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Analyse critique du discours du 26 juin de N. Sarkozy en Guadeloupe

Publie le samedi 11 juillet 2009 par Open-Publishing

Analyse
critique du discours du 26 juin de N. Sarkozy





1ère
partie : NICOLAS SARKOZY SE POSITIONNE





1° Justifications



a)
Son intérêt pour la Guadeloupe

Nicolas Sarkozy n’a pas
assez de mots pour dire son attachement pour « 
cette terre de Guadeloupe avec laquelle [il a] tissé au fil du
temps un lien particulier ».
C’est ainsi qu’il
inaugure son discours : « Durant ces
dernières années, je suis venu à plusieurs
reprises à votre rencontre : comme Ministre de l’Intérieur,
comme candidat à l’élection présidentielle
et, aujourd’hui, comme Chef de l’Etat.

On peut,
sans doute, me trouver beaucoup de défauts, mais on ne peut
pas me reprocher l’inconstance. Mon attachement à la
Guadeloupe et aux Guadeloupéens a toujours été
fort, viscéral, comme l’est votre attachement à
l’égard de notre République. Vous m’avez
toujours accueilli avec chaleur et amitié (…) »



Tag de bienvenue à Baie-Mahault (photo FG)

Si Nicolas Sarkozy n’a pas
le défaut de l’inconstance, on ne peut pas non plus lui
reprocher d’être rancunier ! Il a déjà
oublié qu’en 2005, il était persona non grata en
Guadeloupe et que, devant l’hostilité affichée
des Antillais, il avait du annuler son voyage officiel, prévu
en décembre de cette année-là. Sa "loi du
23 février 2005", dont l’article IV prétendait
faire état dans les manuels scolaires du rôle positif de
la colonisation française, avait ici soulevé
l’indignation générale.



Ni inconstant, ni rancunier,
Nicolas n’est pas pingre non plus : la preuve, à
l’occasion de sa visite éclair de 7 heures sur le sol
antillais, il a invité un bon millier de gendarmes mobiles en
renfort de ceux déjà présents, afin qu’eux
aussi profitent de cette chaleur et de cette amitié que lui
ont toujours réservé les Guadeloupéens. Ah
Nicolas, ta générosité te perdra ! Bien sûr,
comme à chaque fois, son accueil aura été
d’autant meilleur que l’impressionnant déploiement
des forces de l’ordre garantira que seuls des militants UMP
triés sur le volet pourront approcher le chef de l’Etat
et l’applaudir à tout rompre. Surtout pas de fausse
note, le show doit se dérouler sans anicroche ; le préfet
sait à quoi s’attendre au moindre souci...



Pas un mot par contre pour
expliquer son léger retard : le 19 février, dans une
allocution télévisée, il prétendait venir
inaugurer les états généraux en Guadeloupe pour
la fin avril... Il lui aura finalement fallu trois mois de plus pour
se décider, mais bon, l’important c’est qu’il
soit là, n’est-ce pas (1) ?



b)
Sa gestion de la crise

Deux phrases lui suffiront pour
expliquer sa gestion de la crise, qui a tant fait polémique :
« Beaucoup des décisions qui ont
été prises l’ont été dans le but
d’assurer, en priorité, la sécurité des
personnes et des biens. Tout n’a pas été parfait,
je le sais, mais nous avons évité le pire, même
si je n’oublie pas qu’un homme est mort en Guadeloupe. »

Un satisfecit global donc que s’accorde le chef de l’Etat.
Il parle des nombreuses décisions prises. N’est-ce pas
plutôt le manque de décisions sérieuses pour
résoudre pacifiquement ce conflit, les voltefaces répétées
et incompréhensibles de l’Etat et la volonté
délibérée de laisser pourrir la situation,
maintes fois dénoncée dans Chien Créole
notamment, qui ont caractérisé sa gestion de la crise ?



Un peu plus loin, il ajoute : « 
je suis convaincu que seul le dialogue, seul un travail approfondi en
commun peuvent apporter des solutions durables. Aucune solution ne
peut naître du désordre et de la violence. »

S’il croit tant que ça aux valeurs du dialogue, lui si
prompt d’ordinaire à s’exprimer sur tous les
sujets, à se rendre partout dès qu’il y a le
moindre problème, pourquoi diable avoir précisément
attendu qu’il y ait mort d’homme, que la Guadeloupe soit
à feu et à sang pour sortir de son mutisme ? Le LKP
pendant un mois de manifestations pacifiques et chaque fois plus
nombreuses n’avait-t’il pas démontré sa
volonté d’entamer un dialogue sérieux sur une
base de propositions constructives traduites dans une plateforme de
revendications ?



