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Bernard Thibault déclare la guerre à la CGT
Publie le lundi 7 février 2005 par Open-Publishing2 commentaires
de Vincent Présumey
L’intervention de B. Thibault devant le CCN de la CGT est un
discours très construit, nullement spontané comme certains
camarades de la CGT veulent le croire, qui pensent que Bernard
nous fait un "caca nerveux" et espèrent que les choses vont se
calmer. B. Thibault sait ce qu’il fait : il met le feu. Il met
le feu au syndicat, en toute conscience et délibérément, parce
que le syndicat vient de prendre une position non seulement
conforme à l’intérêt et à la volonté des salariés et des
syndiqués qu’il représente, mais une position qui contredit
toute son orientation politique, celle qu’il veut imposer au
syndicat.
Cette intervention est donc un modèle d’argumentation prêchant
la menace et instillant le poison de la division et de la
destruction du syndicat, le tout au nom de la démocratie.
C’est, dans sa catégorie un chef-d’oeuvre. Des décennies de
science du discours au nom des travailleurs, mais contre les
travailleurs, transparaissent dans ce petit joyau.
Le comble est atteint dans l’un des noeuds de l’argumentation
de B. Thibault, celui qui accuse les partisans du Non syndical
d’être, en fait - il le suggère sans le dire - les héritiers
du stalinisme. B. Thibault amalgame l’appel au vote Non à
l’appel à choisir tel ou tel député et utilise les consignes
de vote d’autrefois comme argument contre le Non syndical
aujourd’hui.
C’est un peu comme un pape qui dirait à ses opposants : "vous
êtes les héritiers de l’Inquisition" ! Ce procédé utilise un
fait réel : nombre de cadres de la CGT sont porteurs de
traditions dans lesquelles une certaine idéalisation du passé
(celui de la CGT et celui du PCF) se mêle aux traditions
d’indépendance de classe et de combativité du mouvement
ouvrier français. Mais si ce genre d’astuces a pu marcher un
certain temps, la violence de l’attaque de Bernard Thibault,
Jean-Christophe Le Duigou, Maryse Dumas, contre la CGT,
clarifie et démystifie les choses : ça ne prend plus !
En voyant Maryse Dumas, hier sur France 2, des milliers de
militants, de syndiqués, de travailleurs, ont ressenti le
mépris dont ils sont l’objet. Elle a expliqué qu’il est si
difficile de faire évoluer la CGT, de "changer de culture" !
La manière de parler de la base militante, la commisération et
même l’admiration de certains journalistes connus pour leur
libéralisme et leur "européisme" bien pensants, envers ces
nouveaux héros du jour que sont B. Thibault, M. Dumas et
autres, ces gens si intelligents qui ont tant de mal à faire
"évoluer" ces grognards, ces archéos, ces lourdauds, ces
prolos-gros-rouge-qui-tache, ces perdants, et à leur faire
comprendre la modernité, l’Europe et toutes ces sortes de
choses ... tout cela compose un tableau nouveau pour la
majorité des militants CGT qui découvrent, atterrés, qu’ils
ont une direction qui les prend pour des imbéciles, exactement
de la même manière qu’on parle des pauvres à Davos, de la même
manière qu’un commissaire européen daigne essayer d’expliquer
les belles choses complexes qu’il manie à ces abrutis
d’ouvriers, de paysans et autres manuels victimes de sa politique.
L’inconscient est présent dans ce discours pourtant si
structuré de B.Thibault. Dés le début l’inconscient parle :
"il y a un fossé qui se creuse" dit-il, et assène-t-il à
répétition. Il voudrait faire croire que ce fossé oppose ces
maudits militants pétris de lutte de classe et les citoyens
modernes qui selon lui ne veulent pas que la CGT ait une
position syndicale contre le projet de "constitution", il
voudrait faire croire à un fossé entre ces anciens, ces pelés,
ces galeux, et un salariat moderne qui manifestement n’existe
pourtant que dans son imagination. Il a en fait peu
d’imagination, le camarade Bernard : il ne fait là que
reprendre les antiennes de Maastricht, il y a 14 ans, quand
les médias déchaînés opposaient la France qui gagne et roule
en 4X4 à la France des gros cons et des beaufs qui perdent :
la France du Oui à la France du Non !
