatemeh Shayan : Professeure en sciences politiques à l’Université de Téhéran. « Security in the Persian Gulf Region ».

Cet espace est personnel, Bellaciao n'est pas responsable de ce contenu.

Un commentaire ?
Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.


1999-2025 Bellaciao
Contact | Mentions légales | Qui sommes-nous |
L’inscription est obligatoire pour publier sur Bellaciao.
Les publications dans les espaces personnels et les commentaires de forums sont modérés a posteriori.
Les auteurs sont responsables de leurs écrits et assument légalement leurs publications.
En savoir plus

Archives Bellaciao 1999-2021

Bellaciao FR Bellaciao IT Bellaciao EN Bellaciao ES