Enfin, s’il ne croit pas
en la violence, pourquoi l’Etat l’a-t-il initiée
sur l’archipel par la brutale répression policière
au barrage de Poucette contre des manifestants pacifiques et désarmés
 ?



2° Reconnaissance des
problèmes préexistants au soulèvement du LKP



a) Pas de sens ?

Nicolas Sarkozy énumère
un certains nombres de problèmes révélés
au grand jour par le LKP, sans même citer ses sources.
Surprenant de la part d’un homme si profondément attaché
au droit d’auteur (cf loi hadopi) ! Il cite pêle-mêle
 : « la transparence des prix, le pouvoir
d’achat, la répartition des richesses mais aussi l’accès
des Guadeloupéens aux responsabilités dans l’entreprise
et la Haute administration. »



Il égrène quelques
statistiques révélatrices : « 
Qui peut comprendre que malgré ses centaines de kilomètres
de côtes, 50% du poisson consommé aux Antilles soit
importé d’Amérique du Sud ou d’Asie ? Qui
peut comprendre que les Antilles ne produisent que 24% de leur
consommation de fruits ? Tout ceci n’a pas de sens. »

Ça n’a certainement pas de sens pour le consommateur
lambda mais ça en a beaucoup pour ses amis politiques, les
importateurs békés, responsables de cette situation.
Nous y reviendrons dans la 3ème partie.



b) Le passé colonial

Et puis, parlant du passé
colonial de la France et pour ajouter aussitôt que celle-ci a
changé, il dira simplement :
« 
Je ne nie nullement les souffrances passées et les erreurs qui
ont pu être commises. »

Le massacre de mai 67, officiellement 87 morts, évoqué
au cours de ces états généraux, très
largement mis en lumière par le LKP, ne sera à aucun
moment abordé dans son discours, sauf à comprendre
qu’il se résume pour Sarkozy à
« 
une erreur »
 ?.. Les
Guadeloupéens, toutes tendances politiques confondues,
attendent toujours que l’Etat français présente
des excuses pour ce carnage qui empoisonne les relations entre la
métropole et son département d’Outre-mer (à
ce sujet, relire :
http://chien-creole.blogspot.com/2009/05/parallele-historique.html)

.



Mais pouvait-on sérieusement
espérer une "rupture" sur cette question de la part
d’un Nicolas Sarkozy qui déclarait encore le 7 avril
2007, à Lyon : « je déteste cette mode de la
repentance qui exprime la détestation de la France et de son
Histoire. Je déteste la repentance qui veut nous interdire
d’être fiers de notre pays. » ? (2) (c’est
sans doute toujours au nom de cette détestation qu’il
n’a pas jugé opportun non plus d’assister aux
commémorations de l’abolition de l’esclavage le 10
mai...)



Le 26 juin, ayant déjoué
la vigilance des gendarmes, sur un parterre de pelouse longeant une
voie d’accès à l’aéroport, des
dizaines de petits écriteaux, pour autant de victimes de la
féroce répression, interrogeaient discrètement :
« Guadeloupéen tombé en mai 67, qui es-tu, où
es-tu ? ».



(photo Adenanthera)



(1) D’autant que je ne suis pas mécontent que
mon analyse se soit révélée juste. Les lecteurs
assidus se souviendront que j’avais parié une bouteille
d’excellent rhum vieux avec un ami qu’il viendrait.

(2) Retrouver l’intégralité du
discours de N. Sarkozy à Lyon sur le site de l’UMP :
http://www.u-m-p.org/site/index.php/s_informer/discours/nicolas_sarkozy_a_lyon





2ème
partie : SARKOZY S’EN PREND AU LKP



Caribcreole 1, site
d’information guadeloupéen sur l’actualité
de la Caraïbe
(1),
a rendu publique, le 25 juin,une note
confidentielle adressée à Nicolas Sarkozy et rédigée
par Olivier Biancarelli, son chef de cabinet. Cette note visant à
préparer sa venue aux Antilles stipulait entre autres choses
que : « notre électorat, mais aussi de nombreux
Guadeloupéens silencieux, attendent un discours ferme de votre
part qui rappelle les grands principes républicains. Il
serait, toutefois, périlleux d’attaquer trop directement
DOMOTA qui a su conserver un capital sympathie au sein d’une
partie de la population, notamment la plus modeste. »



Nicolas Sarkozy va suivre ces
conseils à la lettre. Pas une fois il ne nommera Elie Domota.
Il ne prendra même pas le risque de citer le LKP, ce qui ne
l’empêchera pas de truffer son discours de sous-entendus,
voire d’émettre des attaques très dures à
l’encontre du mouvement. Sans doute considère t’il
que "les plus modestes" n’auront pas l’intelligence
de lire entre les lignes, allez savoir ?



