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BUONGIORNO, NOTTE

Publie le samedi 28 février 2004 par Open-Publishing

Traduction

A l’occasion de la sortie du film "Buongiorno notte" à Paris, une critique de Enrico
Campofreda
(ndlr)

"La phrase la plus monstrueuse qui soit : quelqu’un est mort au bon moment" Elias
Canetti, Le territoire de l’homme

Un quart de siècle, presque en guise d’anniversaire. Enrico Bellocchio relit
un épisode symbolique de la vie politique de l’Italie contemporaine, l’enlèvement
et le meurtre d’Aldo Moro, d’un point de vue imagé. Par le finale où le président
du Parti-Etat se promène dans les rues de Rome au clair d’une aube improbable,
il propose une lecture rêvée. Par lui et par une partie du pays. Il y a volontairement
peu de chose, dans ce film, de l’entrelacement et de l’intrigue de ces événements - devenus
presque historiques vingt cinq ans après - qui concentrèrent les attentions,
les tensions, les débats, les conflits de tous les sujets impliqués, bien au-delà des
55 jours de la détention.

Les partis, tous, étant donné que le 16 mars 1978 on lançait l’expérimentation
de "solidarité nationale", une formule qui rassemblait la majorité et l’opposition
autour du programme du gouvernement présenté par le Premier Ministre, Giulio
Andreotti. Les personnalités, politiques ou non, mises en cause par celui qui
avait été enlevé. En grande partie, ses collègues de la Démocratie Chrétienne.
L’appareil répressif de l’Etat et son grand maître de cérémonie, le futur Président
de la République, Francesco Cossiga. Les groupes et les mouvements politiques
de l’extrême gauche qui considéraient les Brigades Rouges comme "des camarades
qui se trompent". Les BR elles-mêmes, avec leurs structures logistiques et militaires
et le cercle des sympathisants. Ils discutèrent, parlèrent, doutèrent tous. Ils
firent et ils ne firent pas.

Mais Bellocchio néglige cette réalité qui certes a existé et a été importante.
Il pointe son objectif sur une autre réalité : l’intérieur du repaire-prison,
situé, pour la petite histoire, la via Montalcini à Rome. Dans un immeuble bourgeois,
où l’on peut se camoufler mais où l’on risque de se faire découvrir par de banales
rencontres avec la voisine du dessus qui perd son drap sur la terrasse d’autrui.
Ce qui arrive à la brigadiste Braghetti (jouée par Maya Sansa) la seule femme
du groupe de geôliers. Le rapport entre la mission à accomplir des très motivés "révolutionnaires" et
l’expérience plus qu’avertie du politicien Moro - qui, dans les interrogatoires
officiels ou dans l’intimité épiée, ne laisse rien ou presque rien transparaître
de la tension et de l’angoisse qui le tenaillent - est tout en faveur du leader
démocrate-chrétien. Bellocchio l’imagine compassé, précis, professoral tel qu’il
apparaissait dans la vie publique et même calme, comme il n’était peut-être pas,
quand il est resté non écouté par ses collègues du Parlement qui se moquaient
de lui en parlant de ses délires épistolaires et de pro-brigadisme inconscient.

Moro, dans son trou, domine, face aux formules abstraites des proclamations brigadistes
qui se succèdent, un interrogatoire après l’autre, avec une méticulosité bureaucratique.
Les geôliers prônent des thèses mais ils ne trouvent que de maigres ou seulement
partielles vérifications dans les vérités du prisonnier. Et ils deviennent eux-mêmes
des prisonniers : du mythe de la Résistance trahie, d’un dogmatisme qui les auto-promeut
Parti Révolutionnaire, d’un choix plus militariste que politique qu’ils poursuivent
avec l’épilogue tragique de l’exécution. Moro est vu par le réalisateur au travers
d’yeux très humains. C’est une personne âgée (exceptionnelle, l’interprétation
qu’ en fait Roberto Herlitzka) qui peut être un père pour tout le monde, même
pour les jeunes adversaires qui le séquestrent et, au bout de journées et d’interrogatoires
tous pareils, se retrouvent presque dépaysés par sa figure encombrante et par
leur projet.

L’épique avec laquelle, dans un passage, Bellocchio rapproche certaines lettres
de Moro de celles des condamnés à mort de la Résistance constitue une sorte de
béatification de l’homme d’Etat. Et elle fait partie d’une certaine iconographie
de l’angélisme, chère à un réformisme dans lequel le réalisateur se reconnaît
probablement. Pour souligner l’angoisse ainsi que le dégoût d’un homme, ancien
puissant, resté seul, la citation d’un passage, parmi les plus dramatiques de
ceux écrits par l’homme d’Etat abandonné et renié par les hommes restant dans
les Palais du Pouvoir, aurait pu lui rendre un meilleur service. Ce passage se
trouve dans la lettre à sa femme Noretta, écrite fin avril 1978, qui n’a été publiée
que par certains journaux. "… Et Zaccagnini ? (Secrétaire de la Démocratie Chrétienne
de l’époque, NdT) Comment peut-il rester tranquillement à sa place ? Et Cossiga
(Ministre de l’Intérieur, puis Président de la République dans les années ’90,
NdT) qui n’a su imaginer aucune défense ? Mon sang retombera sur eux".

Réalisation : Marco Bellocchio
Scénario : Marco Bellocchio
Librement inspiré de : "Il prigioniero" de Anna Laura Braghetti
Directeur de la photographie : Pasquale Mari
Montage : Francesca Calvelli
Interprètes principaux : Roberto Herlitzka, Maya Sansa, Luigi Lo Cascio, Piergiorgio
Bellocchio, Paolo Briguglia
Production : Albatros, Rai Cinema
Origine : Italia, 2003
Durée : 105’
traduit de l’italien par Antonio

28.02.2004
Collectif Bellaciao