Mais en surfant sur ces représentations méprisantes, qui sont
des représentations de classe, celles des dominants envers les
dominés, des exploiteurs envers les exploités, M. Thibault
cesse d’être le camarade Bernard. Par milliers, les militants
ont reçu le choc : ils nous méprisent exactement comme Rocard
méprise les partisans du Non, exactement comme les eurocrates
méprisent les peuples, et c’est là qu’en effet, il y a un
fossé entre eux et nous.
C’est là le fait majeur de ces deux derniers jours. Premier
évènement : le CCN de la CGT prend une position syndicale
indépendante contre la direction de la CGT, battue par 74 voix
contre 37. Deuxième évènement (sans lequel les médias
n’auraient surtout pas parlé du premier) : la direction de la
CGT condamne la CGT, se cabre contre la CGT, menace la CGT.
Des milliers de militants qui pensaient que le Non syndical de
la CGT allait de soi et même que B. Thibault était avec eux
découvrent qu’il est contre eux, et avec quelle hargne ! Ces
militants sont ceux qui viennent de réaliser la grève du 20
janvier et qui préparent les manifestations de demain, du
samedi 5 février. Ce sont les mêmes. Ils se rappellent alors
des grèves de 2003 quand se discutait dans des assemblées
générales la nécessité d’un appel des confédérations à la
grève générale. Certains se rappellent même avoir remarqué
que, le 25 mai 2003, alors qu’il y avait deux millions de
manifestants, B. Thibault avait annoncé 600 000 et bloqué les
compteurs à ce niveau. Alors ils s’interrogent avec douleur :
pourquoi ?
A l’adresse de ces militants, l’argumentaire de B. Thibault
s’ancre dans l’histoire, répétons-le. D’une part, B. Thibault
utilise les mauvais souvenirs, ceux du stalinisme, pour
tenter, répétons-le, d’entacher ceux qui aujourd’hui
s’opposent à sa ligne de soumission politique du syndicat, de
les salir avec ce passé qui est pourtant le sien, celui de son
appareil à lui ; et il invoque en même temps, justement, la
discipline, la cohésion, envers ce passé. Invoquer la bonne
vieille discipline et en même temps accuser ceux qui ne la
respecteraient pas d’être les héritiers du passé autoritaire,
du grand art ! Ce passé, au demeurant, porte un nom dans ce
discours subliminal, celui de ... Louis Viannet : "Des
camarades estiment que la CGT devrait appeler à voter NON pour
ce traité puisque qu’elle a appelé à voter NON au référendum
sur Maastricht. J’ai même vu cités les propos de Louis
Viannet, prononcés en 92 et sortis de leur contexte, à l’appui
de cette démonstration. Sachez, au passage, qu’il n’apprécie
guère le procédé."
Le cordon ombilical avec le triste passé où la CGT donnait des
consignes de vote est donc à ce point étroit encore chez M.
Thibault que, durant un CCN, Louis Viannet lui envoie ses
messages ! Et c’est en se réclamant des pensées profondes du
même Louis Viannet que M. Thibault nous assène ensuite une
démonstration sur le monde qui n’est plus divisé en camps
depuis la chute du Mur du Berlin : du grand art, vraiment, du
grand art !
Car les camps soviétique et américain au nom desquels ses
dirigeants ont impuissanté, paralysé, le mouvement ouvrier
pendant des décennies, n’étaient pas la même chose que les
classes sociales en lutte, dans le monde entier : travailleurs
et capitalistes, les bureaucrates étant avec ces derniers
quelles que soient leurs petits conflits. Et c’est au nom de
ce rejet après coup, de ce rejet tardif, de l’alignement du
mouvement ouvrier sur un camp militaro-stratégique ou sur un
autre que M. Thibault dénonce aujourd’hui le Non syndical !
Les partisans du Non seraient-ils des agents du KGB ? ! Et
c’est l’héritier de Viannet, de Séguy, de Frachon et de
Montmousseau, choisi et sélectionné par ses pairs, entre
pairs, dans ce sérail, c’est lui qui vient nous raconter ces
fadaises ! Il faut le redire : on est en 2005 et le monde est
composé de classes sociales en luttes les unes contres les
autres !
Quelle imprudence, et quelle suffisance, tout de même,
d’invoquer ici la chute du Mur de Berlin pour s’élever, en
tant que Grand Dirigeant, contre un vote où l’on a été battu !
Le secrétaire général de la CGT battu - et magistralement -
dans un vote du CCN, la démocratie en marche, la vie syndicale
qui renaît : quel bienfait pour la CGT, et qu’il était temps !