Illustration PieR Gajewski (http://www.bakchich.info)





1° Pour Nicolas Sarkozy,
le LKP est un mouvement raciste :

« 
Indiens, Syro-libanais, Noirs, Asiatiques, « Békés
 », Métropolitains,… vous êtes tous
Français, vous êtes tous Guadeloupéens ! (…)
Ne laissez personne vous diviser, ne laissez personne vous dresser
les uns contre les autres ! »
.
Amusant de voir que Sarkozy se pose en
lyanneur
des Guadeloupéens, en rassembleur avec un train de retard.
Pathétique en revanche de constater que ses sous-entendus
jettent l’opprobre du racisme sur un mouvement qui n’a eu
de cesse de réclamer l’égalité entre tous
les Guadeloupéens, une égalité jusqu’à
aujourd’hui bafouée. Les défenseurs de la
diversité se voient accusés d’être des
racistes parce qu’ils dénoncent les mécanismes
qui font que les antillais de couleur sont de fait exclus des postes
de décisions économiques. Mais, encore une fois, le
problème ne réside pas dans l’épiderme, au
sens biologique, des uns ou des autres, mais dans les rouages d’un
système hérité du colonialisme où chacun
est à sa place précisément en fonction de sa
couleur de peau. C’est ce système que tout citoyen
réellement animé par l’esprit républicain
devrait remettre en cause et combattre quelque soit sa propre couleur
car il constitue un archaïsme qui n’est pas sans rappeler
l’iniquité de l’ancien régime.



Un
peu plus loin, Sarkozy revient à la charge :

« 
Je
n’accepterai pas que, sur le territoire de la République,
l’on stigmatise une catégorie de citoyens en raison de
leur origine, quelle que soit cette origine. »
Sans
doute fait-il ici allusion à l’enquête judiciaire
ouverte à l’encontre d’Elie Domota pour incitation
à la haine raciale. A ce propos, je vous invite à
relire la deuxième partie de l’article que j’avais
consacré à cette lamentable affaire où le
pouvoir ne se grandit pas à essayer de criminaliser un
mouvement social
(http://chien-creole.blogspot.com/2009/03/incitation-la-haine-raciale.html),
par le biais de manipulations de l’opinion pour le moins douteuses.






Pour Nicolas Sarkozy, le LKP est un mouvement violent :

« Je
n’accepterai pas que l’on constitue des groupes
d’intimidations violents »
A
moins qu’il ne fasse allusion aux gendarmes mobiles (qui en
Guadeloupe remplacent nos braves CRS), armés jusqu’aux
dents et carapacés comme des tortues ninjas, je crains fort
qu’il ne vise là encore le LKP. La confusion est
toutefois entretenue avec des propos que nombre de elkapistes auront
pris comme un hommage du président :
« 
Il est aisé de dénoncer, de combattre et de détruire.
Il est bien plus difficile de proposer, d’agir et de construire
 ! Cela demande de l’imagination, de la ténacité
et de l’humilité. »
ou
encore
« 
Je suis certain que les Guadeloupéens veulent une société
dans laquelle on est libre d’avoir des opinions et de penser
différemment, sans avoir peur pour soi, sa famille ou ses
biens. Une société dans laquelle on sait être
solidaire et se rassembler pour relever des défis communs.
Voilà ce à quoi aspirent les Guadeloupéens ! »

Blague à
part, faire au LKP le procès de la violence est là
encore profondément injuste et choquant. Quel autre mouvement
social en France peut se vanter d’avoir rassemblé
pendant un mois des dizaines de milliers de manifestants, sans que
les villes traversées ne subissent la moindre dégradation,
sans le moindre incident à déplorer ? Il faut dire que
les Guadeloupéens ont un très gros avantage sur les
manifestants de l’hexagone : la pratique massive du carnaval
qui s’étale chaque année sur un bon mois, leur a
donné une véritable culture des mouvements de masse.
Une discipline inimaginable dans l’hexagone a été
acquise par tous ceux qui défilent, ce qui permet une gestion
impressionnante des foules. Si on ajoute à cela un service de
sécurité conséquent, accusé de tous les
maux mais bigrement efficace, on arrive à la maîtrise
totale qui a permis d’éviter tous débordements.

