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Bernard Thibault : plutôt que les PME, c’est l’emploi qualifié qu’il faut développer

Publie le mardi 5 juillet 2005 par Open-Publishing

Mauvais remède sur ordonnances

de Bernard Thibault secrétaire général de la CGT.

Le « plan pour l’emploi », proposé par le gouvernement, est à la fois décevant et révoltant. Les plus complaisants ont tendance à penser qu’il fera pschitt. Ce sera pire encore. Resservir les éternelles mêmes recettes, concoctées avec les mêmes ingrédients qui fermentent depuis des années dans les arrière-cuisines patronales, ne peut que provoquer l’irritation, puis la colère. Invoquer l’urgence pour imposer ce nouveau « plat du jour », en piétinant la négociation sociale et le débat parlementaire, est une insulte à la raison, venant de ceux qui sont « aux manettes » depuis plus de trois ans.

Cinq à six millions de salariés sont exclus de l’emploi. La galère persistante des jeunes sans diplôme est rejointe par le chômage grandissant des « jeunes diplômés ». Quand le Medef et le gouvernement disent vouloir « toiletter » le code du travail, nous entendons qu’ils veulent le « nettoyer ».

Soyons clairs : « La petite entreprise ne nous sortira pas de la crise »... Quand on se trompe de diagnostic, on peut être sûr que l’ordonnance ne fera qu’aggraver le mal. Plusieurs études récentes l’indiquent. L’une d’entre elles constate à juste titre que : « Lorsque les PME se multiplient sans grandir, leur poids relatif s’accroît, certes, mais elles participent au final à la faible capacité de l’économie française à profiter de la croissance pour créer massivement des emplois. »

Malgré tout, le gouvernement a décidé de concentrer toute son attention sur les petites et même les très petites entreprises !

S’il s’agissait de rénover les relations de sous-traitance, d’améliorer le cadre contractuel des relations client/fournisseur, de favoriser la croissance externe des entreprises moyennes, de ne pas la « réserver » aux seules grandes entreprises désireuses de contrôler le marché et de se « recentrer » en détruisant des milliers d’emplois parce qu’elles privilégient la rentabilité financière, de tout cela, nous serions les premiers à vouloir discuter. Dans le même esprit, il faudrait concevoir que, à côté de l’Agence pour le développement industriel, soient mises en place des facilités de financement avec garantie publique pour contribuer au développement de certains projets industriels, en contrepartie d’assurances de maintien des emplois en France et en Europe.

Force est de constater qu’aucune des mesures proposées par monsieur de Villepin et son équipe ne répond aux questions décisives pour dynamiser l’offre d’emplois. Sa politique n’accorde d’ailleurs aucune place à la création d’emplois de qualité, et aborde encore moins celle d’un partage des richesses plus juste et plus efficace. Elle s’inscrit dans la politique économique de l’Union européenne de recherche d’une plus grande concurrence, s’exerçant ici sur le marché du travail, en faisant sauter les unes après les autres les « sécurités » du code du travail.

Un nouveau type de relance économique est pourtant attendu. Nouveau, cela veut dire en rupture avec ceux qui pensent qu’« on a tout essayé » et ceux qui font semblant en refaisant pareil. Il faut changer une pratique qui perd, arrêter de multiplier des mesures ciblées segmentant au maximum le marché du travail (hier les emplois-jeunes, maintenant les emplois vieux et les salariés « Kleenex »...), de banaliser et étendre le travail précaire, d’infliger la « double peine » aux chômeurs qu’à leur tour on s’apprête à passer au « Kärcher ».

Il faut recourir à une relance par l’emploi qualifié, intégrée dans un système cohérent d’appui à l’emploi industriel direct et aux emplois de service qu’il induit. La qualification de la main-d’oeuvre industrielle est un enjeu majeur pour l’emploi de qualité et pour la croissance. Huit millions de salariés n’ont pas de qualification reconnue (deux fois plus qu’en Allemagne et, proportionnellement, trois fois plus qu’aux Etats-Unis), 80 000 jeunes sortent du système éducatif sans formation, l’effort national de formation professionnelle régresse depuis dix ans. La première urgence, c’est un plan national de qualification alimentant des programmes d’insertion établis au niveau des régions et des bassins d’emploi. Reposant sur une plus grande synergie du service public de l’emploi, il doit donner une priorité à la formation dans les métiers et les spécialités qui, dans la métallurgie, la mécanique et bien d’autres secteurs, vont faire ou font déjà défaut. Pour soutenir cet effort, nous proposons la création d’un Fonds national pour le développement de l’emploi qualifié dont l’objectif serait double : financer les efforts de formation (initiale et continue), contribuer à des projets d’emploi avec les entreprises. Une refonte globale des grilles de salaire, négociée au plan national, rendrait ces emplois attractifs pour les salariés et serait génératrice d’une croissance saine, à travers l’effet dynamique de l’amélioration du pouvoir d’achat et du retour de la confiance dans l’avenir.

Cette refonte doit être couplée à une réforme de l’assiette et du calcul des cotisations patronales afin d’introduire des modulations, en fonction de la politique d’emploi et de formation de chaque entreprise. Il faut remettre à plat les cadeaux financiers de toute nature qui pompent les ressources de l’Etat sans que leur effet sur l’emploi soit prouvé. Il n’est pas juste que les entreprises les plus profitables, se défaussant sur les PME placées sous leur coupe, empochent au final les dividendes de toutes les déréglementations, et soient exonérées de leurs responsabilités dans la dégradation de l’emploi et des systèmes de protection sociale.

Nous proposons aussi d’opter pour une grande politique d’équipements collectifs privilégiant les universités, les centres de recherche, les réseaux de communication et de transport, la réhabilitation du logement, le développement de la production énergétique (atout économique décisif mis à mal par l’ouverture du capital de Gdf et Edf)... Financièrement piloté par la Caisse des dépôts et consignations, un tel projet pourrait s’appuyer sur un élargissement des critères d’utilisation du livret A, sur un grand emprunt et des coopérations avec les grands groupes de la construction et des services collectifs impliquant PME et sous-traitants.

Cette politique d’ensemble ne pourra pas être mise en oeuvre sans une relance de la négociation sociale ; en ayant bien présent à l’esprit que la crise sociale demeurera profonde aussi longtemps que l’on se refusera à injecter de nouvelles règles en matière de représentativité syndicale et de validité des accords collectifs en prise directe avec la vie des salariés.

Il faut que le patronat cesse d’invoquer la négociation quand la gauche légifère et, avec la droite, d’exiger la loi pour défaire. Le gouvernement pourrait prendre l’initiative de lancer quelques objectifs de négociation avec obligation de résultat, à charge pour les syndicats et le patronat de les mener à leur terme dans un délai donné : grilles de classification, minima de branche, conditions de travail, mobilité des salariés, représentation des salariés des PME... Enfin, il est grand temps que s’engage une grande négociation portée par un large débat public sur la Sécurité sociale professionnelle.

Demain, le 5 juillet, le Medef désigne sa nouvelle présidence. Le jour même, l’Assemblée nationale va lui faire présent de ses ordonnances : tout un symbole dans cette coïncidence qui sonne comme une allégeance ! Plus que jamais, s’il veut créer les conditions d’un changement de cap, le mouvement syndical n’a d’autre alternative que de mobiliser les salariés. Le plus tôt sera le mieux.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=308634