Cet acharnement à se présenter ici comme le représentant de la
démocratie face à la vieillerie stalinienne, sans la nommer,
et en visant en fait la vieillerie que serait supposée être la
lutte des classes, est vital pour M. Thibault. C’est la
dernière ficelle de l’arc - tout du moins sur le plan de
l’argumentation. Le but de l’opération, qui n’a aucune
crédibilité vue de l’intérieur, mais qui est relayée par les
médias pour le pays, c’est de faire croire que l’évènement,
c’est que la CGT, quand elle se prononce contre une
"constitution" capitaliste et anti-démocratique, n’est pas
démocratique. Par contre quand on refuse la grève générale,
qu’on sauve Chirac, qu’on truque les chiffres de la
manifestation du 25 mai 2003, c’est démocratique !
Quand on isole boites par boites et qu’on accule au désespoir
les salariés en butte aux délocalisations, c’est démocratique
! B. Thibault proclame au monde qu’il y a un problème de
démocratie à la CGT. Nul n’en doute. Quand le Grand Chef
piétine ouvertement les décisions de l’instance la plus
représentative de la confédération, il y a en effet un problème.
Il a empêché - aidant ainsi F. Hollande face au PS - son
organisation de prendre position pendant un semestre entier au
nom d’un débat qu’il a pris soin de ne pas organiser. Là où il
y a eu débat le résultat est sans appel pour le vote Non, mais
cela il le dénigre maintenant en expliquant que ce sont les
militants "les plus branchés" qui ont manipulé les structures.
Et le ton de la menace, le ton du chef qui menace d’exclure,
transparaît sous chaque phrase du moderniste et dynamique
rénovateur. Sous la phrase "démocratique" le gros bâton est
visible.
Son discours est en effet un discours de menace. Menace contre
l’autonomie des fédérations et des UD et UL. Condamnation du
fait que des représentants soient mandatés à un CCN ! Menace
contre la tradition fédéraliste du syndicalisme et l’esprit
confédéral. Menace de casser la CGT. A plusieurs reprise il le
dit : la CGT est en péril, la CGT "n’y résistera pas". La CGT
ne résisterait pas à un appel syndical au vote Non. Thibault
le dit. Au mépris de la démocratie, au mépris du vote, il
clame, à l’instar d’un Hollande clamant qu’il ne saurait y
avoir de "Non socialiste" : "Il n’y aura pas de vote syndical,
mais des votes de citoyens".
Si, il y aura vote syndical ! Et c’est ainsi, par le vote du
mouvement social, le vote des luttes, le vote de l’unité
contre Chirac et les patrons, qu’on les battra ! Est-ce cela
que M. Thibault veut empêcher ?
M. Thibault a ici des idées pour le moins embrouillées quand à
ce que pense la base. Car il déclare n’avoir aucun doute sur
le fait qu’une majorité écrasante de syndiqués CGT sont pour
le vote Non ! Et cela ne l’empêche pas de gémir au nom des
"courageux" qui veulent voter Oui : retirer le droit à la
parole, retirer l’outil syndical, à ceux qui par le Non
syndical veulent battre cette constitution des patrons, cela
ça ne le gène pas ! Et il nous parle de démocratie ! Si ce
n’était pas faire injure aux surréalistes on pourrait trouver
cela surréaliste ...
Il nous fait d’ailleurs une étrange bouillabaisse entre
"adhérents" et "syndiqués", on a parfois l’impression à le
lire que ce ne seraient pas les mêmes. Curieux ...
Bernard Thibault a peur : "... il ne faut pas sous-estimer
l’impact que représenterait, pour beaucoup de syndicalistes
européens, une déclaration de la CGT qui pourrait être perçue
comme une volonté de rupture."
Rupture avec quoi ? Avec la CES et sa direction ? Assurément,
B. Thibault veut protéger les dirigeants du DGB, de la CGIL,
en leur donnant le soutien de la très réputée CGT française
contre les questions et les contestations grandissantes de
leurs propres syndiqués. B. Thibault a peur d’un véritable
syndicalisme européen qui ne peut se construire que contre la
"constitution". Et peur, enfin, d’un véritable syndicalisme
mondial qui ne consistera pas, après la chute des "camps"
qu’il évoque par ailleurs, dans l’oecuménisme d’ONG entre une
CISL bureaucratisée et la très chrétienne CMT. Il a peur de se
mettre "hors jeu" par rapport, non pas à la classe ouvrière,
mais aux séminaires et salons feutrés de ces Messieurs ...