On
pourrait tout au plus reprocher, parfois, l’autoritarisme dont
certains ont fait preuve pour fermer les entreprises non en grève
pendant les 44 jours. Mais là encore, une petite mise en
perspective s’impose : alors que la métropole flirte
avec les 9% de chômage, Dominique de Villepin n’hésite
pas à parler de situation pré-révolutionnaire.
Là-bas des actes désespérés se
multiplient comme le saccage d’une sous-préfecture ou
des volées d’œufs et de pancartes contre des
patrons qu’on va de plus en plus souvent jusqu’à
séquestrer d’ailleurs. Alors, qu’on considère
un instant la poudrière sociale qu’est la Guadeloupe où
le taux de chômage n’est pas de 9% mais dépasse
les 20%, où le chômage des jeunes est le plus élevé
de toute l’union européenne, où qui plus est,
l’absence de perspective a conduit l’équivalent de
la population vivant actuellement en Guadeloupe à s’exiler
à l’étranger ou dans l’hexagone...
Finalement, la façon parfois autoritaire avec laquelle les
entreprises étaient fermées n’était pas
bien méchante, surtout quand on considère que 9 fois
sur 10, les rideaux de fer étaient à nouveau levés
dix minutes plus tard !

Quant à
la violence extrême dont une certaine jeunesse a fait preuve en
réaction à la violente répression policière
du barrage de Poucette, elle n’a certainement pas été
créée par le LKP : pour les raisons invoquées
plus haut, on comprend qu’elle lui était antérieure.
Certes, les formes qu’elle a prise étaient cette fois
très spectaculaires mais cette violence existe depuis
longtemps et se manifeste au quotidien par un taux de délinquance
très élevé en Guadeloupe (selon les statistiques
2008 de l’observatoire national de la délinquance, la
Guadeloupe occupe le 4ème rang en matière
d’« atteintes volontaires à l’intégrité
physique », le 1er rang étant détenu
par la Seine Saint-Denis) et surtout dans les conduites
auto-destructrices : alcool, drogue, suicide, etc. Ce n’est pas
le LKP qui a déclenché la vague de violence qu’on
a connu à la mi-février, au contraire le LKP avait
ouvert des perspectives pour cette jeunesse qui n’en avait
aucune. C’est l’absence de volonté pour répondre
aux espoirs soulevés et le sentiment d’injustice qui ont
conduit à l’explosion de violence qu’on a connue.




Pour Nicolas Sarkozy, le LKP est un mouvement anti-démocratique

« Je
n’accepterai pas que, sur le territoire de la République,
l’on entrave le fonctionnement démocratique de nos
institutions, en empêchant vos élus locaux de se réunir
(...) »
,
quand précisément l’occupation bonne enfant du
conseil général visait à replacer le citoyen au
cœur de l’appareil démocratique en rappelant aux
élus leurs engagements et leurs promesses. Pour Nicolas
Sarkozy,
« 
Il n’y a pas deux sources de légitimité dans une
démocratie, il n’y en a qu’une : celle de
l’élection. Nos institutions, vos institutions,
permettent le débat et permettent de faire des choix
démocratiques. »

Pourtant
je crois me souvenir que ce monsieur a précisément été
élu sur la question du pouvoir d’achat. Alors certes,
charité bien ordonnée commençant par soi même,
Nicolas Sarkozy a lui-même augmenté son salaire non pas
de 140%, comme on l’a cru dans un premier temps mais de 206%
(2)
 ! Certes, grâce
à son bouclier fiscal, les nantis ont vu eux-aussi leur
pouvoir d’achat augmenter considérablement ; mesure sur
laquelle le président a exclu de revenir alors que la crise
frappe la France de plein fouet et qu’il préfère
sacrifier chaque année des milliers de postes dans l’éducation
nationale pour ne citer que cet exemple.

N’est-ce
pas détourner la démocratie (étymologiquement
"le pouvoir au peuple") que de trahir ses promesses
électorales pour faire exclusivement le jeu des intérêts
d’une minorité déjà très
privilégiée ? En tentant de lutter contre la vie chère,
n’est-ce pas le programme pour lesquels les Français ont
voté et que Sarkozy s’est refusé d’appliquer
une fois le suffrage des urnes obtenu, que le LKP a porté haut
et fort ? D’ailleurs, lorsque les urnes ont décidé
sans appel du rejet du traité européen, Nicolas
Sarkozy, toujours lui, ne s’est-il pas assis sur la volonté
démocratique qui venait de se prononcer pour faire adopter un
texte à peine retouché (comme le dénoncera ce
vieux gauchiste de Valéry Giscard d’Estaing), par voie
parlementaire ? Ce même Nicolas Sarkozy est-il donc vraiment
bien placé pour venir ensuite donner des leçons de
respect de la démocratie aux Guadeloupéens ? Quand qui
plus est, sa simple personne requiert où qu’il aille la
présence de centaines et de centaines de policiers pour se
prévaloir du mécontentement populaire, il est difficile
de ne pas sourire lorsqu’ensuite il vient nous faire de
grandiloquents discours sur la légitimité...

