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Article à l’Ecole Emancipée du décembre 2003 (revue syndicale des enseignants)

Publie le vendredi 27 février 2004 par Open-Publishing

Procès du « 17 Novembre »

Revanche contre la résistance et politique sécuritaire

1973 fut une année sombre. Le 11 septembre, les armées du général Pinochet prenaient d’assaut le palais de la Moneda à Santiago. Le 17 novembre, les chars des colonels grecs écrasaient la mobilisation des étudiants de l’école Polytechnique d’Athènes. Ce massacre allait affermir la résistance et provoquer la chute de la dictature l’année suivante. Le groupe « 17 Novembre » a poursuivi une lutte armée jusqu’en juin 2002. Son procès, commencé le 3 mars à Athènes, s’est achevé le 24 novembre. Le verdict doit tomber le 8 décembre, après 162 séances d’un tribunal installé au sein même de la prison de Korydallos, dans la banlieue athénienne. En toile de fond, juridiction d’exception, déchaînement médiatique et politique sécuritaire…

Quand la dictature des colonels est tombée en 1974, son appareil paramilitaire ne fut pas démantelé. La situation restait particulièrement instable. Au point que les nouveaux ministres ont évité, pendant presque une année, de dormir chez eux… Une tentative de coup d’état militaire fut évitée. C’est dans ce contexte qu’un groupe prend le nom symbolique de « 17 Novembre » (17 N) pour continuer la lutte armée. Sa première cible est, en 1975, le chef de l’antenne athénienne de la CIA. Il commence par s’attaquer à des personnages impliqués dans les basses oeuvres de la junte des colonels. Ce qui explique sa popularité, les premières années. Dans les textes qui ont ponctué durant 27 ans ses 23 attentats et ses nombreuses actions spectaculaires, il a continué à se revendiquer d’une « transformation de la société pour établir un socialisme non bureaucratique ». Mais ce groupe s’est progressivement isolé, enfoncé dans une impasse. Le caractère substitutif de ses actions, politiquement inassumables, les années de clandestinité, l’ont condamné à une fuite en avant sans perspectives.

Une instruction qui bafoue les droits

Tout bascule le 29 juin 2002 sur le port du Pirée. Savas Xiros, peintre d’icônes de son état, veut placer une bombe dans les locaux d’une compagnie maritime responsable du naufrage du « Samina Express », un an plus tôt près de Paros (70 morts), afin de dénoncer l’impunité dont jouissent les armateurs grecs. Sa bombe explose dans ses mains…
Le gouvernement grec pense mener rondement - après le 11 septembre 2001 et avant les jeux olympiques de 2004 - un procès en terrorisme. Il peut compter sur les services secrets anglais, américains, français qui collaborent depuis qu’un officier britannique a été abattu, en 2000 à Athènes, en lien avec la guerre dans les Balkans.
Savas Xiros est « interrogé » pendant plus d’un mois à l’hôpital. Entre la vie et la mort, sous l’emprise des narcotiques, privé de tout contact avec l’extérieur, aveugle et presque sourd, il est contraint de signer une déposition préparée tout exprès pour permettre d’arrêter qui l’on veut.
Les arrestations se succèdent et les détenus sont placés dans les conditions de non-droit permises par la nouvelle loi anti-terroriste votée pour la circonstance : isolement complet ; gardes à vue prolongées bien au delà de toute limite légale ; pressions musclées durant l’enquête préliminaire, allant jusqu’à la torture de certains accusés, selon leurs déclarations ultérieures ; dossiers non communiqués aux avocats ; entraves aux droits de la défense ; appel à des « témoins repentis », suivant le triste exemple de la justice italienne ; détention, et ce des mois durant, dans des conditions misérables, sans possibilité de communiquer librement avec les avocats ou les familles.
Dans ces conditions extrêmes, certains détenus cèdent et signent des dépositions toutes prêtes, conformes au scénario concocté.
Les droits des détenus sont violés sans que quiconque, ou presque, n’ose élever la moindre protestation pendant tout l’été et l’automne 2002. C’est que, parallèlement, une campagne médiatique s’est déchaînée, appelant à la délation, déversant son lot quotidien de calomnies, étalant la vie privé de ceux que l’on présente, sans aucun fondement, comme impliqués dans le 17 N...
La procédure d’enquête a ainsi violé toutes les règles du droit, dans le but de construire l’acte d’accusation du « groupe terroriste 17 Novembre » tel que les services secrets peuvent l’imaginer.