On notera l’absence absolue de tout argument concernant le
contenu du traité constitutionnel dans ce discours. Là n’est
manifestement pas le problème pour B. Thibault. Il se contente
de ressortir sur la fin la grosse blague selon laquelle la
Charte des droits fondamentaux (titre II du traité) serait une
conquête, alors que ce texte, qui remplace au passage le
"droit au travail" par le "droit de travailler" et qui ne
reconnaît pas le droit à la sécurité sociale et aux services
sociaux, indique explicitement que tous ces droits, que les
Droits de l’Homme et du citoyen et les droits des femmes,
donc, ne sont valables que tant qu’ils ne contredisent pas la
"libre circulation des personnes, des services, des
marchandises et des capitaux ainsi que la liberté
d’établissement" (art. II-122-2, voir l’article de Bernard
Cassen dans le Monde diplomatique de ce mois). Et bien B.
Thibault dit en passant qu’il faut soutenir cette chose car,
voyez-vous, c’est "le libéralisme" qu’il s’agit de combattre
et l’ "Europe sociale" qu’il s’agit de construire ! Pitoyable
ramassis de sophismes qui vaut bien la promesse d’un "avenir
radieux" ! "Ce n’est pas le sort du référendum qui dépend de
notre discussion, chers camarades, c’est l’avenir de la CGT."
C’est bien entendu le résultat du référendum qui dépend très
largement du Non syndical et de la jonction entre le
mécontentement et la volonté de lutte des travailleurs et le
vote Non, et c’est contre cette jonction que, y compris en
expliquant que les travailleurs sont des gens indifférents à
ces choses là - une conception méprisante là encore - lutte B.
Thibault. Et c’est aussi, en effet, l’avenir de la CGT, comme
de l’ensemble de la gauche et du mouvement ouvrier en France.
Soit la CGT joue son rôle et contribue à la défaite de Chirac.
Soit elle est normalisée et contribue à la défaite des
travailleurs. Elle risquerait alors de ne pas s’en remettre.
Contrairement à ce que veut faire croire B. Thibault le
résultat du référendum va peser lourdement sur les rapports de
force sociaux en France et en Europe. Alors se pose une
question : les chars de la normalisation sont-ils prêt à
sortir des hangars ? Le secrétariat confédéral du 8 février
va-t-il dénoncer la CGT ? Nul doute qu’ils en crèvent d’envie.
Le PCF, qui en tant que tel n’est pour rien dans ce
psychodrame puisque ses militants, dont B. Thibault n’est pas
le moindre, s’affrontent dans le syndicat, n’a officiellement
pas de position mais l’article paru après une journée de
réflexion dans l’Huma laisse entendre qu’on pourrait revenir
sur la position prise par le CCN.
Il y a un synchronisme étroit entre l’envie de B. Thibault et
son équipe de normaliser, et les velléités répressives de la
direction du PS envers les partisans du Non socialiste (non
pas le Non du PS, mais bel et bien le Non socialiste). Chirac
et le MEDEF en ont besoin. La situation sociale commence à se
tendre à nouveau : tout peut basculer d’un côté ou de l’autre.
Dans ce balancier, le référendum aura une place essentielle.
Pour la CGT, pour l’ensemble du syndicalisme, l’alternative se
met en place : ou l’unité pour le Non, ou l’affaiblissement,
la division et la dislocation. Les forces neuves que la CGT a
reçues dans les entreprises en 2003 sont des forces actives
pour le Non. Une CGT démocratique, c’est une CGT pour le Non,
et qui serait capable d’initier la réunification du
syndicalisme français sur la base de son indépendance, contre
les patrons, l’Etat et leur Union Européenne.
Messages
1. > Bernard Thibault déclare la guerre à la CGT, 7 février 2005, 17:38
Dans leur intérêt, il faut que les Thibault, Le Duigou et Dumas se retient d’eux-mêmes...
sinon, il faudra les virer à coups de pieds au c..., et au nom de la démocratie syndicale (la vraie, pas la leur) !
2. > Bernard Thibault déclare la guerre à la CGT, 8 février 2005, 15:22
A la direction de la CGT, il y a une chose que les thibault, le Digou, Dumas ne comprennent pas : si le vote du CCN stimule le NON, leurs propos abjects le renforcent également ! Le masque est tombé !
Il faut se débarrasser de ces "syndicalistes"-là !