Plus
grave, Sarkozy dit constater que les grèves toujours en cours
en Guadeloupe
« 
se poursuivent avec leurs lots de défilés,
d’occupations et d’invectives entre Guadeloupéens
 »
,
[qu’elles]
« 
sont souvent entretenues de façon artificielle »
.
Il considère qu’en l’occurrence, elles sont
utilisées comme
« 
instrument de propagande et de déstabilisation politique »

et que quoique le « 
droit de grève est un outil de revendication normal »
,
il n’est
« 
pas prêt à accepter l’inacceptable »
.
Des menaces à peine voilées alors qu’on sait à
quel point les raisons de faire grève demeurent importantes, à
commencer par l’amputation de l’accord Bino par son
gouvernement qui va priver dans 3 ans 30 000 salariés sur 70
000 bas-salaires des 200 euros durement acquis !

Mais
Nicolas a décrété que ces grèves sont
illégitimes puisqu’un
« 
large travail de consultation démocratique a été
engagé en accord avec vos élus, (...), [puisque] des
accords ont été conclus, que des mesures importantes
ont été prises et qu’un processus de travail
collectif a été engagé. »

Voilà encore
une confirmation, si besoin était, que les états
généraux n’ont jamais été qu’un
écran de fumée pour esquiver les vraies demandes
formulées par la population.

Cette
remise en cause des grèves en Guadeloupe par un président
qui non seulement se permet de juger de leur bienfondé sans
même avoir pris le temps de rencontrer les salariés mais
qui clame haut et fort qu’il ne les acceptera pas, fait là
encore peser une menace sur nos libertés fondamentales. Il
faut surtout le comprendre comme un avertissement si le LKP était
tenté de relancer un mouvement de grève en septembre,
considérant que l’Etat, les élus et les patrons
ont failli en ne tenant pas leurs engagements vis-à-vis des
Guadeloupéens.




Pour Nicolas Sarkozy, le LKP est un mouvement fermé sur
lui-même

« A
force de rendre l’ « Autre » toujours responsable
de tous les maux, la méfiance et le ressentiment se sont
installés un peu partout. Cet « Autre » si commode
à désigner comme bouc-émissaire : le voisin, le
patron, le Français de l’Hexagone, l’élu,
le représentant de l’Etat, l’immigré... »

Ecouter Nicolas Sarkozy,
qui a créé le ministère de l’intégration
et de l’identité nationale, dénoncer le fait que
l’immigré soit un bouc-émissaire, à côté
qui plus est de Brice Hortefeux qui a fait le voyage avec lui, ne
manque vraiment pas de sel ! Surtout quand on sait qu’à
plusieurs reprises, le LKP, lui, a manifesté son soutien
envers les immigrés haïtiens en particulier et leurs
voisins de la Caraïbe en général. Je me souviens
de cette minute de silence observée par les 48 membres du LKP
en hommage à un jeune travailleur haïtien sans papier tué
dans un accident du travail sur une bananeraie de la Basse-Terre, un
moment fort. Je me souviens de cette rencontre de Lyannaj avec les
ressortissants haïtiens organisée par Travayé è
peyizan, importante organisation membre du LKP.



Nicolas
Sarkozy qui n’a par ailleurs de cesse de jouer sur les
divisions des Français et de monter une catégorie
contre l’autre, désignant par exemple les régimes
spéciaux, ou encore les fonctionnaires comme source des
problèmes de la nation n’est évidemment guère
crédible lorsqu’il dit condamner la division et le rejet
de l’Autre. Néanmoins, contrairement aux points
précédents, celui-là n’est pas tout à
fait dénué de fondements puisqu’une partie de la
population qui a appuyé le LKP n’a pas fait le travail
sur soi qui s’imposait. On le voit par exemple, chez des gens
qui sitôt Carrefour réouvert se sont précipités
dans les rayons du plus gros profiteur des Antilles. On le voit
également chez certains qui ce sont arrêtés à
la superficie du discours du LKP et n’ont pas pris conscience
que c’était un système qu’il s’agissait
d’abattre et non telle ou telle catégorie de personne
qui était en cause.



Il faut
donc poursuivre le vaste travail de conscientisation commencé
par le LKP pour que l’idée noble, ouverte et généreuse
qui nous a animés pendant les 44 jours ne deviennent pas ce
que Sarkozy dénonce : un repli sur soi. Rappelons au passage
que l’acte fondateur du LKP a été précisément
de réunir au-delà des différences et des
divergences des groupes aussi distincts que Nonm, mouvement
indépendantiste très radical, en passant par la CGTG ou
les Verts, les groupes carnavalesques jusqu’à la CFTC
 !!! C’est cette ouverture et cette acceptation des différences
que le mouvement social dans l’hexagone nous envie énormément
et qui a fait la force du LKP, ne l’oublions pas.