Solder son compte à la résistance

La loi anti-terroriste a porté la prescription de 10 à 20 ans : tous les actes attribués au 17 N de 1982 à l’explosion du Pirée sont placés sous le coup de cette loi (près d’un millier de crimes et délits). L’application de cette loi viole le principe juridique de non-rétroactivité : des faits datant de plus de 10 ans sont jugés alors qu’antérieurement, ils n’auraient pu l’être sous le coup de la loi régulière.
Le tribunal d’exception, formé dans le cadre de cette nouvelle loi, refuse de qualifier de crimes politiques les actes incriminés. Et devant le manque d’éléments à charge, il inclura dans les pièces du procès les dépositions obtenues lors de l’enquête préliminaire, dans les conditions que l’on sait.
L’acte d’accusation couvre des milliers de pages et concerne dix-neuf accusés. Il fut bâclé en un temps record, afin que ce dossier soit clos avant l’échéance de 2004. Il fallait trouver des responsables moraux à cette affaire, des idéologues à ce groupe vieux de 27 ans. Le gouvernement socialiste de Simitis est allé chercher d’anciens résistants contre la junte : Iannis Sérifis, Théologos Psaradellis, Alexandre Yotopoulos furent arrêtés au début de l’été 2002… et ne cessent depuis de crier leur innocence. Les services secrets, dont la très active CIA pendant la dictature, a de vieux compte à régler avec la résistance, en particulier avec Alexandre Yotopoulos que l’accusation présente « naturellement » dans le rôle du chef. Alors que Dimitris Koufondinas s’est livré de lui même à la sûreté : après les « aveux » de Xiros, il s’est octroyé un peu de repos sur une plage d’une île proche d’Athènes avant de rejoindre le port du Pirée et de prendre simplement un taxi jusqu’au commissariat. Il revendique depuis les actions du groupe « 17 Novembre ».

Une accusation qui s’effondre

Le déroulement du procès a fait exploser ce scénario trop bien préparé. Dès les premiers témoins à charge les fabrications et les contradictions s’accumulent dans le ciel de l’accusation. Les faux témoins et les mythomanes se succèdent jour après jour. Plusieurs éléments de preuves apparaissent manifestement truqués. La crédibilité et la cohérence du dossier d’accusation se retrouvent démontées. Le public est gagné par le doute. Certains journaux commencent enfin à laisser une place à la critique de cette mascarade. Le caractère politique du procès s’impose, malgré la volonté des juges. Les pressions américaine et britannique apparaissent manifestes : on a mis en scène une histoire qui n’a souvent que peu de rapports avec celle du groupe « 17 Novembre » et encore moins avec celle des inculpés.
Le réveil critique d’une partie de l’opinion publique s’est confirmé avec le défilé des témoins de la défense, en juin et juillet. Quand Koufondinas soutient en août son « apologie », quarante-cinq minutes pour défendre et justifier le combat de son organisation, il est applaudi par le public présent. Son discours est intégralement publié dans les journaux et rencontre une certaine sympathie. Un sondage effectué en octobre indique que la moitié de la population ne fait pas confiance à la procédure, même si une grande majorité continue, sous la pression constante des grands médias, à croire en la culpabilité de la plupart des accusés.

Une juridiction d’exception

Pour ce procès, la Grèce a innové : point besoin de jurés pour un jugement décidé à l’avance. Il suffit de trois juges et deux procureurs dans une salle d’audience installée dans la prison de Korydallos, à l’ombre des miradors. Le carré des inculpés entouré par une double rangée d’hommes en armes, braquées dans leur direction et vers le public. Au delà du décor, ce sont les libertés, l’état de droit qui sont ainsi mis à mal.

Des législations dites anti-terroristes, similaires à celle qui vient d’être appliquée en Grèce, ont récemment été adoptées dans la plupart des pays d’Europe pour mettre en oeuvre une directive des ministres européens qui vise à « réglementer les restrictions aux droits de l’homme de manière proportionnée au résultat que l’on veut obtenir » (sic). Les citoyens, dans toute une série d’affaires, peuvent être soudain privés des droits dont ils disposaient jusqu’alors pour se défendre. Les parlements ont enregistré ce bouleversement sans broncher, au lendemain du 11 septembre 2001. Aucun recours institutionnel n’a bien entendu joué en faveur de la défense des droits et des libertés.

Les politiques sécuritaires jouent sur les peurs, entretenues par de permanents matraquages médiatiques. Elles voudraient en finir avec les droits qui protègent les citoyens, mettre hors la loi les luttes sociales, interdire la contestation de l’ordre libéral mondialisé qui s’installe en Europe et sur toute la planète. Du viol de la parole d’état qui a permis de livrer un réfugié politique, Paolo Persichetti, à la justice de Silvio Berlusconi, jusqu’au récent projet de loi qui renforce le pouvoir des parquets contre l’indépendance de la justice, le gouvernement Raffarin n’est pas en reste.

Dans cette Europe « orange mécanique », où le pouvoir se confond de plus en plus avec le contrôle totalitaire des moyens d’information, ces politiques sécuritaires trouvent un inquiétant prolongement dans la nouvelle constitution - VGE, le retour - qui entérine la perte de citoyenneté dont nous sommes les témoins et les victimes. Le suffrage universel est cantonné à l’élection de l’assemblée européenne, dont le rôle est encore réduit. L’alternative est dans une constituante des peuples d’Europe, qui donne toute la place aux citoyens que nous sommes, à la société et à la politique, pour élaborer une constitution qui marque un progrès et non une régression de l’état de droit. Si nous ne voulons pas d’un monde d’individus déresponsabilisés, assujettis, dominés par une oligarchie dont la cooptation est une affaire de combines et d’intérêts.

Daniel Meyer Jean Malifaud

Vous trouverez des nouvelles du procès sur le site http://www.anti-securitaire.org