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Après une forte hausse en 2003, le nombre d’expulsions locatives semble avoir baissé en 2004

Publie le mardi 2 novembre 2004 par Open-Publishing
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de Bertrand Bissuel

Les organismes d’HLM ont appliqué le "moratoire Borloo" et suspendu les procédures contre 4 512 locataires s’engageant à reprendre le paiement du loyer.

La trêve hivernale a débuté lundi

Le phénomène allait crescendo depuis plusieurs années. Et il a encore pris de l’ampleur. Près de 10 000 familles ont été expulsées, en 2003, de leur logement par les forces de l’ordre - le plus souvent parce qu’elles ne réglaient pas leur loyer. Alors que la "trêve hivernale" s’est ouverte, lundi 1er novembre - donnant un répit d’au moins quatre mois et demi aux ménages visés par un jugement d’expulsion -, les statistiques officielles mettent en exergue la hausse impressionnante des interventions policières pour déloger des locataires déchus de leurs droits. Depuis 1997, le nombre d’expulsions effectuées manu militari a, en effet, plus que doublé (+ 104,4 %). Entre 2002 et 2003, il s’est accru de près de 29 %, soit la progression la plus forte des six dernières années. Toutefois, la tendance semble s’être inversée en 2004.

Ces évolutions sont délicates à interpréter, compte tenu de la multitude de paramètres qui peuvent jouer. Elles reflètent tout d’abord une dégradation de la situation de certains ménages, dans un contexte de flambée des loyers - même si la hausse semble s’être ralentie, notamment en Ile-de-France (+ 3,8 % dans le parc privé en 2003, contre + 4,9 % un an plus tôt).

Les bailleurs sont également devenus plus vigilants et nombre d’entre eux saisissent les tribunaux avec une célérité accrue. Un tel phénomène tient, en partie, au fait que les "propriétaires personnes physiques" sont de plus en plus nombreux à souscrire des assurances contre les incidents de paiement. Or, pour bénéficier de ces mécanismes de protection, le bailleur doit engager une procédure sans délai ; faute de quoi, il risque de ne pas être indemnisé. Cette radicalisation découle aussi de la loi de 1998 sur la lutte contre les exclusions : en instaurant de nouvelles règles protectrices au profit des locataires en difficulté, elle a "braqué" un certain nombre de propriétaires.

La pénurie de logements locatifs pèse également : "Si le marché est tendu, un bailleur du secteur privé sera plutôt enclin à se montrer inflexible dans la procédure, car il sait qu’il pourra pratiquer des niveaux de loyers plus élevés, une fois que son locataire aura été expulsé", explique Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé Pierre. Certains propriétaires, pressés de se débarrasser de leur locataire défaillant, en viennent à refuser l’intervention du fonds de solidarité logement (FSL), alors que cela permet de résorber les dettes locatives.

LOCATAIRES DE "BONNE FOI"

Enfin, jusqu’à une date récente, les services de l’Etat ont autorisé, plus fréquemment qu’avant, le concours de la force publique, notamment pour ne plus avoir à dédommager des propriétaires qui n’avaient pas obtenu l’exécution d’un jugement d’expulsion. En Seine-Saint-Denis, cette ligne de conduite a eu un impact spectaculaire : les expulsions réalisées manu militari ont augmenté de près de 85 % entre 2002 et 2003, d’après les statistiques de la direction régionale de l’équipement.

Mais cette inflation de procédures semble avoir été jugulée depuis quelques mois, grâce au "moratoire Borloo". Le 13 mai, le ministre de la cohésion sociale a demandé que les expulsions soient suspendues dans le monde des HLM, pour tous les locataires de "bonne foi" qui acceptent de reprendre le paiement du loyer et de rembourser leurs dettes. En échange, l’Etat a promis de leur rétablir l’aide personnelle au logement (APL) - qui, en principe, cesse d’être versée après un certain nombre de mois d’impayés.

Ces engagements réciproques font l’objet d’un protocole, paraphé par le locataire, l’organisme d’HLM et le préfet. A la mi-octobre, 4 512 accords de ce type avaient été signés dans 81 départements, selon la Direction générale à l’urbanisme, à l’habitat et à la construction.

A Paris, de telles mesures n’ont pas été décisives. "La très grande majorité des bailleurs sociaux respectaient déjà l’esprit du protocole avant la lettre", indique Olivier Filliette, responsable de la sous-direction à l’habitat de la préfecture. Il n’empêche : dans certains départements, l’initiative de Jean-Louis Borloo semble avoir produit ses effets - même si l’on manque encore de recul, du fait de l’absence de statistiques nationales définitives pour l’année 2004. Dans l’arrondissement de Bobigny (Seine-Saint-Denis), par exemple, dix familles ont été évincées par les forces de l’ordre de leur habitation en octobre, contre 99 en 2003 durant le même mois, affirme Jean-Philippe Setbon, sous-préfet chargé de la politique de la ville. Dans les Hauts-de-Seine, la baisse des expulsions atteint près de 58 % entre 2003 et 2004, selon des chiffres de la préfecture cités par Le Parisien du 29 octobre.

Mais les "protocoles Borloo" ne constituent pas une solution miracle. "Leur portée est limitée, car ils ne s’appliquent qu’au parc social et concernent les ménages qui sont en mesure de régler leur loyer", commente Joaquim Soares, de l’Espace solidarité habitat à Paris. Certains accords, signés il y a environ deux mois, ne sont déjà plus respectés par les locataires, indique Anne-Marie Fekete, de l’OPAC du Val-de-Marne. Bien des ménages n’arrivent pas à faire face à leur loyer, même si celui-ci est largement couvert par l’APL.

Il arrive aussi que des locataires en HLM soient expulsés de leur appartement, à cause d’une dette locative jugée trop importante ou parce que leur bailleur invoquait des "troubles de jouissance". Et les expulsions de squatteurs semblent avoir augmenté, surtout en Seine-Saint-Denis, d’après Edwige Le Net, de Droit au logement (DAL).

Enfin, le "dispositif Borloo" porte uniquement sur les contentieux locatifs provoqués par des impayés de loyers. Les expulsions liées à un congé-vente n’entrent pas dans le cadre des protocoles mis au point au printemps. Or celles-ci connaissent une très nette "recrudescence" à Paris, observe Judith Skira, du Comité action logement.

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3226,36-385464,0.html

Messages

  • La plupart des expulsions locatives se font sans le concours de la force publique : plus de 9 sur 10.

    Pour le vérifier, on peut rapprocher les chiffres de "jugements d’expulsion" prononcés, en augmentation vertigineuse !

    Le plan Borloo ne protège très relativement que les personnes solvables, et ne fait que rétablir une mesure courante (continuer à verser l’APL en cas de dette de loyer) pratiquée jusque 2001 (avant, il était même possible de "négocier" le reversement rétroactif de l’APL, même après un jugement d’expulsion). Il accentue de fait la précarisation, en introduisant la notion de "bonne foi", valeur morale de la bourgeoisie pour justifier l’expulsion des plus fragiles.

    De plus, le gouvernement a modifié les règles de versement de l’APL, excluant 75.000 familles (le seuil de versement passe de 15 euros à 24 euros, et 90.000 familles de plus par la modification des barêmes de ressource.

    Ajoutons que l’APL augmente beucoup moins vite que les loyers (même HLM)

    C’est infect, c’est une guerre aux pauvres !

    Patrice Bardet, membre fondateur du Comité Anti-Expulsion de Villeneuve d’Ascq