5° Concernant le langage

On a beaucoup glosé
pendant les 44 jours sur le "yo " de « la Gwadloup sé
pa ta yo », forme impersonnelle pour désigner
l’adversaire (la guadeloupe n’est pas à "eux")
 ; il y aurait toute une analyse à faire de la façon
dont à son tour Sarkozy désigne le LKP : "on",
"eux", "ceux"
, etc.



D’autre part, toujours sur
le langage, l’usage abusif de la première personne du
singulier chez Sarkozy, notamment lorsqu’il martèle à
plusieurs reprises :
« 
je n’accepterai pas que... »

participe de l’hyperpersonnalisation de la politique et surtout
du conflit ce à quoi Sarkozy est hélas coutumier. Cela
semble flatter son égo que de montrer des velléités
d’en découdre personnellement, allant quelque fois
jusqu’à s’oublier comme lorsque, bien à
l’abri derrière ces gardes du corps, il répondait
sur le même ton à un marin-pêcheur de Guilvenec
qui venait de l’insulter :
"C’est
toi qui a dit ça ? Ben descends un peu le dire ! Descends si
t’as ...
"
Enfin, on a le président qu’on mérite...



(1)
http://www.caribcreole1.com

(2) A
ce sujet lire :
http://www.pour-politis.org/spip.php?article402







3ème
partie : LES MESURES PROPOSEES




Le RSTA

Nicolas
Sarkozy commence par se féliciter pour trois mesures qui ont
déjà été prises dont, de loin la plus
importante est la
« mise en place
du RSTA pour les plus modestes »
. Le RSTA, Revenu
Supplémentaire Temporaire d’Activité est le
montage aux Antilles qui, tout en remplaçant le RSA de
métropole, va permettre le versement par l’Etat des 100
euros auxquels il s’est engagé pendant 3 ans pour les
bas-salaires. A la différence du RSA, le RSTA ne tient pas
compte de la situation familiale. Par contre, le mode de calcul
savant des ayant-droits est en train de créer de grosses
frustrations chez bon nombre de salariés qui pensaient rentrer
dans le cadre de l’accord Bino. Quant au "T" de
temporaire, il va prendre tout son sens dans 3 ans pour les 30 000
salariés concernés par la seule extension de l’accord
et qui reviendront à la case départ, le patronat
n’ayant pas à assurer la pérennisation des 200
euros...



2° La LODEOM

Autre grande solution
apportée par l’Etat, la LOEDOM, LOi pour le
Développement Economique des Outre-Mers, adoptée le 13
mai dernier et qui se veut « une loi qui
affirme la capacité des territoires d’outre-mer, et donc
de la Guadeloupe, à générer leurs propres
emplois, à créer leurs propres richesses, à
prendre en charge leur destin. »
La mesure phare qui
doit selon le président permettre ça, c’est « 
la création de zones franches globales d’activités
 »
. Encore un cadeau fait au patronat en réalité,
dans la veine de la défiscalisation qui n’a jamais
profité à la population. Cette solution, éminemment
néolibérale n’est en aucune façon une
réponse aux attentes que les Guadeloupéens ont très
majoritairement exprimées pendant les 44 jours de grève
générale. D’ailleurs Sarkozy lui-même
rappelle qu’il s’agissait d’une de ses promesses de
campagne.



Toujours dans le
cadre de cette loi, « l’aide aux
intrants et aux extrants pour compenser les coûts de transport
des matières premières avec l’Union européenne
et favoriser la production et la transformation de produits locaux »

pourrait par contre avoir une certaine utilité.




Le développement endogène

« 
Les Etats Généraux démontrent que les Antillais
veulent pouvoir vivre des fruits de leur travail, de la production de
leur terre et de la valorisation de leur environnement. »
Il
se réfère aux états généraux mais
se garde bien de dire que la question du développement
endogène est un des chevaux de bataille du LKP, mais après
tout peu importe : le simple fait que le président de la
république française évoque ouvertement cette
question au sujet de la Guadeloupe est en soi une révolution
dont il y a lieu de se réjouir. Depuis Colbert, l’économie
des Antilles a toujours été pensée en fonction
des intérêts de sa métropole, jamais pour son
développement propre. C’est ce que le LKP désignait
dans le préambule de l’accord Bino comme « 
économie de plantation ». C’est donc un tabou qui
a été brisé. Ceci étant dit, les mesures
qu’il propose, à savoir que les producteurs se
regroupent pour mieux faire valoir leur droit auprès des
distributeurs et qu’un label soit créé risquent
d’être bien légères. Pour Alain Plaisir,
membre du LKP et auteur de "A la conquête du marché
intérieur" un ouvrage paru avant le soulèvement du
LKP et qui évoquait déjà ces questions,
pour
mettre en œuvre ce programme, il faudrait s’attaquer aux
importateurs, qui sont les plus grands profiteurs.





