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Banlieues, un an après. Quelle réponse politique ?

Publie le mercredi 25 octobre 2006 par Open-Publishing

Banlieues, un an après. Quelle réponse politique ?
Je viens de rendre mon papier sur les banlieues pour Regards du mois de novembre. Vous pourrez le lire ci-dessous : j’espère que vous appréciez lcette primeur ! C’est juste pour vous allécher, vous donner très envie d’acheter tout le journal dès sa sortie en kiosque... Je serai demain à la marche des doléacnes d’AC le feu, qui part de Denfert-Rochereau à Paris à 14h. C’est très très important !
La nécessaire secousse politique

La révolte des banlieues doit provoquer un ébranlement de la façon de penser les inégalités et le changement social. Il y a un an, la France a été sidérée par l’embrasement. Trois semaines durant les jeunes ont exprimé leur immense souffrance, leur désespoir. Leur révolte était tellement globale qu’elle n’avait pas encore ses mots. Les formes de la contestation forgée par l’histoire n’étaient pas au rendez-vous : ni mot d’ordre, ni manif, ni délégation. Un cri, une violence, avec comme finalité celle d’exister, d’expirer. Ils vivent ! D’un coup a éclaté au grand jour une réalité insupportable et invisible aux médias, aux bourgeois, aux politiques. C’est ce réveil brutal qui fait mal, provoquant un ébranlement aussi profond que celui qui suivit mai 68. Ainsi donc, ici, l’exclusion territoriale, le racisme, le mépris, la pauvreté, la violence illégitime de l’État, la misère des services publics sont en France même le lot de véritables “ parias urbains ”.

L’absence de perspective est autant sociale, culturelle que politique. Les interpellations, les élus, les associations, les rapports de police : tous disent que ces jeunes ne sont pas loin s’en faut, tous des chômeurs, de petits délinquants, des exclus du système scolaire. Tous pourtant étouffent. Ce faisant, la révolte des jeunes des cités populaires relève moins que jamais de l’anecdote, du fait divers ou du traitement policier : elle oblige à penser de façon radicalement neuve l’avenir de notre société.

La domination et l’exploitation dont les jeunes sont l’objet débordent celles dont était victime la classe ouvrière du XX° siècle. L’enjeu de la répartition des richesses et celui de la possible émancipation se joue désormais aussi dans la différentiation des territoires. Le dénigrement de la culture, de l’histoire, des habitants et des bâtiments fait système. La langue, l’architecture, la musique, les croyances sont systématiquement moqués, montrés du doigt. À Neuilly, il est question d’investir 800 millions d’euros avec l’aide de l’État pour couvrir la route nationale 13, quand dans le même temps des millions de banlieusards souffrent du bruit dans leur logement. Dans les villes populaires, les investissements de transports, l’entretien des bâtiments, les aménagements et les équipements publics attendent faute d’argent.

Le racisme quotidien devient lui aussi chaque jour plus évident. La domination de classe a ses couleurs : du brun au noir. La condition d’immigré se transmet de père en fils, de mère en fille, de génération en génération. On ne sait plus les compter. S’il fallait un témoignage du besoin de reconnaissance et de respect, de la recherche d’un avenir, on le trouverait dans l’incroyable succès du film Indigènes. Plus de deux millions de spectateurs ont découvert ces moments qui redonnent leur place aux immigrés dans l’histoire nationale. Le très populaire comédien Djamel Debouze disait récemment à ce propos : “Nos arrière-grands-pères ont libéré la France, nos grands pères l’ont construite, nos pères l‘ont balayé. Nous allons la raconter ”. C’est désormais une impérieuse nécessité pour cesser d’être aliéné à soi-même, à son histoire. Pour cesser d’être de nulle part, une jeunesse des cités est en train de prendre en charge cette inscription dans le temps et l’espace.

Ce n’est certainement pas un hasard si Nicolas Sarkozy, président du conseil général des Hauts de Seine, département de fort contraste social, est en pointe dans la stratégie délibérée de la tension et de la provocation. C’est par expérience et par fonction qu’il est devenu le très emblématique chef de guerre des classes dominantes contre les quartiers populaires et leurs habitants. Et il n’est pas vrai de dire qu’il a échoué. Car le candidat-président de l’UMP, ministre d’État et ministre de l’intérieur ne vise pas le retour au calme. Il vise l’exacerbation des différences, l’incompréhension, la division entre les différentes catégories du peuple et entre les territoires. Si on voulait avoir une idée de son modèle, il faudrait se référer à la gestion sociale et urbaine des États-Unis où l’ordre sécuritaire maintient séparés les banlieues abandonnées et les îlots de richesse protégés par la police et l’argent.

Or, si Nicolas Sarkozy ne manque pas de cohérence en menant son combat, il n’est pas sûr qu’une même cohérence guide ceux qui entendent le combattre. Ce ne sont pas seulement les jeunes qui manquent de mots pour dire leur exclusion du projet collectif et du territoire national. Ils manquent singulièrement à la gauche dans toutes ses composantes, sociales et politiques. Les luttes antilibérales elles-mêmes - rejet de projet de constitution européenne aux luttes contre la privatisation de GDF ou contre le CPE - ont du mal à intégrer la révolte des banlieues. Significativement, la solidarité qui a accompagné les jeunes étudiants arrêtés plus a été plus bruyante que celle qui a dénoncé la répression des jeunes des cités. Malgré des ébauches de convergence entre les luttes de jeunes -cf Regards avril 2006 - la colère des “ quartiers ” reste dans l’isolement, peinant à raccorder son combat à tous les autres, à trouver un langage commun, des revendications et des lieux partagés. Corrigeons en fait le propos... Ce ne sont pas les révoltés des banlieues qui n’y parviennent pas : nous tous n’y parvenons pas. Et cela ne peut laisser indifférents les militants de la transformation sociale.

Nous ne pouvons plus repousser l’examen de nos difficultés à saisir les enjeux des quartiers populaires, à partager les révoltes de ses habitants -jeunes et moins jeunes. De ce travail qui remet en question concepts et hiérarchies dépendra l’adéquation de notre projet à notre société. Ainsi, cela fait des années que nous voulons nous opposer à l’exploitation et à la domination, à l’aliénation et aux discriminations. Mais, dans les faits, nous avons du mal à comprendre dans toute leur ampleur nouvelle les modalités contemporaines de la question sociale. Nous dénonçons l’inégale répartition des richesses, mais nous ne prenons pas assez la mesure de ce qu’elle passe aujourd’hui par l’inégalité des territoires. Nous luttons contre l’éclatement du salariat, mais nous ne savons pas comment organiser les nouveaux prolétaires. Nous voyons monter les discriminations, mais nous avons du mal à repenser sereinement notre République, son école et sa laïcité.

Un an a passé. Peu a été dit et moins encore a été fait. Sans forfanterie, il est notoire qu’en dehors du livre coédité par Regards et La Dispute en février 2006 et qui mêlait les réflexions de responsables politiques et de sociologues, il ne s’est publié aucun livre d’hommes politiques sur la révolte des banlieue. Il est prioritaire que les mois qui seront ceux du débat politique présidentiel et législatif nous permettent enfin d’articuler notre discours, nos pratiques à nos ambitions : penser, dans la France d’aujourd’hui et dans toutes leurs facettes, l’oppression et l’émancipation.

Clémentine Autain