Alain Plaisir (photo FG)



Dans son discours,
Nicolas Sarkozy s’étonnait : « 
Qui peut comprendre que malgré ses centaines de kilomètres
de côtes, 50% du poisson consommé aux Antilles soit
importé d’Amérique du Sud ou d’Asie ? Qui
peut comprendre que les Antilles ne produisent que 24% de leur
consommation de fruits ? »
Interrogé par Chien
Créole, Alain Plaisir réagit à ces propos :
« Qui importe ces poissons,
ouassous, légumes et fruits si ce ne sont les békés
qui contrôlent totalement l’import ?
Des filières
entières de la production locale ont ainsi été
laminées. C’est le cas de l’igname, c’est le cas des fruits et
bientôt du poisson. Sarkozy feint d’ignorer que nous sommes
dans une société libérale capitaliste, avec des
capitalistes dont le souci n’est pas le développement
économique, mais le profit. Qui osera s’attaquer aux profits
de ces capitalistes ? D’ailleurs le système libéral le
permet- il ? Pour un véritable changement économique,
il faut s’attaquer aux dogmes du libéralisme : loi du marché,
avantages comparatifs, libre-échange, etc. ».



Nicolas Sarkozy
évoquera aussi le potentiel de l’énergie
géothermique de la Guadeloupe qui ne produit pourtant que 15
megawatt contre « 150 mégawatt d’une énergie
à la fois plus polluante et plus chère pour les
centrales au diesel » Pas encore une mesure, mais une piste pas
inintéressante à explorer.




La question statutaire

La veille de sa
visite éclair en Guadeloupe, Sarkozy annonçait
l’organisation d’un référendum dans l’île
sœur pour que les Martiniquais décident s’ils
veulent ou non s’acheminer vers un statut d’autonomie. En
Guadeloupe, les élus lui ont demandé un délai de
18 mois de réflexion pour proposer ce qu’on sait déjà
être la même chose. Du moins cela leur donnera-t’il
l’opportunité d’apparaître comme étant
à l’initiative de cette démarche et selon eux, de
regagner au passage un peu en crédibilité. Gérer
le calendrier, c’est déjà gérer quelque
chose ! Le président d’ailleurs pas ménagé
ses compliments à l’égard de Lurel en
particulier, qu’il a d’ailleurs chaleureusement appelé
Victorin à plusieurs reprises pour le plus grand bonheur de ce
dernier.



Nicolas Sarkozy, reçu
en grande pompe par Victorin Lurel, président de région
à gauche (enfin, sur la photo au moins) et Jacques Gillot
(président du conseil genéral, à droite (photo
Dominique Chomereau - Lamotte, source :
http://www.guadeloupe.franceantilles.fr/)



Au-delà de
leurs différences partisanes (Lurel comme Gillot est
socialiste), on voit qu’il est important aux yeux de Sarkozy de
restaurer l’autorité des élus locaux, ne
serait-ce que pour contrecarrer l’ascendant du LKP sur la
population. Parlant des résultats des états généraux,
il évoque un nouveau projet de société, un « 
projet, dont les élus
du peuple doivent être les maîtres d’œuvre,
avec les acteurs économiques et sociaux (...) »



Pour en revenir à
l’autonomie de la Guadeloupe, Nicolas Sarkozy a réaffirmé
avec force son attachement à cette solution : « 
J ’ai toujours eu l’intime conviction que les
collectivités d’outre-mer ne pouvaient pas être
gérées comme celles de métropole. A ceux qui
souhaitent que leur territoire dispose de davantage d’autonomie,
ma réponse n’a jamais varié. Je suis ouvert à
toute demande d’évolution qui serait formulée par
vos élus, pourvu que celle-ci soit au service d’un
projet dans l’intérêt de tous les Guadeloupéens
 ».
Nul doute que cette autonomie
aille dans le sens de l’histoire et soit la seule à
pouvoir éventuellement donner le cadre nécessaire au
développement endogène de l’archipel. Reste
maintenant à convaincre les électeurs que les élus
qui verraient leurs pouvoirs accrus seront capables d’en faire
un meilleur usage que ce qu’ils ont toujours fait... Le manque
de confiance, globalement mérité, même si
heureusement il y a des exceptions, envers la classe politique locale
était déjà sans aucun doute l’un des
principaux motifs de l’échec du référendum
de 2003 sur cette même question...



A
cela, il ajoute :
« sil
doit y avoir évolution institutionnelle – ce qui sera
avant tout votre choix –, cette évolution devra se faire
dans ce cadre constitutionnel qui scelle notre pacte républicain.
La question de l’indépendance n’est donc pas à
l’ordre du jour. La Guadeloupe est française et le
restera. »
Fanfaronnade gratuite :
pourquoi apporter cette précision, alors que le LKP n’a
jamais demandé l’indépendance, si ce n’est
justement pour semer la confusion dans les esprits et prêter au
LKP des intentions qui ne sont les siennes (voir article ci-dessous)
 ?



Et
puis enfin pour ce qui concerne la question statutaire, Nicolas
Sarkozy s’est bien sûr prononcé en faveur d
« 
une collectivité unique regroupant conseils régional et
général ».
De même
qu’on peut trouver une similitude entre le souhait de
l’autonomie des DOM et la décentralisation entreprise
dans les régions de l’hexagone, la question de la
collectivité unique n’est pas une préoccupation
spécifiquement antillaise pour le gouvernement. La suppression
pure et simple à terme des départements fait partie de
ses desseins pour la France entière et les Antilles se prêtent
parfaitement pour commencer puisque région et département
se confondent ici en un seul territoire !




Renforcer le rôle de l’état

Nicolas
Sarkozy fait l’aveu à demi-mots des carences de l’Etat
en Guadeloupe, trop jacobin d’un côté et laxiste,
vis-à-vis des monopoles notamment, de l’autre
« 
pourquoi ne pas imaginer un Etat déconcentré qui soit
davantage à l’image de la population locale ? Un Etat
plus ferme sur le respect des règles du jeu économiques
et sociales, et notamment des règles de la concurrence. »

On peut néanmoins douter de sa bonne volonté sur ce
point quand toutes ses actions passées démontrent que
lui et ses amis politiques n’ont eu de cesse de déréguler
le marché, dans la plus pure tradition néolibérale.




L’éducation

En fin de compte, si
on doit retenir une chose positive dans le discours de Sarkozy, une
chose qui ne s’arrête pas aux bonnes intentions, c’est
son annonce concernant les grandes écoles : « 
Ici comme ailleurs, on doit avoir des exigences, viser l’excellence,
faire émerger ses propres techniciens, ses propres cadres.
C’est pourquoi j’ai demandé à l’Université
des Antilles-Guyane de se rapprocher, dans le cadre des Etats
Généraux,
[NDLR : on se
demande bien ce que les états-généraux ont à
voir là dedans]
des
Grandes Ecoles de notre pays, notamment les Ecoles de commerce et
celles d’ingénieur, pour envisager des partenariats
renforcés et des formations communes. Je veux saluer L’Ecole
des Hautes Etudes Commerciales — HEC — qui s’est
immédiatement portée volontaire et qui, très
prochainement, commencera à former, avec l’UAG, des
cadres de haut niveau à la gestion d’entreprise et au
management, ici en Guadeloupe. Je suivrai personnellement ce dossier
pour que d’autres Ecoles s’engagent sur ce chemin. Nous
devons faire de la Guadeloupe un pôle de formation de haut
niveau qui rayonne dans la Caraïbe et au-delà ! »



Voilà
une proposition concrète qui répond vraiment aux
attentes des Guadeloupéens. Reste à espérer
maintenant que des mesures seront prises contre les discriminations à
l’embauche dont souffrent les jeunes Antillais diplômés,
que ce soit dans l’hexagone ou chez eux. Cette excellente
initiative ne portera ses fruits que si on donne un petit coup de
pouce à ces jeunes, par rapport à d’autres qui
postuleraient depuis Paris par exemple, à compétence
égale. Sinon, à quoi bon pousser les jeunes à
s’investir dans le développement de leur archipel ?



En revanche, en
dehors de la formation des élites, qui constitue je le redis
une très bonne chose, aucune mesure sérieuse n’a
été annoncée concernant l’éducation
plus classique. Le bilan dressé par le président est
pourtant alarmant : « le taux de chômage
des 15-24 ans est de 55% en Guadeloupe, c’est le plus élevé
d’Europe ! 33% des 25-34 ans sortent du système scolaire
sans le moindre diplôme en Guadeloupe ! C’est
inacceptable. »
Je ne pense pas
que ceux-là feront HEC... Et seule solution mise en avant :
l’armée ! Et oui Nicolas Sarkozy s’enorgueillit du
fait que le RSMA, Régiment du Service Militaire Adapté
connaisse
« des taux d’insertion
remarquables des publics difficiles, de l’ordre de 80% »
.
Il y aurait peut-être quelque chose à faire avant
d’arriver à ces 33%, dont je ne sais quel pourcentage
échouera au RSMA , mais ça n’est pas évident
quand la Guadeloupe n’échappe pas à la logique de
l’hexagone qui voit encore pour la rentrée prochaine 11
200 postes sacrifiés... Mais il n’y a pas lieu de
s’affoler, Nicolas nous rassure, en Guadeloupe, on peut compter
sur l’armée !



FRédéric
Gircour
(trikess2002@yahoo.fr)


http://www.chien-creole.blogspot.com/

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